Première rétrospective dédiée au collectif canadien General Idea,
"Haute Culture : General Idea" propose, à travers une sélection de
près de 300 oeuvres, une vision globale et dynamique de
son travail, sur lequel plane l’ombre de Miss General Idea,
personnage fictif qui fut à la fois muse et objet, image et concept.
Fondé en 1969 à Toronto par, Felix Partz, Jorge Zontal – tous
deux décédés en 1994 - et AA Bronson, le collectif se dote d’un
nom générique lui permettant de se "libérer de la tyrannie du
génie individuel". Il élabore une oeuvre complexe où
s’entremêlent réel et fiction au service d’une relecture mordante,
transgressive et souvent parodique du monde de l’art et de la
société.
General Idea part d’une conception de l’image vue tel un virus
infiltrant le réel, s’en empare afin de l’habiter et d’en modifier le
contenu. Il élabore ainsi une version alternative de la réalité.
Le parcours non chronologique de l’exposition traverse les
principales interrogations du trio. Des thèmes tels que l’artiste et
le processus créatif, le glamour comme outil de création, les liens
entre médias et culture de masse, l’architecture et l’archéologie
sont ainsi abordés. La sexualité, considérée comme symbole
d’une organisation sociale à subvertir et le sida, à travers le
tentaculaire et emblématique projet AIDS, sont également
envisagés.
Entre peintures et installations, sculptures et photographies,
vidéos, magazines et programme télévisé, l’exposition explore le
caractère multimédia d’une oeuvre qui n’a rien perdu de sa
fraîcheur et apparaît rétrospectivement comme anticipatrice de
certaines évolutions du monde de l’art actuel, visionnaire d’une
société en pleine mutation.
Commissaires de l’exposition : Frédéric Bonnet et Odile Burluraux.
Parcours de l’exposition
En introduction à l’exposition, dans la vidéo Test Tube, la palette colorée de l’artiste est
assimilée aux couleurs de la mire télévisée. Cette oeuvre insiste sur la conception de l’image
selon General Idea, tandis que le Colour Bar Lounge traite de l’ambiguïté de l’image, et des
préoccupations sociales que sa diffusion induit. Se référant à des cocktails, au sens propre
comme au sens figuré, ces deux oeuvres constituent également une invitation à effectuer des
mélanges culturels, et à considérer l’altérité comme un apport et non comme une menace. XXX
bleu, simulacre de peinture gestuelle, entre hommage et irrévérence, rappelle les
performances d’Yves Klein.
Dès ses premiers travaux, General Idea s’interroge sur la création à travers un certain nombre
d’oeuvres conceptuelles. Par exemple, dans la performance Canvas Weaving, Felix Partz tisse
une toile qui ne sera jamais utilisée, faisant référence aux supports traditionnels du peintre. Ils
développent également une pratique de Mail art (art postal), en envoyant à leurs
connaissances de petites cartes souvent composées d’une image, ou quelques phrases
induisant à exécuter une action.
General Idea fait de la fiction un ressort permanent de son oeuvre. En 1971, le collectif crée un
personnage mythique qui deviendra leur muse, métaphore de l’oeuvre et de l’idée. Ils décident
qu’en 1984, soit treize ans plus tard, Miss General Idea sera révélée au public au cours d’un
concours de beauté. En attendant, deux autres Miss General Idea sont couronnées en 1970 et
1971 (The 1970 et 1971 Miss General Idea Pageant).
Des photos, des objets et une brève vidéo inédite rappellent ces événements. Pour le collectif,
le concours de beauté est une évocation conceptuelle du processus de création artistique, de
la production et de la présentation d’une oeuvre d’art. De 1971 à 1984, toute l’oeuvre a pour objet
de créer les éléments nécessaires à l’aboutissement de leur fiction.
L’originalité de General Idea a été de théoriser, entre sérieux et provocation, la notion de
glamour comme facteur de création et de reconnaissance pour les artistes. Un manifeste sur ce
thème parait en 1975 dans FILE, magazine qu’ils ont fondé en 1972. Au cours des années 1970,
c’est par le biais de la performance que General Idea travaille sur le glamour. Ils créent des
accessoires comme la V.B. Gown, une robe réalisée avec des stores vénitiens. Ils utilisent aussi
la Miss General Idea Shoe, soulier trouvé au talon vertigineux et à l’allure fétichiste qui,
transformé en compas, devient parfois outil de création et apparaît dans des
photographies.Tout en menant une recherche du grandiose et de l’éblouissement, General
Idea conserve des références constantes au vocabulaire et à la culture populaire.
L’art de General Idea ressemble à des décors dans lesquels les artistes se mettent en scène
dans différents rôles : en bébés ; entourés de leurs objets fétiches comme le tube à essai en
forme de dollar ou la ziggurat ; ou encore déguisés en caniches, un verre à cocktail à la main.
