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Irving Penn - Les Petits métiers |
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Cette présentation comporte une centaine de tirages jamais montrés à Paris, empruntés au J. Paul Getty Museum de Los Angeles, qui a acquis en 2008, sous forme de donation partielle, le premier ensemble de cette série sélectionné par Irving Penn lui-même. Les petits Métiers ont une importance toute particulière pour Penn qui a travaillé sur les négatifs à plusieurs reprises. Les premiers tirages réalisés au début des années cinquante sont des épreuves gélatino-argentiques. A partir de 1967, Penn a retravaillé ces mêmes négatifs afin d’obtenir une autre série composée de tirages au platine/palladium.
Missionné à Paris, par Vogue en juin 1950 pour couvrir ses premières collections de haute-couture, il saisit l’opportunité d’entreprendre ce projet personnel basé sur son admiration des traditions de représentation des petits métiers. Alternant idéalisation et ironie, les représentations photographiques des travailleurs se distinguent souvent par leur approche documentaire et typologique – le plus célèbre exemple étant le projet d’August Sander Hommes du XXème siècle, conçu en Allemagne entre les deux-guerres qui prétendait faire un portrait vrai de la population de l’époque.
Recrutés à Paris dans la rue par Robert Doisneau et Robert Giraud, les modèles se rendaient au studio, rue de Vaugirard, dans leur tenue de travail et recevaient un dédommagement pour la peine. Devant un arrière-plan fait d’un rideau de théâtre abandonné, Penn alternait les séances avec des mannequins et d’éminentes figures culturelles pour Vogue et d’autres avec d’humbles travailleurs pour son projet des petits métiers. En plus des petits vendeurs traditionnels, il photographiait également les individus issus du quartier populaire et éclectique de Mouffetard, comme le sculpteur bohême ou la chanteuse Benoîte Lab.
Penn continua à travailler sur les petits métiers à Londres, en septembre de la même année. Renseigné par les colporteurs londoniens, il photographia les poissonniers, les marchands de journaux, les chiffonniers aussi bien que les ramoneurs qui sont incontestablement associés à l’image de la ville.
De retour à New York à l’automne 1950, Penn poursuivit son exploration des métiers l’année suivante. Dans un studio surplombant l’East River, il photographiait aussi bien les vendeurs locaux et les livreurs qu’il rencontrait que les métiers modernes liés au mode de vie américain, les sports, les loisirs ou les nouvelles technologies.
Au milieu des années 60, Penn commença une période d’expérimentations approfondies qui lui ont permis d’abord de maîtriser et ensuite de perfectionner la technique de tirage au platine. Pour le procédé au platine, la couche sensible à la lumière est absorbée dans les fibres du papier du support laissant ainsi apparaître sa texture alors que pour les tirages gélatino-argentiques, les particules sensibles à la lumière sont suspendues dans une émulsion de gélatine qui recouvre le support papier.
Irving Penn commença par créer un agrandissement négatif aux dimensions égales à celles de l’image finale. Après avoir appliqué un encollage, il enduisait à la main une feuille de papier sensibilisée par les sels de platine et de palladium. Une fois le papier sec, il l’exposait par contact avec le négatif pendant une période allant de quelques minutes à plusieurs heures. Après avoir développé le tirage, il l’immergeait dans une série de bains pour retirer l’excédent de sels et fixer l’image.
Penn a exploré d’infinies variations du procédé, y compris en combinant deux ou plusieurs négatifs de contrastes variables, ou en recouvrant le tirage de diverses combinaisons de platine et de palladium qu’il exposait à nouveau sous le même négatif ou sous un autre. Relativement fort en contraste, les tirages gélatino-argentiques décrivent bien les tenues et les outils, modelés par la lumière naturelle. Les tirages au platine sont plus resserrés sur les figures et leurs dimensions sont plus grandes que les tirages gélatino-argentiques, ce qui donne aux modèles une monumentalité quasi sculpturale. Les photographies qui en résultent sont très expressives, révélant une gamme de tonalités allant des gris nuancés aux noirs profonds.
L’année de leur création, plusieurs sélections des Petits métiers de Paris, Londres et New York apparurent dans les éditions internationales de Vogue. Les portraits des artisans réalisés par Penn à Paris, Londres et New York démontrent non seulement la diversité des métiers découverts dans chaque ville mais aussi les différentes attitudes des travailleurs face à leurs activités. Dans l’ouvrage Worlds in a Small Room de 1974, Penn fit l’observation suivante:
"En général, les Parisiens doutaient que nous ferions exactement ce que nous leur avions dit. Ils pensaient que quelque chose de louche allait arriver, mais ils arrivaient au studio plus ou moins comme convenu – motivés par le cachet. Les Londoniens étaient différents des Français. Etre photographiés en tenue de travail était pour eux la chose la plus logique au monde. Ils arrivaient au studio, toujours à l’heure et se présentaient devant l’appareil photo avec un sérieux et une fierté qui étaient particulièrement touchants. Des trois, les Américains étaient le groupe le plus imprévisible. En dépit de nos recommandations, quelques uns arrivèrent aux séances changés de pied en cap, rasés de frais et parfois même dans leurs costumes sombres du dimanche, convaincus de faire leur premier pas vers Hollywood."
Le projet des Petits métiers s’est développé dans l’esprit de Penn car il pensait que nombre de ces activités pouvaient disparaître. Intéressé par l’extinction des cultures dans le monde, il voyagea de 1948 à 1971 afin de photographier les autochtones à Cuzco, en Crète, en Estrémadure, au Bénin, au Cameroun, à San Francisco, au Népal, en Nouvelle Guinée, et au Maroc. Dans un premier temps, Penn publia des extraits de chaque série dans le magazine Vogue puis, en 1974, il les rassembla dans le livre Worlds in a Small Room et fit le commentaire suivant :
"J’ai préféré me confronter uniquement à la personne elle-même loin des accidents de la vie quotidienne, portant ses propres vêtements et bijoux, isolée dans mon studio. De cette personne seule, je pouvais distiller l’image que je voulais et la froide lumière du jour la transporterait sur le film… Eloigner les modèles de leur environnement naturel et les installer dans un studio face à l’objectif, n’avaient pas seulement pour but de les isoler, cela les transformait."
Penn avait une grande estime pour « les petits métiers ». Sachant combien ces gens s’identifiaient à leur travail, il a sciemment inclus leurs outils (comme leurs tenues) dans ses portraits. Penn a positionné avec précaution les travailleurs avec leurs outils afin de créer des compositions équilibrées qui mettent en valeur leur savoir-faire. Penn a convoqué ses modèles dans le territoire neutre du studio, démontrant ainsi que son intérêt n’était pas de faire le portrait d’un milieu mais plutôt un portrait psychologique. Les images rassemblées révèlent une profonde égalité entre les modèles, ainsi transformés en icones fières des temps modernes.
Le catalogue de l’exposition publié par J. Paul Getty Museum réunit l’ensemble de la série des Petits Métiers ainsi qu’un entretien avec Edmonde-Charles Roux, la rédactrice en chef de Vogue pendant seize ans qui a assistée Penn lors de la commande à Paris. On peut apprécier jusque dans l’impression du livre, la différence entre la reproduction des tirages gélatino-argentiques et des tirages au platine.
Irving Penn : Les Petits Métiers a été conçue par Virginia Heckert, conservatrice associée du
département de photographies, et Anne Lacoste, conservatrice adjointe du département de
photographies.