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Izis, Paris des rêves |
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Apprécié depuis comme l’un des membres éminents du mouvement "humaniste", Izis était en 1951 l’un des "Five French Photographers" exposés au MoMA de New York, avec Brassaï, Doisneau, Ronis et Cartier-Bresson. Presque 30 ans après sa disparition, en 1980, le photographe demeure cependant moins célèbre que ses compagnons d’alors.
Après avoir séduit 500 000 visiteurs avec l’exposition "Willy Ronis à Paris" et 300000 autres avec "Doisneau, Paris en liberté", la Mairie de Paris entend rendre l’hommage qu’il mérite à Izis en consacrant une grande rétrospective au photographe-poète, de janvier à mai 2010.
À travers
un accrochage d’environ 270 photographies, des livres, des numéros de Paris Match et des documents filmés, "Izis, Paris des rêves" présentera, dans la salle Saint-Jean de l’Hôtel de Ville, toute la palette de celui qui fut aussi bien artiste que reporter, grand portraitiste que flâneur aux aguets. Le coeur de l’exposition sera dédié à l’oeuvre parisienne d’Izis, sorte d’éloge du rêve et de la lenteur au coeur d’une ville qu’il voulait mythique.
Cité dans toutes les histoires de la photographie comme l’un des grands photographes humanistes, sélectionné dès 1951 avec Brassaï, Cartier-Bresson, Doisneau et Ronis pour l’exposition "Five French Photographers", au MoMA de New York, auteur entre 1951 et 1969 de dix livres considérés comme des modèles du genre, présent par ses oeuvres dans de nombreuses collections publiques et privées, à la fois poète de l’image, portraitiste, reporter, Izis reste un artiste mal connu.
Willy Ronis parlait de "mise au purgatoire injuste" pour évoquer l’oubli dans lequel est cantonnée l’oeuvre de son ami Izis. À tant vouloir le ranger parmi les humanistes et les tenants du "réalisme poétique", l’histoire de la photographie met essentiellement l’accent sur ses clichés exaltant le Paris populaire, les quais de la Seine et les manèges, les enfants et les vendeurs de muguet, occultant par là même la diversité, la richesse et l’originalité de son travail.
Souvent citée mais rarement montrée, son oeuvre révèle la façon particulière qu’avait Izis d’appréhender la vie. Au réalisme du témoignage, lui qui se rêvait peintre préférait la recomposition et la poétisation du monde. Inscrivant instinctivement sa photographie dans une démarche esthétique à laquelle sa fréquentation précoce de la peinture n’était pas étrangère. De sorte que la photographie d’Izis a sa propre musique, simple, harmonieuse et délicate, qui cache sous ses airs populaires l’intranquillité de quelques notes de requiem.
C’est donc à une relecture attentive et nécessaire de son oeuvre qu’invite l’exposition Izis, Paris des rêves. À une rencontre avec un artiste attachant, né à Marijampolé en Lituanie, du temps où ce pays s’écrivait encore avec un "h". Né Izraël Biderman le 17 janvier 1911 dans la Russie tsariste, renommé Izraëlis Bidermanas en 1918 dans la Lituanie devenue indépendante – avant d’être annexée par l’Union soviétique, occupée par l’Allemagne de 1941 à 1945, puis proclamée république socialiste soviétique –, il choisira un jour de s’appeler Izis. Cette rétrospective est l’occasion de suivre le parcours de ce jeune Litvak élégant dont les traits réguliers évoquent ceux des vedettes masculines du cinéma des années 30, qui décida à dix-neuf ans de fuir la misère de son pays pour rejoindre le "Paris des rêves", capitale des peintres et des impressionnistes, de suivre la transformation de l’apprenti de Marijampolé en artisan gérant une boutique à Paris, puis, en 1944 à Limoges, la naissance de l’artiste se libérant des codes du studio dans une révolution copernicienne d’où émergera une série de portraits de maquisards d’une saisissante modernité.
