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Jean-Louis Forain |
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Petit Palais, ParisExposition du 10 mars au 5 juin 2011Exposition Jean-Louis Forain "La Comédie parisienne" - Petit Palais, Paris Jean-Louis Forain (1852-1931) acquiert auprès du public une immense renommée en publiant pendant un demi-siècle des dessins pleins d’ironie qui dénoncent les travers du bourgeois dans des journaux aussi variés que Le Figaro, Le Courrier français, The New York Herald ou Le Rire. Au-delà de la satire, Forain est avant tout un peintre de moeurs qui met en relief les dessous de la société parisienne de La Belle Epoque aux Années Folles. Avec plus de 200 huiles, aquarelles, pastels, gravures et dessins, le Petit Palais dévoile une aventure artistique des plus fécondes depuis la jeunesse du plus incisif des impressionnistes jusqu’à l’expressionnisme des dernières années. Menant à ses débuts une vie de bohème en compagnie de Rimbaud et de Verlaine, il se lie avec de nombreux écrivains, notamment Huysmans. Il est le plus jeune artiste à assister aux discussions enfiévrées menées par Edouard Manet et Degas au Café Guerbois, puis à La Nouvelle- Athènes. Imprégné des théories impressionnistes sur la lumière et la couleur, il privilégie les scènes de la vie quotidienne - spectacles, coulisses, cafés, courses, lieux d’élégance et de plaisirs, soirées mondaines - dans quatre expositions impressionnistes entre 1879 et 1886. Ses dessins sont rassemblés en volumes dont le premier, La Comédie parisienne, est publié en 1892. Après 1900, en peintre moraliste, il proteste contre les injustices dans de pathétiques scènes de tribunaux où la lumière se répand en souvenir de Rembrandt et de Daumier. Les orages qui bouleversent la troisième République - Panama, la crise anarchique, les Fiches, les Inventaires - l’orientent vers l’actualité politique qu’il commente avec férocité. Il n’évite pas sur certains sujets les pires errements, comme sur celui de l’Affaire Dreyfus. Pendant la guerre de 14-18, tandis que ses illustrations de presse exaltent le patriotisme de ses contemporains, il s’engage dans la section de camouflage. Enfin, septuagénaire, le peintre ne recule devant aucune audace et retranscrit l’atmosphère endiablée des années vingt avec un pinceau toujours plus rapide et puissant. Passant par toutes les hardiesses d’un trait puissamment synthétique, son art est admiré de Toulouse-Lautrec aux caricaturistes d’aujourd’hui, tel Plantu qui préface le catalogue de l’exposition. Cette rétrospective sera ensuite présentée à l’été 2011 aux Etats-Unis, au musée de Memphis : The Dixon Gallery & Gardens.
Le commissariat de l'exposition est assuré par Gilles Chazal, conservateur général, directeur du Petit Palais et par
Florence Valdès-Forain, historienne d’art,
assistés de Joëlle Raineau, collaboratrice scientifique au Petit Palais
Le jeune rapin réalise de nombreuses copies au Louvre et au Cabinet des estampes de la Bibliothèque impériale où il découvre Goya et Rembrandt qui vont fortement l’influencer. Après un bref passage chez Gérôme, Carpeaux le prend pendant un an environ dans son atelier d’où il est chassé en 1869 pour une malheureuse affaire de sculpture endommagée. Exclu en conséquence du logement familial, Forain mène une vie de bohème et de grande misère. C’est à cette époque qu’il devient l’ami de Verlaine et Rimbaud qui le surnomment Gavroche. À leur contact, il découvre la poésie et la littérature. En 1874, il est refusé au Salon des artistes français et rejoint alors le cercle des artistes indépendants qui se réunissent au café Guerbois, puis au café de la Nouvelle Athènes. Il se rapproche de Degas et Manet, et s’imprègne des théories des impressionnistes sur la lumière et la couleur. A vingt-six ans, il achève un lumineux portrait au pastel de l’écrivain Huysmans qui l’encourage et lui propose d’illustrer Marthe, histoire d’une fille (1879), puis Les Croquis parisiens (1880). C’est le début d’une longue amitié.
