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Baselitz - Une seule passion, la peinture

Fondation de l’Hermitage, Lausanne

Exposition du 30 juin au 29 octobre 2006




Le peintre allemand Georg Baselitz – du nom de la bourgade saxonne où il est né en 1938 – est célèbre pour ses représentations tête en bas. Ses tableaux (paysages, figures, natures mortes, portraits) ne sont pas renversés après leur exécution, mais leurs motifs sont peints d’emblée tête en bas. Cette manière de mise à distance, qui prévaut depuis trente-cinq ans, renouvelle, parmi d’autres explications, la fascination qui lie le regardeur à la figuration traditionnelle. Baselitz se concentre ainsi sur les questions d’organisation plastique du tableau. Ce souci proprement pictural fait de lui, paradoxalement, le plus «français» des peintres allemands, l’un des artistes qui a le plus cultivé, au XXe siècle, la peinture en tant que telle. L’exposition de la Fondation de l’Hermitage propose, à travers une centaine d’huiles, gravures, sculptures et dessins, issus pour la plupart de la collection personnelle de l’artiste, une vision tout à la fois plus essentielle et intimiste de cette oeuvre intense et prenante.

Traçant un arc historique qui va de 1960 à 2005, la sélection regroupe les meilleurs exemples conservés par l’artiste. Elle souligne l’achèvement pictural des oeuvres plus qu’elle ne cherche à réaliser une rétrospective intégrale des thèmes qui articulent au fil de quatre décennies la production de Baselitz. Dans la petite constellation des peintres allemands parfois appelés «sauvages», que les amateurs découvrent au tournant des années 1970-1980, Baselitz est celui qui s’inscrit le plus évidemment dans la tradition française du fait plastique hérité du cubisme. Le traitement pictural prime sur le contenu figuré, au demeurant très «classique» : portraits, natures mortes, paysages, figures humaines ou animales. C’est même cette expression strictement figurative qui retient l’attention au sortir d’une longue période d’apparence abstraite.

Vingt ans plus tôt, en réaction à la pratique américaine dominante de l’Action Painting et de l’Abstract Expressionism, le jeune Baselitz, ayant à peine quitté Berlin-Est, se tourne vers une poétique figurative qui traduit un mélange de romantisme et de surréalisme (Antonin Artaud en est la première référence). Il change son nom de Georg Kern en Baselitz, emprunté à son village natal de Deutschbaselitz. Après de grands tableaux jugés scandaleux par leur sexualité affichée et des figures dites de héros, aux allures à la fois juvéniles, inoccupées et ouvrières, Georg Baselitz peint les motifs ruraux segmentés, diffractés et étagés des "Frakturbilder" (vaches, arbres, chiens).

Ce très lointain «post-cubisme» annonce le renversement de l’image qui établit dès 1970 la notoriété de Georg Baselitz. Dorénavant, qu’il peigne ou dessine des bouleaux, des aigles, des glaneuses, des rues, des portraits d’Elke, sa femme, ou des autoportraits, le sujet est exécuté tête en bas. Ce «monde renversé» met l’accent sur la situation plastique de l’élément, certes toujours reconnaissable au sein de l’espace pictural, et non plus sur la représentation tridimensionnelle, plus ou moins prosaïque de la réalité. Cette «désorientation», qui préserve – et même renforce – l’attrait du regardeur pour l’image, s’exerce au bénéfice de l’autonomie de l’oeuvre, comme il en va chez Picasso, Malevitch ou Giacometti : avant de faire une pomme ou une chaise, il faut faire un tableau.

La thématique étant moins importante que sa réalisation visuelle, Baselitz varie au fil des ans ce qu’il nomme la «méthode», c’est-à-dire la manière de peindre. Dans les années 1980, le maître de Derneburg (c’est là qu’il vit près de Hanovre) pétrit la matière tactile et la couleur vive composées comme un tissu aussi dense que sans cesse régénéré. Dans "Blick aus dem Fenster" (Regard par la fenêtre, 10.3.1982; huile sur toile, 130 x 162 cm), la tête d’homme placée face à un oeil-de-boeuf se matérialise dans le lacis puissant des coups de pinceau qui modèlent un milieu vibrant de couches superposées. D’une certaine manière, Baselitz réactualise dans la surface peinte ce qu’il découvre au même moment dans la sculpture (elle aussi montrée à Lausanne), dans laquelle les accidents, la peau du bois travaillé à la hache, s’affirment presque plus parlants que la forme générale dressée dans l’espace.

15 ans plus tard, la méthode a évolué vers des dispositifs plus ouverts et une lumière transparente. Un dessin délié et discursif joue avec une mise en couleur liquide et légère. Ainsi "Persisches Liebespaar II" (Couple d’amoureux persans II, 14.8.1998; huile sur toile, 100 x 162 cm) se relie dirait-on à la peinture chinoise, comme si après des années de concentration tendue la maturité autorisait une dilatation jubilante.

C’est donc à une passionnante leçon de peinture qu’invite cette rétrospective, qui pointe les étapes significatives d’une quête cohérente et inlassable de l’image née du pinceau, une quête en fait si vivante en ce début de siècle.



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