Viendront ensuite ses duos avec Jacques Prévert, Colette et Marc Chagall dont il tentera de percer le mystère de l’inspiration artistique. Sa passion pour le cirque et la fête foraine. Sa réinterprétation contemporaine de l’Israël biblique. "J’appuie sur le déclic quand je suis à l’unisson avec ce que je vois", expliquait Izis qui sut concilier sa profession de reporter pendant vingt ans à Paris Match et son oeuvre personnelle, penser son art dans des livres conçus de A à Z, explorer la collaboration photographe/écrivain, réfléchir au dialogue entre les images et les mots, privilégier le temps faible et le contrechamp sur l’événementiel et le sensationnel, rechercher la cohérence entre le sujet, l’émotion et la forme.
À travers les dix livres dans lesquels il orchestra son oeuvre, se dessine en filigrane le portrait d’un artiste attachant qui, dans la vie courante, ne cessa de recouvrir du voile pudique de l’humour, une profonde détresse liée tout autant au difficile choix de l’exil, qu’à la culpabilité d’avoir échappé au massacre antisémite dans lequel périt sa famille et à son impossible deuil.
Le Paris de l’après-guerre désireux d’oublier ses drames résonne d’un écho particulier chez cet exilé qui tenta de trouver le repos dans le rêve. Avec leur sens aiguisé de la lumière, leur sensibilité particulière à l’atmosphère, ses images poétiques non exemptes d’une certaine gravité rendent hommage à la ville qu’il choisit comme terre d’asile et à laquelle il consacra trois livres.
"Pourquoi Paris ? Parce que Paris excitait mon imagination. C’était la Ville lumière. Pour moi, tout se passait à Paris. En 1930, Londres, New York ou Berlin ne m’attiraient pas. On lisait des romans français, on apprenait avec intérêt l’histoire de France. Pour nous, dans notre imagination, c’était le paradis européen, comme pour d’autres, l’Amérique. (…) Nous étions attirés par la France comme pays de l’Esprit. La Liberté, l’Égalité de l’homme et la Culture, c’est ça qui nous faisait rêver"
Réfugié à Ambazac avec sa famille depuis 1941, à la libération de Limoges, en août 1944, Izis rejoint la ville pour s’engager auprès des FFI (Forces françaises de l’intérieur). Cantonné au standard de la caserne Beaupuy, il découvre les maquisards qui sortent de la clandestinité et décide de réaliser leurs portraits. "Pour la première fois de ma vie, je me suis posé le problème de la photographie : comment les photographier ? Je ne pouvais pas faire des portraits retouchés, avec faux éclairages et poses artistiques. Alors j’ai inventé une photographie nouvelle pour moi. J’ai épinglé un papier blanc sur un mur de la petite pièce et entre deux coups de téléphone, j’ai entrepris de faire leur portrait". Izis se débarrasse alors de tous les artifices appris pendant ses années dans les studios professionnels et, avec les moyens du bord, tire le portrait "brut" de plus de soixante-dix maquisards en tenue de combat et mal rasés. Une véritable révolution pour l’artisan consciencieux qui découvre les audaces de l’artiste. Dès septembre 1944, la ville de Limoges organise l’exposition "C Ceux de Grammont vus par le soldat FFI Izis Bidermanas".
Cette série fondatrice a joué différents rôles depuis la fin de la guerre : photo souvenir, photo témoignage, document historique, oeuvre artistique. En optant pour la série, plutôt que pour le portrait de groupe, Izis marcha sans le savoir sur les traces de l’Allemand August Sander (1876-1964) et anticipa l’esthétique épurée de Richard Avedon (1923-2004). C’est un artiste rêvant d’une nouvelle vie qui retrouve Paris en 1945. Divorcé de sa première femme, ayant échappé à la mort et à la déportation, tournant le dos à son ancien métier et auréolé du succès de ses différentes expositions, le photographe adopte définitivement son pseudonyme Izis pris sous l’Occupation, contraction de son prénom Izraëlis.