En exposant à quatre reprises avec les impressionnistes - de 1879 à 1886 – Forain, le benjamin du groupe, démontre qu’il a parfaitement intégré les procédés de ses maîtres Manet et Degas : que ce soit la façon de poser la lumière artificielle ou d’ordonner d’audacieux cadrages japonisants. Avec Femme respirant des fleurs, il est particulièrement proche des Indépendants: cette élégante, coupée du monde, à la recherche de sensations olfactives « tire l’éternel du transitoire » cher à Baudelaire. Le regard pénétrant et critique qu’il porte sur la société parisienne caractérise son art. Il se plaît à dévoiler les réalités de la High-life et de la Low-life. A vingt-sept ans, il a la hardiesse d’exposer une scène de maison close, Le Client, pour montrer que la prostitution fait partie du quotidien. Le Buffet, tableau reçu au Salon de 1884, « possède encore un cachet incisif qui le différencie des oeuvres des autres peintres » écrit Huysmans.
L’éventail Soirée à l’Opéra est emblématique de la vision de Forain : ce n’est pas la féerie du spectacle qui l’attire, mais ce qui se passe derrière la scène – dans les coulisses – et devant – dans les loges des spectateurs. Les abonnés accompagnent les élégantes et s’encanaillent avec les « petits rats ». À cette époque, il est de bon ton de s’abonner à l’Opéra afin d’avoir accès au foyer… et de pouvoir prendre pour maîtresse une danseuse ou une actrice, telle Nana, l’héroïne de Zola. Cependant, la réalité est plus crue : la misère pousse la ballerine à trouver un « protecteur » qui lui assure des conditions d’existence matérielle décentes. Les figures de l’abonné et la danseuse sont présentes dans le répertoire de Forain tout au long de sa carrière : d’abord observateur amusé, l’artiste crie ensuite sa rage devant la détresse des jeunes filles contraintes d’accepter les avances masculines.
Forain aime se promener dans les rues de Paris et saisir sur le vif le spectacle de la vie quotidienne. Ses décors sont sommaires, tout juste esquissés, qu’il s’agisse d’une scène de rue, d’un bal, d’un cirque ou d’un café concert. Ses paysages sont peu nombreux et rarement exécutés d’après nature. Avec les scènes nocturnes, il étudie les variations de la lumière artificielle au gaz, les ombres qu’elle engendre sur les visages ou les vêtements. Il s’intéresse aussi à l’ambiance créée par un lampadaire. L’artiste concentre autant son attention sur la vie mondaine et frivole, qu’au Paris populaire. Son crayon s’arrête sur des « types » : la prostituée, le trottin, la demi-mondaine, le dandy, le bourgeois prétentieux, les parieurs. Les gestes, les attitudes, l’expression et la psychologie de ses modèles sont analysés avec minutie. Pour les grandes courses, il va sonder la foule et observer des personnages en particulier afin d’analyser les différentes facettes de la vie moderne.
A vingt-quatre ans, en 1876, Forain publie son premier dessin de presse dans Le Scapin, mais c’est à partir de 1887 que Le Courrier français puis Le Figaro, L’Echo de Paris et The New York Herald se disputent sa collaboration. Ses dessins rapides et puissants exécutés à l’encre de Chine associent souvent le drame à la comédie. Il aime mettre en avant les travers et les vices de la société, ceux de la noblesse, de la bourgeoisie affairiste, des danseuses, des petites femmes, des comédiens, ou des domestiques… thèmes qui ne sont pas sans rappeler Gavarni ou Daumier. Loué pour le choix de ses mots et son esprit de synthèse, il est contacté par l’éditeur Le Charpentier pour publier un florilège de ses 248 meilleurs dessins dans La Comédie parisienne en référence à La Comédie humaine de Balzac. Par ailleurs, il est considéré comme un maître de la lithographie pour la profondeur de ses noirs et la luminosité de ses blancs.
