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Mark DionA World For The Spoiling |
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Réalisé conjointement avec Dana Sherwood, The Cabinet of Delight and Ruin consiste en un ensemble de “pâtisseries”, disposées sur un présentoir en pyramide et placées dans une vitrine de style art déco. Magnifiées par cet écrin, ces répliques en résine aux formes sophistiquées et aux couleurs attractives sont produites à partir de moules à gelée datant du XIXe siècle. Un regard plus attentif permet de déceler quelques insectes inertes, comme piégés par ces douceurs raffinées et kitsch. Le thème de la Vanité, qui traverse l’histoire de l’art, se voit ainsi réinterprété sans nul recours au crâne, lieu commun de la Vanité contemporaine. Davantage, l’oeuvre aborde la question des goûts et du goût, nous entretient de culture et de classe sociale, de savoir-faire et de tradition, de facticité et de leurre, de beauté illusoire et de fugacité.
The Phantom Museum est un cabinet de curiosités dont l’une des singularités, comparé à ceux réalisés auparavant par Mark Dion, est de ne comporter aucun objet trouvé. En effet, travaillant souvent en collaboration avec divers musées d’archéologie et d’histoire naturelle, l’artiste a souvent emprunté aux institutions une partie des éléments exposés, tandis que d’autres sont chinés sur les marchés aux puces et autres brocantes. Si le cabinet de curiosités constitue chez Dion la métaphore et la représentation microcosmique du Musée et de la collection – et, partant, du processus de muséification lui-même –, il évoque aussi bien nos étagères emplies de souvenirs de toute sorte. Comme le suggère son titre, The Phantom Museum, renvoie autrement à la mémoire et à l’Histoire : les “choses” représentées ont pour modèle les gravures issues de Die geöffnete Raritäten-und Naturalien- Kammer, un ouvrage datant de 1704, attribué à Paul Jacob Marperger. L’auteur – qui fut l’un des premiers à théoriser l’idée de collection – y explique, illustrations à l’appui, comment doit être constituée une wunderkammer, quels spécimens doivent y figurer, etc. Racines, coquillages, coraux et minéraux y côtoient mammifères, reptiles, monstres naturels et chimères, ainsi que divers artefacts.
Traduites en papier mâché ou en plastiline, semblablement unifiées par leur aspect osseux, ces curiosités ont perdu ce qui faisait leur spécificité pour s’offrir comme des spectres d’elles-mêmes. Ces transpositions successives – chez Marperger, du spécimen à la gravure et, inversement, chez Dion, du dessin à la figure tridimensionnelle – répondent à un processus d’abstraction : dans ces fantomatiques simulacres de simulacres de simulacres, le réel laisse place à l’Idée.
The Shooting Gallery est une sorte d’hybride entre cabinet de curiosités et stand de foire. Considérés comme nuisibles ou appétissants, les animaux qui y sont diversement représentés sont ceux que l’on chasse traditionnellement – tels les cerfs, lièvres et canards –, mais également ceux que l’on tente d’éradiquer, tels les rats. Du reste, le spectateur pourra libérer ses pulsions de destruction et mesurer son habileté au tir, comme Nicky de Saint-Phalle lui en avait offert l’occasion au début des années 1960. Les trophées en peluche, eux, nous renvoient à notre enfance et au souvenir de la douceur rassurante de leur contact. Qu’il soit envisagé comme objet d’étude, de collection ou de convoitise, le monde animal est omniprésent chez Mark Dion. Préoccupé depuis longtemps par les enjeux écologiques, l’artiste pointe ici les tendances contradictoires de nos affects et comportements vis-à-vis du monde naturel.
Engendrant des attitudes proprement aberrantes, ces contradictions sont au coeur de l’oeuvre intitulée The Sturgeon. L’une des plus anciennes espèces de poisson, chassée et braconnée comme on sait pour ses oeufs, est aujourd’hui gravement menacée d’extinction. Dion représente l’esturgeon englué dans un lit de goudron mêlé de joaillerie de pacotille. Sur le mode de la parabole, The Sturgeon soulève la question de la rareté, de la valeur, et de leur place dans l’économie mondiale. Ce simulacre de trésor figure, métaphoriquement, l’absurdité, l’anachronisme de la chasse au caviar, destinée à quelques privilégiés. Exhibé dans une châsse de verre, l’animal est montré comme étant d’ores et déjà un futur vestige, relique d’une société fondée sur des politiques à courte vue. De manière indirecte et sans esprit moralisateur, ces oeuvres sont des miroirs qui nous sont tendus, en lesquels se reflètent nos illusions, nos croyances, et notre inclination à regarder vers le passé plutôt que vers l’avenir. Entre utopie et désillusion, l’exposition A World For The Spoiling est empreinte de mélancolie, mais elle atteste aussi d’un art lucide, réflexif et résolument engagé.
Natacha Pugnet