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Markus Raetz |
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Carré d'Art - Musée d'art contemporain de NîmesExposition du 1er février au 7 mai 2006"Figure, dans la collection de Carré d'Art, une oeuvre de Markus Raetz qui est emblématique de son travail, et de la vision que chacun peut avoir de l'espace et du temps, tremplins vers les dimensions ultimes. Quelques lames métalliques suspendues oscillent au gré des courants d'air et composent deux visages, sans cesse se mouvant, entre la tragédie et la comédie des masques du théâtre grec. Au hasard est confiée la morphologie de chacun de ces portraits traversés de vie, et si pleins de sens, celui de l'évolution des âges (de l'âge...) jusqu'à être une nouvelle illustration de l'énigme posée par le Sphinx à laquelle les Oedipes d'aujourd'hui auraient sans doute bien du mal à répondre... Ces transformations sont une constante de l'oeuvre de Markus Raetz. C'est en cela qu'elle est fascinante. L'artiste nous apparaît comme un authentique démiurge, et le mot de créateur (presque avec une majuscule !...) lui convient sans conteste. Ces "Métamorphoses" (auxquelles nous offrons la majuscule en référence à Publius Ovidius Naso) nous conduisent sur les chemins à la fois larges et escarpés de la réflexion sur l'évolution (au sens darwinien du terme) que cette oeuvre polymorphe engendre. Elle est étonnamment vivante et d'éternelle actualité. En cela, rien d'étonnant. Pour deux raisons. L'artiste fut, dans une vie antérieure, pédagogue. Et l'on sait que cette forme d'art prépare à tout. Et, surtout, il est intensément méditerranéen. Ses fréquents et réguliers séjours sur les rivages de la civilisation lui ont offert les plus vastes horizons tout comme ils lui ont ouvert toutes grandes les arcanes des mythes fondateurs. Carré d'Art, au coeur du forum de la Rome française se réjouit d'accueillir l'oeuvre de Markus Raetz qui ne pourrait trouver plus naturelle terre d'élection et d'attention."
Jean-Paul Fournier - Daniel J. Valade
Le parcours de l’exposition mêle toutes techniques : volume, dessin, peintures, gravures. Le travail de Markus Raetz est de ceux qui transcendent l’échelle et peuvent impliquer tantôt une vision éloignée, tantôt l’observation la plus scrupuleuse. Comme le catalogue, la sélection des oeuvres dans l’exposition souligne la continuité de l’oeuvre.
La première salle est organisée autour de quatre oeuvres emblématiques de cette recherche. Les Kopfmodelle où se croisent deux profils découpés liés par des bandes plastiques amorcent dès 1966 la réflexion sur le rendu du volume, présent encore récemment dans les sculptures comme Moulin sans tête ou Moulage. Cette recherche est perceptible également dans le fort contraste des valeurs de Szenen II (1984), scènes énigmatiques réalisées par impression sur papier journal et rappelant un exercice de perception de la « gestalt ». Eva, 1970, est la toute première des sculptures réalisées à partir d’éléments végétaux. Deux branches figurent les hanches d’une femme, la troisième en Y forme le pubis. La Frise de Naples, 1979-80 reprend en une ligne de signes tous les motifs qui se sont élaborés au cours des années 70 et réapparaîtront régulièrement dans le travail : visages, profils, silhouettes, motifs du motard ou du danseur, en métal, matière végétale, plastique, papier… Les années 70, dans les nouveaux mediums que sont la photographie, la vidéo, les textes, ont vu naître chez de nombreux artistes un véritable travail d’indexation, de recherche sur les éléments premiers qui peuvent faire oeuvre d’art. Ce travail à partir de l’élémentaire est une pratique constante de Markus Raetz qui décompose les mots ou les