Grâce aux contacts de ses amis poètes limousins, à son retour dans la Ville lumière, il photographie le Tout-Paris des écrivains et des artistes. Sa rencontre avec Brassaï (1899-1984) est un déclic pour Izis qui se met alors à parcourir le Paris populaire se livrant avec frénésie à la joie de photographier librement hors des contraintes du studio. Ses images s’inscrivent dans ce courant humaniste du "réalisme poétique", à la fois reflet d’une époque et regard personnel sur le monde qui entend dépasser par la poésie l’âpreté du quotidien. C’est le Paris des balayeurs des rues et des ouvriers à casquette plutôt que celui des messieurs à chapeaux, celui des marchands de quatre-saisons et des vitriers ambulants. "La Seine m’attire toujours. J’ai rendez-vous là-bas avec mes personnages" Rêveurs, dormeurs, pêcheurs, enfants, vagabonds et amoureux sont les "personnages" qui reviennent dans son oeuvre comme des leitmotive. Autant de figures dans lesquelles on peut voir des autoportraits de ce photographe timide et rêveur qui n’ose s’approcher que des enfants, des personnes endormies, étourdies par les manèges ou absorbées par un numéro de cirque.
Ses images atmosphériques célèbrent un Paris éternel, a-temporel, a-historique. Elles tournent résolument le dos aux années noires, aux difficultés de la reconstruction et aux crispations de la guerre froide. D’essence purement poétique, sa photographie est intuitive et de celle qui, parmi les humanistes, s’éloigne le plus de la réalité pour s’oublier dans le rêve. On n’y trouve ni le Paris des bas-fonds de Brassaï, ni l’humour de Doisneau, ni le symbolisme de Boubat, ni la cérébralité d’Henri Cartier-Bresson, ni encore les images intimistes ou engagées de Ronis. D’une lecture simple en apparence, ses photographies révèlent en fait une pointe d’intranquillité qui n’existe pas chez les autres humanistes. Après Les Yeux de l’âme (1950), premier livre aujourd’hui méconnu révélant les "primitifs" d’Izis, le photographe réalise la mise en page des trois ouvrages consacrés à sa ville d’adoption : Paris des rêves (1950) avec les poèmes autographes de quarante-cinq écrivains, Grand Bal du printemps (1951) en duo avec Jacques Prévert, puis Paris des poètes construit sur le même principe que Paris des rêves (1977).
Dès le premier numéro du magazine le 25 mars 1949, Izis prend part à l’aventure, voyant enfin la fin des années de précarité. Izis couvre des sujets aussi divers que les inondations à la mine de l’Étançon en Haute-Saône (1951), l’affaire Dominici (1952), le tremblement de terre d’Orléansville en Algérie (1954), les pèlerinages de Lourdes et de Séville... Il gardera un souvenir affreux de l’insistante odeur de cadavres qui flottait dans l’air quand il couvrit les inondations aux Pays-Bas en 1953. "En vérité je n’ai jamais été un reporter et d’ailleurs le journal l’a vite compris" "Plus tard, je suis devenu le photographe de l’anti-événement que l’on envoie où il ne se passe rien" À la lutte au coude à coude pour le scoop, Izis le rêveur préfère les hors champs, s’intéresse à ce qui se passe autour de l’événement, à ce qui l’exprime plus qu’à ce qui le montre. Quand ses confrères couvrent la venue de la Reine d’Angleterre à Paris, Izis, lui, est envoyé "faire la foule ». D’où son surnom : "Izis la foule".
Devenu une grande signature de Paris Match, il aime surtout recréer l’univers d’artistes du passé, tels Monet, Sisley, Baudelaire. La direction artistique de Paris Match respectant chaque fois la façon dont il conçoit ses prises de vue, notamment lorsqu’il revient de chez Léautaud avec des portraits individuels en couleur de chacun des chats traités comme des personnalités. Ou encore de chez Roland Petit avec une série de portraits où le chorégraphe mime son activité avec ses doigts. Car s’il est opposé à la mise en scène pour son travail personnel, il en est autrement pour le reportage. Grâce à ses amitiés et ses contacts personnels, Izis devient le spécialiste des écrivains, des peintres et des artistes : Jouhandeau, Camus, Kessel, Simenon, Laurencin, Rouault, Calder, Soulages, Piaf... Totalement atypique parmi les "play-boys flambeurs" de la rédaction, entre deux reportages pour Paris Match, Izis passe son temps à flâner dans les rues de la capitale en quête d’images pour ses livres sur Paris.
