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Microspective Gérard Garousteou Les derniers indiens |
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Hôtel de Ville de LilleExposition du 20 septembre au 15 novembre 2008Le Musée d’art moderne a récemment reçu une oeuvre monumentale de Gérard Garouste par transfert de propriété de l’État : "L’indienne". Pendant 2 mois, cette oeuvre investit le hall de l’Hôtel de Ville de Lille. Cet accrochage est complété par quelques oeuvres de l’artiste : deux huiles sur toile prêtées par la Galerie Daniel Templon, ainsi que l’oeuvre commandée par Lille Métropole Communauté Urbaine 2006 : "Marguerite et Jeanne de Flandre". Cette exposition co-organisée par le Musée d’art moderne Lille Métropole et la Ville de Lille dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine 2008. La microspective Gérard Garouste s’articule autour de "L’indienne" (1988) conservée au Musée d’art moderne Lille Métropole. Monumentale, indiscernable, flottante, c’est une oeuvre marquante et ambiguë. Elle rappelle, s’il en était besoin, que Gérard Garouste est un peintre de théâtre, non pas dans le sens spectaculaire, mais plutôt dans sa capacité à présenter les différentes formes de l’illusion. Les peintures servent de décor, elles y ressemblent étrangement. Cependant, au lieu d’être le décor pour un texte, elles le sont par des images et la sédimentation de plusieurs sources, certaines prenant le dessus sur les autres, d’autres déformées ou reformées comme les figures qui n’illustrent pas tel ou tel passage, telle référence, mais la jouent comme des acteurs interprètent un rôle.
Désignée comme «la tapisserie des pauvres», l’usage de l’indienne remonte à la fin du XVIe siècle. Bien moins onéreuses que les tapisseries, moins lourdes et plus rapides d’exécution, ces grandes toiles de lin étaient peintes de motifs souvent religieux et servaient de décors dans les Hospices pour protéger du froid et édifier ou distraire les malades. Gérard Garouste découvre celles conservées au Musée des Beaux-Arts de Reims. Les raisons qui l’ont poussé à réaliser des indiennes sont multiples, à commencer par leur histoire même. Il s’agit de tissus qui, par extension et par usage, deviennent, au XIXe - notamment pendant le Directoire et le Consulat - un motif, au même titre que l’imprimé de cachemire ou la rayure bayadère. Ce tissu correspond à un mode de vie de la haute bourgeoisie ou de l’aristocratie qui tentent d’oublier le choc de la Terreur dans des velléités de dandysme mêlé à une certaine forme de simplicité. La duchesse de Langeais de Balzac portait des indiennes, ou encore les modèles de Dominique Ingres et de ses émules. Lorsque Garouste fait référence aux indiennes, il convoque une véritable imagination historique, constituée d’époques qu’il s’autorise à faire cohabiter sans aucune forme de transition, ni même de justification. L’imaginaire des comptoirs des Indes dans l’oeuvre de Garouste a autant sa place sur un plan géographique que les différentes façons de pavoiser, et faire la guerre n’est pas un acte si éloigné du fait de s’habiller. L’orientalisme côtoie les torsions de la peinture, n’hésitant pas à donner naissance à des engeances contre-nature comme une contorsion entre Francis Bacon et Giorgio de Chirico. L’oeuvre de Garouste fait également appel à un type d’indianité : celle de l’Amérique. L’Amérindien y est présent de plusieurs manières, et, même s’il ne peut s’agir que de troublantes analogies, il est frappant de constater que les motifs font penser à un étendard trop grand pour porter les armes précises d’une famille, d’une région ou d’un roi. Cependant, l’iconographie de L’indienne est issue de cet univers. Tout un champ lexical de la guerre s’y retrouve : l’espace fortement strié, les motifs dentelés qui rappellent l’intérieur ou les doublures de ces représentations de la guerre dans les tableaux du XVIIe ou du XVIIIe siècles, ou encore le motif ou l’étoffe qui enveloppe les tambours. Loin de convoquer des références ou des images précises de films, Garouste fait davantage appel à la mémoire visuelle du visiteur, à ce qu’il sait sans savoir, à ce qu’il avait appris sans prêter attention, et, parfois même, avec une pointe d’ennui. Entre le drapeau, l’étendard, le kakémono, fasciné par l’hybride, Garouste introduit dans la pratique de l’indienne ses références à la peinture. Celles de Giotto, de Carpaccio, de Piero della Francesca sont les plus évidentes. Sa peinture ne coïncide pas - ou très peu - avec la technique et le modèle