Le Café Riche, institution très parisienne sise à l’angle du boulevard des Italiens et de la rue Le Peletier, se mue en café-brasserie en 1894. Dix-sept cartons sont commandés à Forain afin de réaliser une frise en façade exécutée par le mosaïste italien Facchina, qui réalisera bientôt le pavement de mosaïque du Petit Palais. Le café Riche est rasé en 1899. Deux panneaux de mosaïque associés à dix cartons préparatoires, rassemblés ici pour la première fois, rendent compte de cette ornementation éphémère qui illustre les moeurs de la vie parisienne avec des types immédiatement reconnaissables par l’homme de la rue. Le masque qui dissimule le visage de La Femme avec Loup et gants noirs, comme l’éventail qui cache celui du dandy de La Confidence au bal, suggèrent les intrigues de la comédie de moeurs que Forain intitule La Comédie parisienne. Maître de la ligne, Forain simplifie les formes. Sa science du dessin lui permet de synthétiser par grands aplats de couleur. Il procède de même pour l’affiche, mode d’expression qu’il expérimente aux côtés de jeunes artistes comme Lautrec. Ce dernier déclare dès 1891: « Je ne suis d’aucune école. Je travaille dans mon coin. J’admire Degas et Forain ».
De 1893 à 1925, Forain livre 2500 dessins que Le Figaro, L’Echo de Paris et Le Gaulois publient régulièrement et dont la moitié ont un caractère politique. La simplicité et la sobriété de son style et de ses légendes rendent le message lisible instantanément. La rapidité et la puissance du trait permettent de trancher dans le vif, parfois avec férocité. L’artiste, après s’être consacré à la caricature de moeurs, s’intéresse aux « Affaires » de la IIIe République : le scandale de Panama, la crise anarchiste et la séparation de l’Église et de l’État. Ses excès se révèlent particulièrement regrettables lorsqu’il décide, par exemple, de participer activement au combat antidreyfusard jusque dans ses implications antisémites en fondant l’hebdomadaire Pstt !...avec Caran d’Ache et le soutien actif de Degas et Barrès. Forain pointe les travers de la justice à l’instar d’un Daumier. Dans les tribunaux, il propose des instantanés et montre le désespoir des accusés en proie à l’indifférence des juges et des avocats. Leurs expressions, la théâtralité de leurs gestes et de leurs tenues sont étudiées avec virtuosité.
Lors de Noël 1900 passé en compagnie de Huysmans et des bénédictins de Ligugé, Forain, à 48 ans, décide de se consacrer à des « travaux d’art plus dignes ». Des eaux-fortes et des pointes sèches tirées à peu d’exemplaires illustrent les épisodes bibliques et les représentations de Lourdes. Evoquant les principales paraboles et les scènes de la vie du Christ, ses estampes montrent une maîtrise absolue du noir et du blanc. Alors qu’il évoque l’humanité à partir du noir, il figure le mystère et la foi, en créant des halos de lumière avec le blanc du papier. Forain multiplie les gravures et les états sur un même sujet, mais mentionne peu de références anecdotiques, de détails narratifs. Le trait se fait fiévreux, aiguisé, spontané à la manière de Rembrandt. L’artiste joue avec les angles droits, les hachures, les lignes brisées. Il cherche autant à provoquer une émotion violente qu’à inspirer au spectateur une impression de sérénité. Pour cela, il met en relation les scènes bibliques avec la vie contemporaine et donne à ses oeuvres une dimension universelle.
Forain participe au conflit de 1914-1918 comme correspondant de guerre. Il s’engage, à 62 ans, sous les drapeaux et rejoint la section de camouflage. Déjà de grande renommée, il consacre son art exclusivement à la guerre et laisse un témoignage graphique de 208 dessins. Du 5 décembre 1914 au 28 juin 1919, il propose un dessin de presse de manière hebdomadaire voire quotidienne dans L’opinion, Le Figaro, Oui, ou L’Avenir, puis les réunit en 1920 dans deux albums intitulés De la Marne au Rhin. L’artiste devient le porte-parole des soldats. A l’aide de ses dessins et de ses légendes, il rend compte de l’actualité, et met en avant les grandes batailles, la vie dans les tranchées... Sa concision, son ironie sont mises au service des événements politiques, militaires, économiques et sociaux. L’artiste s’est fixé pour objectif de réveiller ou renforcer le sentiment patriotique de ses contemporains. Rapidement, il est considéré comme l’un des meilleurs interprètes, tant au niveau moral que spirituel, des sombres événements de la Grande Guerre.