"J’ai fait deux livres en collaboration avec Prévert. Nous nous sommes beaucoup promenés ensemble dans Paris et à Londres. (...) Nous étions faits pour travailler ensemble, car c’était un poète qui s’inspirait d’une certaine réalité ; il trouvait dans mes photos les sujets qui lui tenaient à coeur, les amoureux, les enfants, le ciel de Paris. Nous avions une vision proche" Un an après la parution de Grand Bal du printemps, le dialogue entre Prévert et Izis se poursuit et s’approfondit dans Charmes de Londres. Les mots de Prévert accentuent la lecture poétique et politique des images, en poétisant l’ironie et l’injustice qui émaillent la réalité quotidienne. Loin des lieux pomponnés, c’est l’envers du décor qu’ils donnent à visiter, celui du peuple et des miséreux, des cygnes pataugeant dans les ordures près d’Hammersmith Bridge et des arrière-cours crasseuses où s’ébrouent les enfants et sèchent les lessives. Le duo n’approchant des lieux touristiques comme Piccadilly Circus que nuitamment, lorsque les matelots tombent de sommeil sous les enseignes lumineuses et que les amoureux peuvent s’aimer sans être vus.
En 1953, Izis est envoyé à Londres à l’occasion du couronnement de la reine Élisabeth par Paris Match. "Le photographe que l’on envoie où il ne se passe rien" est chargé de couvrir les préparatifs et les "à-côtés" de la cérémonie pour l’hebdomadaire français. Cet espace de liberté, cette sorte d’entre-deux artiste-reporter, éclaire une facette d’Izis que seuls connaissent ses amis et ses proches : un goût pour l’humour, la dérision, la farce et les facéties qui ne transparaît dans aucun de ses autres ouvrages. Mêlant bienveillance et impertinence, ses photographies sont désopilantes à l’instar de Coronation Food, portrait d’Élisabeth souriante trônant entre une rangée de têtes d’oies pantelantes et un parterre de volailles dans la devanture d’un boucher. Une ironie que ne renierait pas aujourd’hui le chef de file des photographes documentaires anglais, Martin Parr.
Izis fait la connaissance de Colette (1873-1954) le jour de 1950 où Paris Match l’envoie photographier l’écrivain chez elle dans son appartement dominant les jardins du Palais Royal. Passionné par plusieurs chapitres de son dernier livre En pays connu, – La maison proche de la forêt, Le Désert de Retz, Amertume, Paradis terrestre –, il décide de partir sur les traces de l’écrivain et de lui rapporter les images de ces lieux chers à son coeur, dont elle est alors séparée par la maladie et par la distance. Au Désert de Retz, fasciné par la beauté des diverses architectures utopistes attaquées par les outrages du temps, le photographe réalise une série de variations sur les fenêtres en oeil-de-boeuf de la colonne détruite explosées par les assauts de la végétation. Alors qu’il s’emploie à oublier les traces de l’histoire dans son Paris mythique, il se livre là à une méditation sur la ruine, modèle allégorique des désastres récents de l’histoire mondiale et de leurs répercussions sur son histoire personnelle. De même peut-on trouver dans la série de portraits de fauves en cage des autoportraits du photographe terrassé par sa propre mélancolie.
C’est aussi l’occasion de découvrir ses talents de "photographe animalier », capable de rester à l’affût des heures sous un drap pour saisir le vol d’une antilope dans le parc zoologique de Clères. "S Si je prends maintenant l’habitude de mon émotion devant l’image photographique, la croissante beauté d’un art ne cesse de m’y aider, d’accroître un plaisir qui a sa source dans la fidélité, en même temps qu’il entraîne l’image hors d’une brutale copie", écrit Colette dans l’ouvrage. "Selon ce qu’invente ou que respecte un photographe exalté, mon corps désormais infirme s’approprie, en toute sécurité, des secrets qu’il n’espérait plus."
