Henry Van de Velde et la reliure Art nouveau en Belgique (1892-1900)

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  Ludovic Moreeuw

Bibliotheca Wittockiana, Bruxelles

Exposition du 6 octobre 2010 au 16 janvier 2011

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En Belgique, le style Art nouveau se reconnaît au jeu de lignes souples et mouvantes ainsi qu’à une stylisation, toujours plus accentuée, des ornements floraux qui passent du figuratif au linéaire. Dans le monde des arts décoratifs à cette époque, la reliure belge sera essentiellement marquée par la forte personnalité de l’architecte décorateur Henry Van de Velde (1863-1957) qui, entre 1893 et 1900, va concevoir une vingtaine de décors pour des reliures exécutées par le brillant relieur bruxellois Paul Claessens et destinées au roi Léopold II en tant que souverain indépendant du Congo, à quelques hautes personnalités politiques proches de la famille royale, ou encore à Paul Claessens lui-même pour des ouvrages de documentation sur la reliure. Van de Velde ne se contentera pas de créer les décors, il va également dessiner les fers à dorer que son relieur attitré fera réaliser à Paris.

Belge et Anversois de naissance, Henry Van de Velde est en réalité une figure européenne. À la fois peintre, architecte, décorateur d’intérieur, enseignant et philosophe, il sera le fondateur et le premier directeur de l’Institut supérieur d’architecture et des arts visuels (l’actuelle École de La Cambre à Bruxelles), après avoir, dès la fin de 1900, vécu quelque trente ans en Allemagne (à Berlin d’abord, puis à Weimar où il prendra la direction de l’École des arts et métiers qui donnera, par la suite, naissance au Bauhaus) et aux Pays-Bas (où il devient le conseiller des très influents collectionneurs Kröller-Müller qui le solliciteront plus tard pour dessiner les plans de leur célèbre fondation à Otterlo).

Avec Victor Horta et Paul Hankar, Henry Van de Velde est l’un des fondateurs de l’Art nouveau belge. Après avoir intégré en 1889 le groupe avant-gardiste bruxellois des « XX », collaborant à l’hebdomadaire L’Art Moderne qu’édite Octave Maus, il délaisse totalement la peinture néoimpressionniste pour se tourner en 1892 vers la décoration et l’architecture. Il crée sa propre firme consacrée aux arts d’industrie et d’ornementation, la “Société Henry Van de Velde & Cie” à Bruxelles, qui est également présente à Paris à “La Maison Moderne”. En 1895 il est en contact avec Samuel Bing qui dirige à Paris la célèbre galerie “Art Nouveau” et pour lequel il conçoit des intérieurs et des meubles pour sa galerie. Il développe un style abstrait et fonctionnel, marqué de lignes arrondies, annonçant le design industriel et il ouvre une succursale de sa firme à Berlin en 1898. Henry Van de Velde sera alors considéré comme l’un des acteurs majeurs du mouvement moderniste de l’architecture et du design en Europe au début du XXe siècle.

Pendant la présidence belge de l’Union Européenne, la Bibliotheca Wittockiana, musée de la reliure et des arts du livre, a décidé de mettre encore davantage en valeur le rayonnement international de l’Art nouveau belge en organisant une exposition de grand prestige qui mettra l’accent sur l’art du livre, tant au niveau de l’illustration qu’à celui de la reliure, puisque ce musée possède dans ses collections, outre plusieurs reliures décorées conçues par Van de Velde, toutes les maquettes originales de l’artiste ainsi que les fers à dorer originaux gravés à Paris chez Béarel d’après les dessins créés par l’architecte-décorateur lui-même. Pour la toute première fois il sera montré au public l’ensemble complet des reliures Art nouveau exécutées par le relieur Paul Claessens d’après des cartons de Van de Velde et actuellement connues (notamment celles se trouvant au Museum für Kunst und Gewerbe à Hambourg) avec, en regard, chaque projet original dessiné par l’artiste lui-même ainsi que le matériel de dorure provenant de l’atelier de Paul Claessens.

Afin de rendre l’exposition plus attrayante encore et pour attirer un public plus large et plus diversifié, une place importante sera accordée au design avec la présence de plusieurs meubles et objets (tels que pièces d’orfèvrerie ou bijoux) créés par le célèbre architecte décorateur belge, et cela grâce à la collaboration des Musées Royaux d’Art et d’Histoire qui ont exceptionnellement accepté de bien vouloir prêter pour l’occasion le fameux candélabre à six branches acquis par l’État en 1900 lors de l’exposition de La Libre Esthétique. Des prêts de livres rares, lettres, manuscrits et autres documents précieux seront également accordés par la Bibliothèque royale de Belgique, les Archives et Musée de la Littérature, ainsi que l’École nationale supérieure des arts visuels (La Cambre). En outre, un intéressant programme audiovisuel (diaporama) viendra compléter cette exposition qui contribuera à apporter au pays une reconnaissance internationale dans le domaine de notre riche patrimoine mobilier.

Henry Van de Velde (Anvers 1863 - Zurich 1957), à la fois peintre, designer, architecte, décorateur d’intérieur, enseignant et théoricien, représente sans conteste pour l’Europe un des pionniers de l’Art moderne dont la production va se manifester durant toute la première moitié du XXe siècle. Son oeuvre très diversifiée offre cette particularité d’avoir été soumise à ses théories sur l’art qu’il basait sur la “conception rationnelle” et la recherche de la “forme pure” dans laquelle il opposait l’ornement, élément constitutif de la forme, à l’ornementation, considérée comme une décoration rapportée. Cette rigueur assez rare chez un créateur lui a permis de précéder en Europe toutes les tendances artistiques de son époque, allant de l’Art nouveau jusqu’au fonctionnalisme du mouvement moderniste et du Style international en passant par l’Art déco sans jamais en adopter les excès. Il en résulte une oeuvre qui, dans ses diverses manifestations et plus particulièrement dans les arts appliqués (comme c’est ici le cas avec les arts du livre), présente avec le recul du temps un classicisme novateur qui le distingue de ses contemporains. Pacifiste et cosmopolite convaincu, le visionnaire Henry Van de Velde appartenait à ce petit cercle d’artistes, d’intellectuels et d’hommes politiques qui croyaient déjà à une Europe débarrassée de ses nationalismes étroits.