employés, elle ne s’ajuste pas sans mal avec les temporalités évoquées. L’essentiel revient à faire sentir la présence de ces références plus que littéralement les citer. Tout dans L’indienne est décor. Les passants, les noeuds, la toile libre, font comme si la peinture n’était pas faite pour adhérer au mur ; au contraire elle se décolle, elle baille, elle bouge, sensible au moindre courant d’air ou déplacement : elle flotte. Cette toile libre n’a pas le même sens que celles des artistes de Support-Surface, ou d’autres, qui indépendamment du groupe, ont interrogé ce support. Elle ne porte pas le discours d’une libération du châssis, une victoire prise sur la peinture traditionnelle. Les références, les techniques, l’iconographie font que, malgré la tentation théâtrale, le discours qui prime est toujours celui de la peinture particulièrement sujette à la dispersion. La peinture de Garouste est conçue comme une pièce de mobilier, malgré ses deux dimensions. Les accointances avec le design sont perceptibles autant qu’étranges. L’univers est aussi celui des photographies de Cecil Beaton, des décors des films de Jean Cocteau, mais aussi du mouvement néo-baroque qui a saisi le design au milieu des années 1980 : les têtes d’ânes des Farfelus farfadets ou d’En attendant les barbares. L’ambiance est sombre, les textures sont riches et parfois ampoulées, même si elles n’oublient jamais d’autres mouvements fondamentalement contraires comme l’art conceptuel, le land art. Dans une monographie sur le peintre, Garouste est décrit, tour à tour, classique ou indien, alors que l’artiste est dans un mouvement indissociable, classique et indien ; c’est aussi en cela qu’il est un artiste baroque, ce qui ne n’est pas forcément synonyme de déformation ou de déséquilibre, mais de l’attraction et de la répulsion des formes entre elles et des références, qui produisent une distorsion. Pour le classique, quoi de plus fascinant que l’Indien ? Pour l’Indien quoi de plus dérisoire que le Classique ? Quoi de plus représentatif que les motifs de la peinture accompagnés dans un monde hostile ? Le classique est par nature méfiant, incrédule mais résolu dans son goût. "Je ne connais pas d’écriture plus juste (la peinture), écrit Garouste, capable de transcrire et codifier toutes les connaissances et associations d’idées qu’un cerveau peut enregistrer à l’instant où la rétine s’imprègne d’une image. Or, c’est cette impression immédiate que j’essaye de provoquer, parce qu’elle n’est pas contrôlée. Elle se constitue d’une chaîne d’informations qui, s’il fallait traduire, ressemblerait à un délire parce qu’elle associerait le sujet du tableau au format du cadre, la couleur du ciel à celle de votre rouge à lèvres, vos lèvres au temps qu’il fait dehors. C’est ce que le classique appelait la logique du fou en parlant du discours indien."
Plus personne ne peut dire maintenant que la peinture est un genre dépassé ou obsolète. Une telle opinion serait aussi oiseuse que d’interroger la séparation entre la figuration et l’abstraction. La peinture de Garouste pose clairement la question de l’héritage et de la transmission d’un patrimoine et du savoir-faire d’une culture visuelle. Garouste est donc légitiment attaché à la définition du post-modernisme et oblige, face à de telles oeuvres, à interroger la pertinence et la pérennité de cette appellation. Garouste, qui aide le visiteur à savoir ce à quoi justement il refuse de céder, se définit comme un chercheur de peintures, des traces de celle-ci, pas simplement dans son oeuvre, mais également dans ses lectures et dans sa capacité à lier les idées, à leur faire prendre un sens malgré l’étrangeté ou la séparation entre elles. "Malheureusement j’appartenais, dit le peintre, à une génération qui n’avait plus aucune règle à enfreindre. Lorsque la prison disparaît, s’efface l’idée de liberté. Lorsqu’en art tout devient possible, il n’existe plus aucune forme de liberté... J’ai réalisé ma première exposition en 1969 (...) dix ans après j’ai présenté la seconde. Entre temps je n’ai fait que chercher la peinture." Bernard Blistène avait vu juste lorsqu’il disait que Gérard Garouste était, dans son sens fort et étymologique, un individu, irréductible au groupe ou à d’autres règles que celles qu’il s’assigne. Il a la particularité de se donner des modèles qu’il ne suit pas (au moins formellement) comme Duchamp, Beuys ou Warhol qu’il apprécie, en utilisant des références qui semblent nier ou remettre en cause sa propre démarche. Il revendique une peinture du côté