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Exposition Pierre Soulages

Le Temps du Papier

Musée d’Art Moderne et Contemporain de la Ville de Strasbourg

Exposition du 31 octobre 2009 au 3 janvier 2010




S’il est avant tout connu comme le peintre du noir, Pierre Soulages est aussi l’auteur d’une oeuvre sur papier magistrale où l’eau-forte tient une place de choix aux côtés de la lithographie et de la sérigraphie. Réunissant environ 120 oeuvres qui vont des années 1950 à aujourd’hui, l’exposition présentée au Musée d’Art Moderne et Contemporain de la Ville de Strasbourg propose au visiteur une plongée dans l’oeuvre imprimé de Soulages, technique par technique, où l’on voit l’artiste, pour les besoins de sa recherche, réinventer complètement les procédés traditionnels, notamment la gravure à l’eau-forte. L’exposition permet également de découvrir les trois seuls bronzes réalisés par Soulages.

Entre les premières oeuvres en taille douce imprimées à l’atelier Lacourière et les sérigraphies réalisées tout récemment par l’artiste, c’est un corpus d’oeuvres exhaustif qui est présenté au public du Musée d’Art Moderne et Contemporain de la Ville de Strasbourg où l’artiste fait montre d’une exigence telle qu’elle tend à abolir la hiérarchie entre les genres : pour Pierre Soulages, l’oeuvre imprimé se révèle aussi important que l’oeuvre peint. Au sein de compositions toujours très architecturées, les gravures et estampes jouent sur les transparences et les superpositions, touchant à l’essentiel, à "la chair du papier" pour reprendre les termes de l’artiste.

L’exposition permet également de découvrir un volet moins connu mais non moins intéressant du travail de Pierre Soulages : sont, en effet, présentés les trois grands bronzes jamais réalisés par l’artiste. Inspirées par les plaques de cuivre ayant servi pour les eaux-fortes dont elles sont des éditions agrandies, ces stèles massives sont des oeuvres rarement montrées d’une grande force plastique. Leur présence vient renforcer la grande cohérence qui préside à l’oeuvre de l’artiste : si Soulages travaille le noir, c’est avant tout pour trouver la lumière, qu’il s’agisse de la lumière piégée et modulées dans les épaisses peintures appelées "Outrenoir", de la lumière étincelante reflétée dans les stèles de bronze ou encore du papier laissé en réserve dans les oeuvres imprimées et dont la blancheur éclate de lumière.

L’exposition se déroule en même temps que l’importante Rétrospective que le Musée National d’Art Moderne consacre à l’artiste à partir du 14 octobre 2009.



Présentation de l’artiste et du propos de l’exposition

Pierre Soulages, né en 1919 à Rodez, fêtera cette année ses 90 ans dont plus de 60 années ont été consacrées à la création. Autodidacte et indépendant, Soulages aura ainsi traversé le temps en développant jusqu’à aujourd’hui une oeuvre identifiable entre toutes, même si l’étiquette de "peintre du noir" qu’on lui accole trop facilement se révèle impropre. Car c’est moins le noir que la lumière qui intéresse l’artiste, qu’il s’agisse de la lumière piégée et reflétée dans les sillons profonds des célèbres polyptyques ou de l’éclat du papier blanc passé sous presse que l’on rencontre dans l’oeuvre imprimé présenté aujourd’hui au Musée d’Art Moderne et Contemporain de la Ville de Strasbourg.

Très tôt, presque immédiatement, Pierre Soulages a choisi la voie de l’abstraction, développant une démarche où "le faire" précède et l’emporte sur toute autre considération. Ce choix radical n’allait pas de soi pour un jeune homme issu d’un milieu modeste ancré dans une petite ville alors très éloignée de l’actualité de l’art moderne. Soulages a vécu à Rodez jusqu’à l’âge de vingt ans ; c’est sur cette terre du Rouergue qu’il fit plusieurs découvertes qui ont contribué à forger une partie de ses goûts, des goûts simples et inscrits dans une histoire millénaire, qu’il s’agisse des imposantes et mystérieuses statues menhirs du Musée Fenaille, des pierres brutes baignées de lumière de l’Abbatiale romane Sainte-Foy de Conques ou encore des paysages désertiques des plateaux de l’Aubrac.