parties du corps, comme dans les Mimi, 1979 (silhouette assemblée à partir de madriers de bois) ou dans les dessins Hier oder dort, 1996, qui étudient les formes des lettres de ces deux mots superposés selon tous les axes possibles de vision. Dès 1970, Netzhautänzer décline sur une grande toile libre les positions successives d’un petit bonhomme dansant, schématiquement constitué de 7 éléments. Ce travail de combinatoire donne lieu à de longues suites de dessins ou de polaroids et à l’apparition de projets parallèles. Ainsi à côté des silhouettes réelles de Mimi, les dessins de l’Amour, 1980, illustrant le texte de André Breton et Paul Eluard, questionnent au plus juste le moment où de quelques coups de pinceau naît une silhouette. Markus Raetz s’est beaucoup intéressé au motif du buste de femme dans un médaillon, détail d’un tableau de Delvaux L’Aurore, 1937 (Miroir, 1986, édition 2003). Dans le tableau, le torse est décalé dans l’ovale du médaillon et il semble impossible de détecter la source du reflet. L’une de ses principales quêtes est de questionner cette origine et de susciter la naissance de la forme à partir du désordre des éléments épars (Dryade, 1985-1988). Les branches de Zweige (1984-1987) dessinent sur le mur des torses de jeunes filles. Dans Köpfe, les feuilles d’eucalyptus forment des têtes. Comme dans le dessin, le trait est suggéré autant par la matière que par les espaces. La pesanteur déjà mise à mal par la légèreté du matériau utilisé, est sans cesse contestée par le retournement du sens des têtes ou des corps. Les contours qui délimitent alternativement l’une ou l’autre forme, repoussent sans cesse les limites corporelles de la figuration et annoncent la fluidité des anamorphoses à partir de 1982.
Au delà de la traduction formelle de ce que l’on voit et du travail sur le relief, très tôt, Markus Raetz s’intéresse à ce qui structure notre perception. Si dans les années d’Amsterdam, plusieurs pièces, installations ou dessins, prennent la forme d’expériences conceptuelles sur l’enregistrement grâce aux nouveaux moyens que sont la caméra vidéo et le magnétophone à cassette, il n’en poursuit pas moins simultanément une figuration poétique sur les mêmes questions. Le cône de vision est un véritable cône qui sort de l’oeil (Eye Cone, 1986-1989, Doppelkonus, 1986-1988). Il a un rapport évident avec la Pointe à l’oeil de Giacometti, la cruauté en moins. Il rappelle le faisceau lumineux de la projection filmique tout autant que les schémas des manuels de perspective du XVIIe siècle. Le mouvement inverse de l’extérieur vers l’intérieur est illustré par ce dessin où deux mains rentrent dans les orbites pour se saisir du cerveau (Kluge Kugel). Les sens sont le passage de l’intérieur vers l’extérieur, et vice versa une conception matérialisée au même moment par les nombreux dessins et peintures de cavernes ouvrant sur la mer. C’est aussi le flux des sensations et des humeurs qui régissent nos relations au monde extérieur (Innen-Aussen, 18-7-1987, Sinne, Sens, 23-7-1987). Ici ou là, je et nous, le point et l’infini, le travail de Markus Raetz lie les pôles extrêmes. Dans Seeblick II (1981-1985), l’angle de l’oeil se poursuit dans l’infini de la mer, matérialisée par de petites plaquettes de bois peintes de paysages maritimes. L’une des pièces qui relie la perception au paysage est de l’ordre du mirage. Seemansblick examiné de loin par un petit personnage aux jumelles (Fernsicht), est constitué par une plaque de métal pliée. Les reflets de l’environnement qui s’organise autour de l’horizon qu’est ce pli, donnent l’impression d’un paysage aux couleurs changeantes, tel celui des nombreuses études et aquarelles peintes devant la baie de Ramatuelle en 1987.