de De Chirico dont le «chemin détourné» a montré que l’histoire et le formalisme pouvaient être semés de pièges, à commencer par ceux auxquels il a été le plus sensible : ceux de la séduction. Garouste cherche à comprendre la raison de l’oblitération de certains mythes et récits en jouant, non pas sur la forme sérieuse ou sur la corde de la réhabilitation, mais plutôt sous la forme d’un jeu de société, de la place de la peinture enfouie dans nos mémoires, nos corps, nos tropismes, nos habitudes ou nos réflexes. Il projette ainsi de la culture par associations subjectives et condensations plastiques. Entre les peintures d’histoire que Gérard Garouste réalise depuis la fin des années 1970 jusqu’aux oeuvres les plus récentes, l’artiste s’inscrit délibérément dans «un monde hanté par l’invisibilité des temps», selon Marie-José Mondzain, en revisitant les éléments narratifs tels que les mythes (les mythes chrétiens), les grands récits (Don Quichotte) ou les contes (Peau d’Âne). Garouste aide à visualiser et à matérialiser la relation complexe entre la peinture et la contemporanéité en mêlant des interrogations presque insolubles (comme l’ignorance de la technologie) et la fidélité à un média indécis et inquiet de son propre devenir. La peinture est toujours spectrale, peuplée d’un monde de revenants, note Jean-Hubert Martin dans la préface à son exposition au Musée National d’art moderne à Paris. Il défigure une comédie humaine tout en maintenant les «moules narratifs de la culture». Il intègre, en les incorporant, de nombreux signes : ceux de la littérature, de l’écriture, de la lettre, de la prise de note, qui équivaut à une prise de croquis d’une «pensée plastique prise sur le vif», qu’il serait plaisant de nommer des sténotypes picturaux. Gérard Garouste travaille sur l’ampleur et le nappage, les figures, les visages parfois surdimensionnés et enveloppant, comme sortis d’un livre de contes, qui débordent littéralement de la pose et de la narration. Ils prennent plus de place et effectuent le passage vers la couleur et la forme de récits rendus étranges ou rêveurs, parfois inquiétants ou drôles par la distorsion entre des préoccupations eschatologiques, philosophiques et même cosmologiques, et des motifs qui dédramatisent une telle profondeur de pensée et plus généralement l’idée du Grand Tout. Gérard Garouste s’est donc ingénié à repenser une certaine forme de modernisme sans tomber néanmoins dans le piège d’académismes surannés. Il préfère analyser et réévaluer les références à la modernité et affirmer que les peintres ont parfois oublié, dans le sérieux d’un discours théorique, que la toile était un lieu de divertissement.
Même si l’univers n’est pas complètement différent, les toiles sur châssis ne dégagent pas exactement la même atmosphère. L’oeuvre commandée par Lille Métropole Communauté Urbaine en 2006 à Garouste s’inscrit également dans l’histoire d’un territoire et d’un passé : les Flandres. Le peintre, réfléchissant à sa commande, voulait vraiment restituer sa perception de la métropole. Il demanda que sa visite de la ville de Lille soit orientée d’un point de vue thématique. Il souhaitait se rendre sur les traces de Jeanne de Flandre (1188-1244), soeur cadette de Marguerite de Flandre, princesse de Constantinople (1202-1280). Dans Lille, Garouste a visité l’Hospice Comtesse puis, hors de Lille, l’Hospice de Seclin. Il a été frappé que ces deux figures historiques aient gardé une telle importance historique pour les Lillois et les habitants de la métropole. Dans son appropriation, l’une, Jeanne, représentait plus la ville de Lille et l’autre, Marguerite, la métropole, notamment dans la fondation de leurs hospices respectifs, l’un en plein centre, l’autre en périphérie. Cette actualisation de deux figures historiques a servi de point de départ à son tableau, dont il imagina la vie à partir de toute une série de métaphores et de récits probablement apocryphes ou inventés qu’il a découvert à la Bibliothèque Municipale de Lille dans le fonds de livres rares et précieux. Ne s’agit-il pas d’une étrange coïncidence qu’entre les indiennes des hospices de Reims qui l’ont tant séduit au début des années 1980 et Jeanne et Marguerite de Flandre, le lien se fasse comme un savant tressage à travers L’indienne, conservée au Musée d’art moderne Lille Métropole ?
Commissariat d’exposition :
Nicolas Surlapierre, Conservateur au Musée d’art moderne Lille Métropole
assisté de Claire Casedas, Chargée de mission
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