À ses débuts, Forain s’attaque à un sujet aussi conventionnel que le nu avec réalisme et provocation en représentant des prostituées (Salle 1). Puis, séduit par le concept naturaliste du nu à la toilette, il montre des modèles féminins dénudés dans leur intérieur : au bain, se séchant ou se coiffant. « C’est comme si vous regardiez à travers le trou de la serrure », déclare Degas. A partir des années 1903-1905, il renouvelle sa vision du nu en évoquant aussi des figures isolées en dehors du cadre quotidien de la toilette. Il sublime son émotion devant la beauté féminine, magnifiée par la caresse du dessin, la puissance des volumes et l’audace de certains raccourcis. Le nu n’est pas le motif exclusif de la composition des scènes d’atelier. Dans Le Peintre et son modèle, la muse regarde le tableau tout juste achevé que l’artiste lui soumet d’un regard interrogateur. Forain exprime alors ses propres incertitudes liées à la création artistique : son doute se dévoile-t-il ici, de la même façon qu’il se lit dans ses autoportraits.
Scrutant la mobilité d’un regard, la vérité d’une expression, la séduction d’un visage, Forain représente avec réalisme et naturel des élégantes, des amis, sa famille et lui-même. S’intéressant avant tout à l’être humain, à sa sensibilité, à son caractère, il résume le trait dominant de la personnalité du modèle sans chercher à décrire l’espace : ses personnages émergent habituellement de fonds indifférenciés, clairs à ses débuts, puis plus sombres, parfois zébrés de coups de pinceau vigoureux. Dans les années impressionnistes, il place ses modèles masculins devant des couleurs éclatantes qui tranchent avec leurs costumes. Ce contraste accentue la dimension satirique de la silhouette de son ami le peintre Jacques-Émile Blanche : « J’ai peur qu’il n’y eût là un peu de cette férocité caricaturale et de cette exagération que je retrouve dans cette silhouette de moi-même ou de quelqu’un qui, m’assure-t-on, fut moi, vêtu comme un entraîneur, les jambes écartées, énormément gras et antipathique, cravaté de rose, sur fond de vert laitue. »
Dès 1919, Forain ralentit sa collaboration avec la presse, avant de l’interrompre définitivement en 1925 : « La nécessité de trouver chaque matin un sujet, une légende m’obsédait. […] Enfin, j’allais pouvoir me consacrer entièrement à ma peinture. » C’est avec l’enthousiasme de ses jeunes années, que le septuagénaire guette les bouleversements de l’après-guerre et se passionne pour les moeurs des Années folles. Fidèle à son aspiration, il reste particulièrement attiré par la vie nocturne. Son oeuvre crépusculaire est étincelante de liberté, de vigueur et d’audace. Pressé par le temps, l’artiste renouvelle son langage et le simplifie. Les dernières peintures sont marquées par une fougue gestuelle issue d’un nouvel élan et par le culte de l'inachevé, car selon lui, « un tableau, pour être ragoûtant doit être terminé en esquisse ». C'était « le secret de Rembrandt, de Rubens, de Fragonard ». Ce qu’il suggère, c’est un climat. Loin d’être descriptive, sa peinture n’est qu’émotion et perception des jeux de lumière.
Apollinaire considère Forain comme l’un des plus illustres artistes vivants : « c’est aussi un de ceux qui ont le plus d’influence sur la jeunesse artistique et qui gardent le plus d’autorité sur un public d’élite » (1914). Vuillard lui rend hommage en le représentant en 1927, puis en 1938 : il « n’avait pas moins de goût pour les dessins quotidiens de Forain que Delacroix pour ceux de Daumier » rapporte Thadée Natanson. Pour Forain, la presse constitue un extraordinaire moyen de diffusion. Il y publie inlassablement ses recherches. Ainsi, Rouault, Van Dongen, Jacques Villon, Derain et Hopper se sont enthousiasmés pour sa quête de synthèse et de simplicité, pour ses personnages enveloppés dans de grands plans. Le jeune Picasso livre le témoignage le plus direct en copiant dans ses carnets de Barcelone la signature de Forain ainsi que celle de Steinlen.
L’admiration de Plantu perpétue le rayonnement de l’artiste jusqu’à nos jours.
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