La rencontre avec l’art et avec la modernité interviendra plus tard, lorsque l’artiste, reçu au concours de l’École Nationale des Beaux-Arts, viendra à Paris et aura l’occasion de voir des expositions consacrées à Cézanne et à Picasso. Déçu par un enseignement qu’il trouve trop académique, il quitte l’école et repart à Rodez au moment où la guerre éclate. Il se réfugie bientôt dans les environs de Montpellier et, pour échapper au STO, entre dans la clandestinité, mettant entre parenthèse toute activité artistique pour travailler dans une propriété viticole. Ce n’est qu’à la fin du conflit qu’il s’installe à Paris où il ne connaît encore personne, avec celle qui est devenue sa femme et complice de toujours, Colette Llaurens.

C’est à ce moment-là que va véritablement s’affirmer sa démarche artistique et que le peintre, qui n’a pas appris la peinture autrement qu’en en faisant l’expérience, va oser s’engager dans une abstraction radicale sans redouter de se confronter à des matériaux atypiques : on le voit étaler du brou de noix sur de grandes feuilles de papier, étendre du goudron sur des plaques de verre, et bientôt, barrer ses toiles d’épaisses couches de peinture brune apposées à l’aide d’une semelle de chaussures, un racloir ou un morceau de carton. Si le goût de l’époque se porte sur une peinture post-fauve très colorée, Soulages n’est pourtant pas le seul artiste à choisir l’abstraction dans cette période d’immédiate après-guerre ; celle-ci est portée par toute une jeune génération : Atlan, Bissière, Bryen, Hartung, Mathieu, Schneider, Vieira da Silva, Wols, Zao Wou-Ki, entre autres, pratiquent pour les uns une abstraction dite géométrique, pour les autres une abstraction qualifiée de lyrique par la critique. Soulages les côtoie tout en se gardant bien d’enfermer sa pratique sous quelque dénomination et rapidement se distingue dans le choix d’une palette qui se réduit à des tonalités sombres : sienne, brun, ocre habitent la plupart de ses toiles d’alors et bientôt, seul le noir demeure. Le noir deviendra des années plus tard "Outrenoir", mot forgé par l’artiste pour désigner le "noir lumière" qui envahit la totalité de la surface de ses peintures à partir de 1979, et dont certaines formeront de grands polyptyques, créant de la sorte, non pas de simples monochromes, mais de fascinants miroirs noirs qui capturent et reflètent subtilement la lumière.

"Le noir et le blanc, Vous prenez la peinture par les cornes, c’est-à-dire par la magie" lui avait prédit le poète Joseph Delteil. Le noir et le blanc se retrouvent aussi dans la gravure que Soulages pratique dès le début des années cinquante ; toutefois, l’artiste semble s’autoriser sur le papier des développements chromatiques auxquels il a renoncé dans sa peinture. Rares sont d’ailleurs les estampes exclusivement noires, dévoilant ainsi un autre aspect du travail de Soulages. Son oeuvre imprimé, dont l’eau-forte constitue le point culminant tant l’artiste est parvenu à profondément réinventer cette technique au profit de sa recherche, ne saurait s’aborder comme une activité subordonnée à son travail de peintre. Balayant l’idée d’une hiérarchie entre les pratiques, Soulages estime en effet que la gravure est tout aussi importante que la peinture dans sa démarche artistique, dans la mesure où il s’est attaché à valoriser les qualités intrinsèques de cette discipline et que cette expérience est venue nourrir le reste de son travail, comme le fera d’une autre manière son travail

sur le verre des vitraux de Conques. Amoureux des matériaux, fin connaisseur des techniques et expérimentateur infatigable, Soulages explique qu’il connaît "des crises de gravures" durant lesquelles il renonce à peindre pour se consacrer exclusivement à la gravure. L’oeuvre imprimé ne compte pourtant pas pour autant un nombre d’oeuvres extrêmement important, du moins en regard des quelque 1200 toiles recensées dans le catalogue raisonné de l’oeuvre peint, dont le dernier tome fut édité en 1998, l’oeuvre ayant bien sûr continué à s’écrire depuis.