Le travail sur les mots est une direction qui ne se démentira pas. Il porte tant sur la forme des lettres, les homophonies, le passage d’un mot à l’autre par simple changement d’une lettre, ou bien encore l’étonnement devant les sens différents que prend la même graphie dans des langues différentes. La première apparition du miroir dans son travail est un dessin portant sur des lettres de formes symétriques (Otto). Dans Ich-wir, 1970, c’est, de façon réelle, le passage du moi au nous qui crée la forme puisque la sculpture est faite en papier tendu sur des fils qui relient chaque point des lettres correspondantes. Comme en poésie, Markus Raetz recrée le sens à partir de la forme, pour lui, il n’y a pas de sens donné. En 1971, il réalise, à partir d’un ensemble de 1525 dessins au trait, un dessin animé Eben. Durant son séjour à Amsterdam (1969-1973), Markus Raetz se rapproche du vocabulaire formel de la bande dessinée. Le Schnelles Sujet, 14- 12-1970, sujet rapide, dessine la trajectoire d’un corps lui-même invisible. Comme dans les cadavres exquis surréalistes, des objets sans relations évidentes se côtoient, par déformation une forme en engendre une autre. Dès cette époque, les catégories du mouvement, du mou ou du dur, parce qu’elles permettent de penser le passage d’une dimension à l’autre articulent ses recherches. A partir de 1974, Markus Raetz s’attache au mouvement réel : déplacement du spectateur qui découvre différents objets dans la même forme, mouvement des éléments des mobiles. L’apparence ne coïncide pas avec l’existant ; à tout moment, elle est susceptible de se modifier entraînant un passage aux extrêmes, du oui au non, du je au collectif. Son univers n’est pas stable et est même susceptible de passer d’un extrême à l’autre, ce qui, pour lui, recouvre une véritable interrogation sur l’être des choses. Les deux pôles des sculptures de mots peuvent être semblables (same/same, Echo) ou opposés todo/nada, oui/non. Il y a chez lui une fascination dans le fait qu’une forme puisse contenir son contraire. Dans Metamorphose II, Beuys n’explique plus l’art à un lièvre. Pour peu que l’on soit bien placé, Beuys est le lièvre, la bouteille est le verre, la pipe est fumée, oui est non, dans une mise en doute continuelle du sens commun et de l’apparence. Les têtes de Markus Raetz sont asexuées, sans âge, sans expression. Avec Duo, 1996-1998, il aborde un travail sur l’expression telle que la tradition de l’enseignement de la peinture les a défini en 256 tempéraments. Des petites lames de métal représentant la bouche, les yeux, les sourcils, les narines de deux visages sont mises en mouvement par l’air chaud émanant de deux plaques chauffantes. Les traits des visages bougent très lentement, et dans le hasard de ces mouvements apparaissent les expressions différentes sur les deux visages. Les premières recherches (1966) en dessin comme en sculpture interrogent le volume par la superposition de reliefs colorés. Dans le Gyroscop (1995-1999), le mouvement circulaire de deux branches incurvées suggère l’ondulation des hanches d’une danseuse et développe une idée déjà présente dans Eva.
Quand il arrive à Amsterdam en 1969, Markus Raetz s’attache plus particulièrement à l’apprentissage des techniques de gravure, fondées pour la plupart sur le contraste des parties encrées sombres et des clairs des réserves. Une série de dessins réalisées vers 1976-1977 autour des contrastes de l’ombre et de la lumière approprie aussi cette dualité essentielle des formes. Dans l’aquatinte See-saw, 1991, une planche reçoit le rond lumineux provenant d’une lampe et penche sous la lumière comme une balançoire : Nothing is lighter than light. Dans Schatten ou Reflexion I, II, III, traitées en héliogravure, c’est l’action même de la lumière qui crée l’oeuvre. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, de nombreuses recherches portent sur la dématérialisation de l’oeuvre. De l’une de ses gravures à l’autre, pour Markus Raetz aussi, se marque un passage de la représentation au simple transfert de la réalité, qui flirte avec l’inframince, catégorie inventée par Marcel Duchamp. De même dans Sans Titre (d’après Man Ray), ou Moulin sans tête, 1993-2003, la forme parfaite, corps de femme ou tête, apparaît, fugitivement et souvent par déduction, dans le creux.
Dans l’atelier de Markus Raetz, cohabitent des projets de différentes époques, maquettes de mots
ou de volume, des expérimentations sur des dispositifs lumineux ou de rotation à partir desquels
vont se formaliser les oeuvres. Ces fils métalliques, spirales, fragments de plastique bougent au
gré des mouvements d’air, de la chaleur. Le plus souvent leur ombre est aussi importante qu’eux
mêmes.
Le dernier mur de l’exposition mettra en scène certains de ces dispositifs.
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