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C’est la vie! Vanités de Caravage à Damien Hirst |
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Musée Maillol, ParisExposition du 3 février - 28 juin 2010C’est la vie ! Jamais l’art des vanités n’a été aussi vivant, accaparé par la mode, la musique ou la rue. Crânes et ossements envahissent notre quotidien et s’affichent sur les vêtements, les bijoux, les figurines de publicité, les vidéos et autres pochettes de CD. A l’origine de cet élan, une petite phrase qui résonne et se démultiplie : "Souviens-toi que tu vas mourir", chuchotait l’esclave à l’oreille du général romain pendant la cérémonie du triomphe. Prolongement de cette mise en garde salvatrice, l’art a pris la relève. Depuis l’Antiquité, les vanités memento mori sont les pense-bêtes de la condition humaine. Au coeur de l’inspiration des artistes depuis la fin du Moyen Age, ces créations morbides évoluent au fil des époques et des modes. Aujourd’hui, les vanités reviennent sur le devant de la scène occidentale. De la superstition à l’obsession, ces thèmes retrouvent une actualité poignante dans l’art contemporain. Pourtant, quand les vanités médiévales soulignaient la brièveté de la vie et donc l’inutilité des biens terrestres, les vanités actuelles sont plus agressives. Elles évoquent désormais les totalitarismes et l’explosion pernicieuse de la société de consommation. Aujourd’hui, la mort n’est plus un échec puisque seule la mort de l’espèce est envisageable et le squelette devient une simple représentation, impudique et fascinante. Les immenses progrès de la génétique font fantasmer les artistes sur le rêve de la vie éternelle.
C’est la découverte d’une très belle collection synchronique qui nous a donné l’envie de mettre en perspective ces deux approches de la mort, violente ou pacifiée, à travers une exposition originale de plus de 150 pièces. En remontant le fil du temps, nous avons mis en lumière des oeuvres rarement dévoilées au public, pour proposer un parcours initiatique et singulier dans l’Histoire de l’Art. Des artisans de mosaïques de Pompéi aux danses macabres médiévales, des peintres surréalistes du XXe siècle aux artistes du néo-Pop Art ou aux agents provocateurs de l’expression artistique la plus récente, chaque génération s’attache à cristalliser la vanité d’une civilisation, pour se «ré-approprier» sa mort et retrouver ainsi le cycle de la vie. De tous temps, les artistes ont pensé cette oscillation entre la présence et l’absence, la trace et l’oubli, le vide et le sacré, comme en témoigneront quelques noms exceptionnellement présentés : De Caravage ou Zurbaran à Géricault ou à Cézanne, de Ernst à Picasso, Warhol, Basquiat, Uklanski, Albérola ou Hirst.
Autour d’un vrai travail collectif, conduit par une équipe entreprenante et réactive, cette exposition s’interroge sur l’émiettement spirituel et l’éclatement du monde. Invitation à retrouver du sens, elle résonne décidément comme un hymne à la vie.
Patrizia Nitti, directeur artistique du musée Maillol
Le crâne en diamants de Damien Hirst, première icône du XXIe siècle, est symptomatique du regain d’intérêt pour les Vanités qui s’introduisent dans le domaine de l'art contemporain et s'affichent partout : livres, pochettes de disques, design, bijoux... Métaphore de l'émiettement spirituel et de l'éclatement du monde, d'une planète mondialisée en proie à la menace écologique, impuissante à contenir le bouillonnement qu'elle emprisonne, parabole de la désacralisation de la vie et de la mort dans les sociétés occidentales, cette omniprésence de la Vanité, cristallise le vide de sens d'une civilisation qui s'égare dans sa soif de contrôle. Notre société du spectacle reprend l'iconographie de la tête de mort, utilisée dès 1948 par les "Hell’s Angels", ce gang de motards de la côte Ouest des Etats- Unis, qui détournait ces images à des fins contestataires et anarchistes. La contre-culture est devenue culture.
Même si ce thème n’a jamais cessé de hanter, de fasciner, d’interroger… des mosaïstes de Pompéi aux graveurs des danses macabres médiévales, des peintres de Vanités du XVIIe siècle aux surréalistes du XXe, des artistes du néo-Pop Art aux agents provocateurs de l’art le plus récent. Débutant par ce foisonnement des vanités dans l’art contemporain et remontant le fil du temps, à travers des oeuvres peu montrées, voire cachées par des collectionneurs célèbres, l’exposition propose un parcours singulier dans histoire de l’art. Elle dépasse les clichés morbides attachés à la représentation de la mort, au profit d'un hymne à la vie, d’une philosophie allègre, une tentative ultime pour repousser les limites de la vie.