L’exposition du MAMCS propose une présentation exhaustive des estampes, réunissant ainsi 120 oeuvres, eaux-fortes, lithographies et sérigraphies, complétées par trois bronzes et plusieurs documents d’archives.



Parcours de l’exposition

Le parcours de l’exposition « Soulages, le temps du papier » proposé par les commissaires se distingue de celui qui avait été établi lors de la présentation de l’oeuvre imprimé en 2003 à la Bibliothèque nationale de France. Si le principe d’un accrochage par technique demeure- il apparaissait en effet pertinent de montrer de façon spécifique le travail développé par l’artiste vis-àvis de chacun des procédés d’impression - l’idée d’une présentation chronologique des estampes a cédé la place à un agencement thématique qui vient apporter un éclairage nouveau sur ce volet de l’oeuvre.

Après être passé par un sas d’entrée qui prépare en douceur le regard à l’ambiance lumineuse atténuée qui s’impose pour la présentation des oeuvres sur papier, le visiteur pourra découvrir successivement trois grands espaces dédiés respectivement à l’eau-forte, la lithographie et la sérigraphie.

La présence de deux espaces à vocation pédagogique et documentaire vient compléter cette présentation exhaustive tout en offrant au visiteur quelques moments de respiration : située au sein du parcours, une salle « atelier » expose de façon didactique les différentes techniques utilisées par l’artiste et permet de découvrir, et dans certains cas de toucher, les outils et matériaux propres à chacune d’elles, depuis les différents supports de l’estampe — plaque de cuivre, pierre lithographique et écran sérigraphique — jusqu’à l’étape finale, l’impression sous la presse. Textes et photos contribuent à la compréhension de ces procédés souvent mal connus. Une salle de projection permet d’autre part de voir l’artiste au travail dans l’atelier de gravure de l’imprimeur Moret, dans un film documentaire réalisé en 1995 par Thierry Spitzer, « Pierre Soulages, regards ».

  • L’accent sur l’eau-forte :

    "Ce qui m’intéresse dans la gravure, c’est que l’on dirige et on se laisse diriger par quelque chose." Pierre Soulages

    Les commissaires ont eu à coeur de mettre clairement en valeur le travail de Soulages aquafortiste, l’eau-forte étant la technique via laquelle l’artiste va développer les propositions plastiques les plus radicales. La section dédiée à l’eau-forte est donc la plus vaste, formant un sorte de "colonne vertébrale" de l’exposition, telle "une grande rue" qui desservirait les autres salles. Au fil des 43 gravures réunies dans cet espace, le public pourra découvrir les premiers travaux de Soulages, qui, selon l’artiste lui-même, peuvent être lus comme des "gravures d’interprétation" finalement assez proches de son travail en peinture de l’époque. Cette approche "classique" de l’eau-forte ne satisfait pas pleinement Soulages qui, dès 1957 s’engage dans une voie différente : utilisant toujours plus d’acide pour ses oeuvres, il en vient à percer un jour par accident sa plaque de cuivre. Cet "accident heureux" sera bientôt revendiqué par l’artiste comme processus de création à part entière et de là naîtront des oeuvres singulières où la plaque de cuivre, rongée de tous côtés et percée de part en part, gagne une dimension sculpturale inédite. Ce travail atteint son paroxysme avec des Eaux-fortes dont l’artiste conservera longtemps les plaques de cuivre car ces "objets" l’intéressent et l’intriguent au point qu’il en fera réaliser, des années plus tard, des éditions agrandies. Ces grandes stèles en bronze, oeuvres peu montrées mais néanmoins magistrales, sont présentées dans l’exposition, à immédiate proximité visuelle des estampes qui les ont précédées, confortant l’idée, caractéristique du travail de Soulages, selon laquelle une oeuvre en inspire une autre.