"Quand je suis allé en Israël en 1952, je suis arrivé en pays connu, j’ai eu l’impression que c’était le pays de mon enfance : j’ai reconnu le paysage. Cela vient sûrement de notre éducation biblique" À chaque pas Izis retrouve des corrélations entre passé et présent, entre récit biblique et réalité, entre histoire universelle et histoire personnelle sans parvenir à les démêler. "I Il a fait surgir dans une épopée moderne la trouble majesté d’une obsession spirituelle", commente Malraux. Plusieurs photographies évoquent aussi métaphoriquement la Shoah, comme s’il s’agissait de véritables lapsus de l’image. Notamment ce cordonnier travaillant devant son échoppe dans un faubourg de Tel-Aviv, entouré d’une multitude de chaussures qui rappellent les tas de vêtements arrachés aux victimes des camps. Contrairement à Robert Capa (1913-1954), Izis n’adopte pas uniquement la posture "objective" du reporter photo à Paris Match, mais cherche aussi l’image de son rêve de Terre promise. Tantôt il pointe son objectif sur les réalisations d’un pays en marche, tantôt il s’évade dans ses réminiscences bibliques. Ces tensions donnant à ce travail inspiré un statut singulier entre témoignage sur l’actualité d’un pays et poème biblique de portée universelle.
Toute sa vie, Izis fréquenta la grande famille du cirque – notamment parce que les barrières de la langue n’existent pas –, petits cirques de quartier, jongleurs, cracheurs de feu, avaleurs de sabre et autres Zampano. On ne peut s’empêcher de voir dans tous ces bateleurs les doubles d’Izis débarquant de Lituanie et errant dans les rues de Montmartre en quête d’un lieu où dormir. Izis réalise une émouvante série d’images de son ami le clown Grock. Ses photographies tendres, notamment de tous ceux – nains, lilliputiens, obèses – dont le handicap devient spectacle, trouveront un écho familier dans les portraits empathiques réalisés plus tard par Diane Arbus. Le regard bienveillant mais lucide qu’Izis porte sur la société fraternelle du cirque ne l’empêche pas de percevoir, dans les parades pathétiques des freaks, autant de parodies de la société, autant de métaphores de la condition tragi-comique de l’homme.
Dans Le Livre de photographies : une histoire, où ils recensent les meilleurs ouvrages, Martin Parr et Gerry Badger saluent ainsi avec enthousiasme Le Cirque d’Izis, livre inspiré et ciselé : "c’est le meilleur de sa vaste bibliographie : il revisite ce sujet porteur de clichés avec un oeil neuf, et l’ouvrage est en soi un objet splendide. Ce grand volume, dans la veine des Images à la sauvette, est imprimé avec le même type de photogravure aux multiples nuances. Comme le chef-d’oeuvre de Cartier-Bresson, la couverture est due à l’un des maîtres de la peinture, issu cette fois de l’école de Paris, Chagall".
Izis est à Paris Match depuis quinze ans lorsque son "scoop" sur le plafond de l’Opéra paraît le 26 septembre 1964, dans le numéro 807. Izis et Chagall (1887-1985) s’étaient déjà rencontrés une première fois en 1949 pour honorer une commande de Paris Match. Ils deviennent rapidement amis et c’est tout naturellement que le photographe se fera le biographe visuel de son aîné. Tous deux sont issus d’une famille juive modeste d’Europe de l’Est, tous deux ont choisi Paris, capitale de la peinture comme ville d’adoption et il existe de nombreuses correspondances entre leurs deux univers. Dans les tableaux colorés de Chagall, les personnages qui flottent au-dessus des villes ressemblent à tous ces dormeurs et rêveurs qu’Izis pêche un peu partout dans l’espace urbain. Même si Izis trouve dans la photographie un certain accomplissement de son désir de peindre, Chagall est sans doute la figure même du peintre qu’il rêvait d’être. Rarement photographe réussit à approcher d’aussi près l’esprit d’une oeuvre et à donner un tant soit peu de visibilité au souffle de l’inspiration.
Izis invente ainsi un certain nombre de stratégies, notamment la répétition,
pour prendre successivement le peintre dans des positions quasi identiques et tenter d’y débusquer l’infime apesanteur de la grâce. Pour capter la chorégraphie du peintre ou celle de ses mains, Izis emprunte au vocabulaire cinématographique, séquences, montages, associations d’images, créant ainsi un rythme qui évoque le temps de la création, par une décomposition du mouvement inventée au moment de la prise de vue. Seul journaliste accepté par Chagall sur le chantier du plafond de l’opéra Garnier, Izis suit assidûment les différentes étapes (1963-1964). En jouant sur la couleur et sur la perspective, il parvient à saisir d’émouvants tableaux dans lesquels le peintre se fond avec ses personnages et flotte avec eux dans l’espace fusionnel de la couleur.