On sait que le Néolithique pratiquait le culte des crânes, depuis la découverte d'une tête de mort aux yeux blanchis à la chaux à Jéricho, qui remonterait à 7000 av JC. Et bien qu’il soit imprudent de dater l’apparition d’une forme aussi essentielle que celle du corps mort, il semble que ce soient les Grecs, à l’époque hellénistique qui, les premiers en occident, osent tout d’un coup figurer le squelette, afin d’évoquer le passage du temps et la brièveté de la vie. Ce que l’on retrouve dans le «! Tempus fugit!" de Virgile et dans les saisissantes mosaïques romaines de Pompéi, ici présentées. Mais c’est la fin du Moyen Age, au XIVe et XVe siècle, qui invente les danses macabres de squelettes et les "memento mori", où le crâne à la mâchoire déboîtée figure derrière le portrait du défunt!: les horreurs de la Mort Noire, jointes à la Guerre de Cent ans et à la nouvelle théologie chrétienne du «! Drame de l’agonie!» ont fait rejaillir la mort affreuse dans le champ de l’art. De collective, la mort est devenue individuelle. La Renaissance mettra pour quelque temps un terme à ce carnaval macabre. Mais le XVIIe siècle ressuscitera cette célébration dans toute sa violence. Avec Le Caravage en premier témoin, qui lie son invention du ténébrisme dans les bouges de Rome avec le réalisme morbide. Son "Saint François", tout comme, à sa suite, ceux de Georges de la Tour en France ou de Francisco de Zurbaran en Espagne, éclaire davantage le crâne dans la main du saint que le visage de l’homme, resté dans l’ombre. Avec l’apparition de la Nature Morte, et plus spécifiquement, de la Vanité en Hollande à la même époque, la mort envahit la peinture. Pietro Paolini glisse un crâne dans son "Saint Jérôme en méditation", et Genovesino entoure une tête de mort d’un corps de putto endormi. Le puritanisme du XIXe siècle ne goûtera plus guère ces débordements, et il faudra un Théodore Géricault recherchant l’inspiration pour son "Radeau de la Méduse" pour peindre «!Les trois crânes!» comme une nouvelle Trinité, ou un Paul Cézanne en colère, qui remettra le genre au goût du jour en peignant des pyramides de crânes dans son atelier.
Le positivisme et l’âge industriel, qui croyaient se confondre avec le progrès, pensaient en avoir fini avec cette victoire de la mort. Mais la Grande Guerre de 1914 en rappelle toute l’acuité. Dans les années 30, face à la montée des périls, Pablo Picasso retrouve l’inspiration d’un Zurbaran pour peindre des crânes comme autant d’allégories du monde. Georges Braque, dans son "Atelier au crâne" comme grisé par "Guernica", lui emboîte le pas. Tout comme le fera beaucoup plus tard le catalan Miquel Barcelo en allant peindre des crânes au désert du Mali. Mais les massacres de la seconde guerre mondiale et la découverte effarée des camps de la Shoah, détournent les artistes de ces représentations trop éprouvantes!: la mort est redevenue collective.
Après-guerre, ni l’abstraction, ni son opposé, le Pop Art - qui célébrait la société de consommation, n’ont voulu renouer avec l’art de la mort. Andy Warhol pourtant, dans les années 70, réalise des séries de crânes roses et verts. L’on comprend alors son association avec Jean-Michel Basquiat dans les années 80, autour des gris-gris vaudouisants de ce Black Picasso. A la magie noire des graffitis de Basquiat répond la magie blanche du trait serpentin de Keith Haring. En Allemagne, après les vanités très caravagesques de Gerhard Richter, les nouveaux fauves peignent les années Sida, Georg Baselitz, A. R. Penck et Markus Lüpertz en tête. Ces années que l’on retrouve dans "l’Autoportrait à la canne" de Robert Mapplethorpe. La mort se fait prégnante dans les crânes peints bien réels du Mexicain Gabriel Orozco, la "Proposition pour un portrait posthume" de Douglas Gordon, les têtes de morts recouvertes de coléoptères de Jan Fabre ou dans les grands crânes gris de Yan Pei Ming. A l’aube du XXIe siècle, la représentation de la mort change de nature. Tout effroi évacué, le crâne et le squelette deviennent un motif, un phénomène de mode. «! S’en fout la mort!" disent les années 2000, où Marina Abramovic promène un squelette sur son dos, Cindy Sherman fleurit un crâne et les frères Chapman personnifient la "Migraine" avec une tête de Frankenstein pourrissant. La mort nous va-t-elle si bien ?