    Au sein de ce premier espace dédié aux eaux-fortes, l’agencement des oeuvres ne suit donc plus un ordre chronologique mais relève d’une lecture qui met en avant des thématiques telles que la notion d’architecture avec des compositions où Soulages semble équilibrer et contrebalancer un rythme par un autre. La notion de matérialité est une autre notion-clé pour aborder Soulages aquafortiste, plusieurs oeuvres portant la trace du temps écoulé, temps durant lequel l’acide nitrique ou le perchlorure de fer a conduit son travail de corrosion. Enfin, on rencontrera aussi plusieurs oeuvres qui ne sont pas sans rappeler son travail de peintre sur papier, les fameux brous de noix, où Soulages, tout en travaillant les découpes de sa plaque, joue aussi des dilutions de ses encres, dans des tonalités allant des ocres sombres au brun chaud.

  • La lithographie :

    "C’est un travail qui est plus proche de la spontanéité de la peinture – du moins au départ." Pierre Soulages Technique d’impression à plat, la lithographie est un procédé très souple qui s’apparente aussi bien au dessin, au lavis ou à la peinture. Réalisant son motif directement sur la pierre, à l’encre grasse, l’artiste retrouve d’abord la liberté de geste du peintre. Mais toujours soucieux de découvrir toutes les possibilités offertes par une technique particulière, Soulages va intervenir tout au long du processus d’impression, retravaillant plusieurs fois la même pierre pour combiner les formes tout en agissant sur la concentration de l’encre pour créer des effets d’opacité ou de transparence. Pour cette section, c’est plus d’une cinquantaine d’oeuvres qui sont exposées. L’accrochage les regroupe en petites entités mettant en évidence notamment l’aspect très "calligraphique" de certaines lithographies. Bien que la calligraphie relève d’une démarche fondamentalement différente du travail développé par Soulages, plusieurs estampes, dans la liberté gestuelle dont elles semblent issues, évoquent sans conteste une écriture. A contrario, on rencontre aussi des estampes où l’on n’a plus affaire à un signe isolé au centre de la planche mais où la feuille se trouve intégralement envahie par l’encre créant un effet de saturation : le papier disparaît presque complètement au profit de l’encre qui vient s’étendre même au-delà de la feuille. Parmi les plus belles oeuvres de cette section, on notera les lithographies pour lesquelles Soulages procède autant par dépôt que par enlèvement de matière : l’encre raclée crée ainsi de subtiles transparences, comme si la lumière provenait du papier lui-même.

    Les encres grasses lithographiques inspirent Soulages qui se plaît à jouer avec elles dans des oeuvres où se lit, à travers taches et dégoulinures, une certaine jubilation de la matière.

  • La sérigraphie :

    "J’ai l’impression de me perdre dans une technique, en réalité, je me rencontre toujours." Pierre Soulages

    Les sérigraphies constituent le volet le plus récent de l’oeuvre imprimé de Pierre Soulages. Il aborde en effet pour la première fois cette technique en 1973 et la réalisation de la petite trentaine d’oeuvres montrée dans l’exposition se poursuit de façon discontinue jusque dans les années 2000. Si Soulages admet avoir connu des "crises de gravures et des crises de lithos" durant lesquelles il cesse de peindre pour se consacrer à l’estampe, sa production dans le domaine de la sérigraphie est différente. Souvent objet de commandes qui nécessitent de gros tirages, il s’agit notamment d’affiches éditées à l’occasion d’une expositio, d’estampes accompagnant la publication d’un ouvrage ou d’une manifestation culturelle. Soulages s’est cependant intéressé à l’originalité de ce procédé qui consiste à faire "passer" l’encre à travers un écran de soie, sorte de tamis à travers lequel la couleur filtre, permettant, dit-il, d’"avoir des matités superbes, propres à ce procédé et qu’on n’arrive jamais à obtenir en lithographie.". Jouant parfois volontairement d’inégalités de séchage de la couleur sur l’écran, il obtient des qualités inattendues de matière et de forme.

    Au terme de ce parcours, le visiteur aura pu prendre pleinement la mesure de l’originalité de l’oeuvre imprimé de Pierre Soulages où se lit ce désir constant de "faire de la gravure une véritable création, quelque chose d’unique, pas une reproduction."



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