Alter ego et référence récurrente, souvent lisse et bichonné, ce chien représente pour General
Idea « l’instinct de plaire », une image gay et un élément d’inspiration.
Les caniches apparaissent notamment dans le triptyque Reverie, la série de blasons The
Armoury of the 1984 Miss General Idea Pavillion exposée dans le hall du musée, et des
performances comme XXX bleu (1984), présentée au début de l’exposition, et dans laquelle des
caniches ont servi de pinceaux aux artistes.
Entre 1975 et 1979, General Idea a réalisé cinq séries de Showcards (soit 304 au total). Ces
cartes rappelant des prospectus publicitaires présentent chacune une image et un texte
manuscrit relatif aux préoccupations des artistes. Toute la théorie de General Idea est dévoilée
dans ces documents.
General Idea s’est inspiré des média de masse et du format des programmes télévisés pour
certains de ses films dont Pilot, véritable documentaire télévisé réalisé pour la chaine TV
Ontario. Souvent associée à la palette du peintre, la mire de la télévision apparaît de manière
récurrente, notamment dans la grande installation Test Pattern: TV Diner Plates from the Miss
General Idea Pavillion, composée de trois « écrans » en assiettes peintes aux couleurs de la mire.
De même est utilisé le modèle de la presse magazine, avec la publication, de 1972 à 1989, de
vingt-six numéros de leur revue FILE Megazine dans lequel ils plagient la maquette du
magazine américain LIFE. A l’origine, FILE était destiné à partager, avec d’autres artistes
canadiens avec qui ils étaient en correspondance, leurs travaux et expériences.
Progressivement son champ s’est étendu, notamment à des chroniques de la vie nocturne, sur
le principe d’« Interview », le magazine d’Andy Warhol, à qui General Idea s’est beaucoup
intéressé.
Une section de l'exposition traite également de la construction et de la destruction du mythique Pavillon de Miss General
Idea 1984. Ce Pavillon fictif symbolise les lieux de présentation de l’art. Il est évoqué à travers
des reconstitutions imaginaires, comme une palissade du chantier de construction, en forme de
puzzle, ou les Blue Prints, des plans d’architecture. Quatre photos, Burning Ziggurats,
témoignent de la destruction du Pavillon (aussi fictive que sa construction) au cours d’une
performance en 1977. General Idea a également créé des vestiges du bâtiment. Certains
présentent des décors peints dans le style pompéien de la Villa des Mystères. Les saynètes
diverses y sont animées par des caniches. La corne d’abondance (symbole de l’inspiration),
autre élément clef dans l’oeuvre de General Idea, est très présente dans ces peintures.La vidéo
Cornucopia relate ces découvertes archéologiques. À la fois architectes et archéologues,
General Idea a constamment construit et redécouvert sa propre mythologie.
Dès les années 1970, à l’époque même où émergent les revendications concernant les droits
des homosexuels, General Idea s’interroge de manière originale sur la sexualité. Sans se limiter
au sujet de l’homosexualité, ils explorent la forme du triangle et ses implications tant dans le
champ social que dans celui de la création. Mondo Cane Kama Sutra en est un exemple : des
caniches aux formes schématiques s’ébattent dans des positions inspirées du Kama Sutra. Des
objets à la forme suggestive et une série de dessins hybrides inédits de Jorge Zontal
complètent cette thématique. La figure du trio, modèle anti-patriarcal, apparaît en outre dans
des Showcards et d’autres oeuvre traduisant des interrogations relatives à une structuration
sociale et familiale à subvertir.
Dès 1987, General
Idea s’intéresse au désastre sanitaire et social que constitue le sida, et le traite comme un sujet
à part entière. Inspiré par les principes de Marshall McLuhan sur les médias de masse, les
artistes ont toujours considéré que l’image et l’oeuvre d’art avaient le pouvoir de s’immiscer
dans tous les domaines de la société. C’est donc naturellement qu’ils assimilent le mode de
diffusion de l’art à celui du virus, et lancent leur tentaculaire projet « AIDS », qui les occupera
jusqu’en 1994.
L’image maîtresse de ce projet est une peinture apparue en juin 1987 à New York, dans une
exposition organisée au profit de la lutte contre le sida (elle est exposée au début du
parcours). Il s’agit d’un détournement du célèbre LOVE créé en 1964 par Robert Indiana, artiste
américain associé au Pop Art. General Idea s’approprie cette icône d’une génération, en
remplaçant « LOVE » par « AIDS », le nom de la maladie devenu un nouvel emblème des
années 1980.
C’est sur un clin d’oeil que l’installation P is for Poodle: The Milky Way from the 1984 Miss General
Idea Pavillion conclut l’exposition. Elle présente une étable de caniches, avec de la paille et
des tabourets à traire. Trois chiens, les yeux vers le ciel, contemplent la voie lactée et la
constellation du « Canus Major ».