"Lorsque Masaccio peignit, en bas de sa Trinité de l’église Santa Maria Novella de Florence, l’image du squelette étendu dans le sépulcre et parlant à l’humanité future, il portait à son terme un long processus historique qui traversa tout le Moyen Âge pour se conclure au début de la Renaissance. Le squelette qui parle dans la fresque de Masaccio, c’est l’homme lui-même, l’humanité que le Christ est venu racheter, selon la doctrine de l’Église, mais c’est aussi l’homme universel, non nécessairement chrétien, qui médite sur l’image de la mort et met en garde tous ses semblables contre la caducité et la vanité des choses humaines. On ne peut qu’être impressionné par le fait que ce squelette parle et dise : « J’ai été ce que vous êtes et ce que je suis, vous le serez vous aussi ». On ne saurait mieux exprimer l’idée de la vanitas, à ce moment historique précis que nous appelons aujourd’hui l’humanisme et qui consiste en une grandiose glorification des capacités techniques, artistiques et philosophiques de l’humanité, dans la Florence riche et cultivée du début du XVe siècle, où une civilisation tout entière se réveilla et en vint à formuler un univers artistique qui, de Masaccio à Léonard, Michel-Ange et Raphaël, devait faire école dans le monde entier et créer d’immortelles oeuvres d’art. Mais le pessimisme de Masaccio, si l’on veut vraiment le considérer comme tel, demeure présent dans toute l’évolution de la civilisation de l’humanisme et de la Renaissance. Les artistes de l’époque, dans toute l’Europe, parleront certes le même langage et s’orienteront tous vers des formes de représentation positive de la réalité, soutenue par les découvertes des techniques artistiques modernes ; ils maintiendront cependant toujours cette invitation solennelle à observer aussi les choses du point de vue profond, et certainement amer, qu’est justement celui de la contemplation de la vanité de l’existence, à travers l’image du squelette, qui dévoile une réalité très claire pour tout le monde, mais toujours occultée dans la vie quotidienne. La tradition médiévale avait fourni de nombreuses représentations de ce genre, facilement compréhensibles dans un monde où la dévotion religieuse dominait la totalité de la vie sociale et la conditionnait en profondeur, jusque dans ses aspects politiques et économiques. Au Moyen Âge, le thème iconographique des trois vivants et des trois morts avait acquis une grande notoriété ; il offre un fil conducteur essentiel pour reparcourir l’évolution du motif de la vanité à travers l’image du squelette qui parle et avertit. Le conte des trois chevaliers – jeunes, beaux et heureux, ils se retrouvent soudain face à trois tombes ouvertes, où ils aperçoivent les squelettes qui leur rappellent la caducité de l’existence – apparaît dans de nombreuses traditions figuratives de l’Europe médiévale et accompagne souvent cette phase de la culture chevaleresque qui, née à l’époque des chevaliers de la Table ronde et des gestes du roi Arthur, rejoint ensuite le courant artistique appelé « gothique international », commun à toutes les grandes cours européennes, de la France à la Pologne, de l’Italie à l’Angleterre. La méditation sur la caducité de la vie est en outre constamment présente dans les grandes représentations médiévales des « Triomphes de la Mort ». L’image du squelette fauchant les existences des humains y devient le symbole de l’égalité de tous face à la mort. Il s’agit, en un certain sens, de la seule forme de pensée démocratique ayant eu cours au Moyen Âge : l’idée selon laquelle tout le monde est égal face à l’événement ultime de la mort offre le seul véritable espoir, la seule véritable consolation à tant de peuples écrasés sous le joug de la servitude constante imposée par les pouvoirs constitués, et qui pouvaient percevoir uniquement dans l’image artistique le reflet de cette vie chrétienne authentique, prêchée par beaucoup et pratiquée par quelques-uns. Le Triomphe de la Mort est justement un triomphe et rend l’image de la mort qui frappe puissante et inexorable ; elle connaîtra des développements grandioses et culminera dans d’immortels chefs-d’oeuvre, tel le Triomphe de la Mort du palais Sclafani de Palerme, une immense fresque peinte, vers le milieu du XVe siècle, par un artiste jamais identifié avec certitude, mais en tout cas d’un très haut niveau : il parvint à offrir une synthèse suprême de toute la tradition iconographique médiévale, avec l’image terrible de la mort, présentée sous forme de squelette et traversant, sur un cheval lui aussi squelettique, la scène d’une cour joyeuse où des princes, des souverains, de très belles dames, de galants chevaliers, des ecclésiastiques, qui fêtent leur fortune et leur bonheur, se retrouvent fauchés sans pitié, dans un espace pictural qui se prévaut de toutes les découvertes de la Renaissance (en particulier la perspective rationnelle, le naturalisme le plus convaincant et la dignité suprême des expressions) pour aboutir à un résultat bouleversant de force et de terreur. En somme, l’avertissement du squelette de Masaccio avait eu d’immenses effets sur les arts figuratifs, où le sujet de la vanitas acquit une profondeur accrue. Il faut cependant attendre une époque plus proche de nous pour que ce sujet soit développé et approfondi dans une optique plus laïque et plus lucide, susceptible d’affranchir ce thème angoissant de ses tourments avant tout religieux (qui avaient en tout cas conduit à des résultats d’une extraordinaire prégnance, tel justement le Triomphe de la Mort de Palerme) et de l’insérer dans un horizon de pensée plus vaste et plus proche de la sensibilité de l’homme contemporain. (...)"
CLAUDIO STRINATI, Directeur général du Ministère de la Culture italien et commissaire de l’exposition
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