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LyonBiennale du 15 septembre 2011 au 31 décembre 2011
Thierry Raspail, directeur artistique de la Biennale de Lyon, a choisi Victoria Noorthoorn, pour assurer le commissariat de la Biennale de Lyon 2011.
"Pour la 11e édition de la Biennale de Lyon, historiquement une biennale d’auteur, j'ai
choisi de faire ce que font les artistes – d’avancer à l’aveugle, dans le noir, sans savoir si
celui-ci s’éclaircira ou non au cours de ma progression, pas à pas et d’oeuvre en oeuvre,
de me laisser influencer par mes obsessions, mes intuitions et mes frayeurs, et d’être
guidée par les indices et les provocations que les artistes conviés ont semé sur ma route
– sur notre route. J’ai voyagé et fait en sorte que cette exposition parle tout à la fois de
l’incertitude du présent et de son proche avenir, qu’elle parle de la condition de l’artiste
et de l’absolue nécessité de l’art, tout en restant ouverte au doute, à la contradiction et à
la perplexité, au changement et au mouvement. Cette exposition est née des convictions
et interrogations suivantes :
- L'imagination est le support de la connaissance. Nous partageons
avec Oscar Wilde chacune de ses célèbres épigrammes
: la fonction de l'artiste est d'inventer et non d'enregistrer
; le plaisir suprême de la littérature est de réaliser
l’inexistant ; et je plaide pour le mensonge dans l’art. Cela
signifie que l’art doit prendre ses distances à l’égard du réel
pour exister en tant que tel – en tant que construction artificielle
– et pour répondre en retour, et avec éloquence, à la
complexité du réel.
- L’imagination permet au rationnel et à l’irrationnel de cohabiter
avec la plus grande productivité. L’artifice de l’art se
crée en réunissant ou en opposant des méthodologies très
diverses, qu’elles soient rationnelles (ainsi, le retour aux
notions modernes de sciences et d’encyclopédie) ou irrationnelles
(ainsi, l’appel au mysticisme, à la fantasmagorie, à
l’hallucination, au délire, au jeu et au hasard, jusqu’à l’abandon).
- L’imagination permet à l’individu de prendre des risques, de
repousser ses limites et d’explorer, avec ou sans intention
intellectuelle, les gestes et les pratiques qui sont autant d’alternatives
au présent – et donc de construire des utopies
alternatives.
- L’imagination est la première des émancipations.
- La liberté peut prendre différentes formes dans l’art : l’interrogation
du présent, la création d’un monde alternatif, la destruction
constructive des discours et des langages établis.
Cette destruction constructive rejoint l’imagination et fait de
l’absurde, du délire et de l’humour des outils d’émancipation
du langage.
- Dans son poème Pâques, 1916, le poète W. B. Yeats s’interroge sur son propre
présent et analyse avec la plus grande incertitude la révolte des Irlandais revendiquant
leur émancipation du joug britannique. À première vue, le poème semble célébrer
les martyrs qui donnèrent leurs vies pour l’indépendance. Mais en y regardant
de plus près, il est évident que le narrateur doute. Comme l’affirme Carlos Gamerro
dans l’essai qu’il publie pour le catalogue de la Biennale de Lyon 2011, le poème,
troublant, oscille entre affirmation, interrogation et négation, sans jamais prendre
parti. Cette Biennale est pénétrée de ce sentiment qui nous laisse incapable de
juger de l’évidence d’un présent. Nous préférons répondre, deviner et nous contredire
en toute liberté.
- Une terrible beauté est née, le fameux vers du poème de Yeats qui donne son titre
à la Biennale, rassemble deux idées apparemment opposées – c’est cette contradiction
productive qui nous intéresse ici.
- Pourquoi est-il nécessaire d’interroger une fois encore cette notion de beauté ?
La beauté est depuis toujours l’un des paramètres les plus violents et les plus
arbitraires de la pensée occidentale. Interrogeons-nous : la Beauté – au sens de
R. M. Rilke – est-elle toujours le début de la terreur ? Y a-t-il une beauté qui ne
soit pas terrible ? L’émergence de la beauté adoucit-elle la brutalité du réel ou n’en
renforce-t-elle pas au contraire les horreurs ?
- Cette Biennale est une réponse à ces questions et ces mécanismes en ce qu’elle
orchestre les tensions, les vides et les excès sur lesquels s’appuient les artistes en
réaction au présent. Dans sa mise en scène, la Biennale emprunte à la philosophie,
au théâtre et à la littérature. La scène, le jeu, le dévoilement, la dissimulation ou le
travestissement s’infiltrent partout dans la Biennale. La charte graphique conçue
pour elle par l’artiste Erick Beltrán en est d’ailleurs un exemple. L’exposition invite
ainsi la fiction à se développer et à commenter les contradictions du présent.
- Cette Biennale entend répondre à l’actuelle confusion de l’art, à une époque où
celui-ci est principalement considéré comme un produit de marché. Ici, nous
cherchons à élaborer une exposition conçue comme un réseau au sein duquel
les oeuvres communiquent entre elles, en créant du sens et en prenant position à
l’égard du monde.
- A la suite de Wilde, cette exposition ne cherche pas à témoigner ; elle distingue l’art
du journalisme.
- Elle distingue également l’art de la communication. Cette Biennale s’efforce de
résister aux modes de communication courants qui exigent d’une exposition qu’elle
soit soumise à un communiqué rédigé sur le même ton et empruntant un vocabulaire
commun aux quatre coins du monde. Nous résistons à la nécessité d’expliquer
la densité. Si des textes doivent être publiés dans le cadre de la Biennale ou dans
son catalogue, ils le seront au titre d’oeuvres d’art et pas en tant que textes étroitement
explicatifs.
- Depuis l’Antiquité, les mots étaient par-dessus tout des images et les images, des
mots. Ecrire, c’était faire image. Les unes et les autres incarnaient un sens et une
action. La création d’une image suppose dorénavant la possibilité d’une action qui
prenne place dans le réel. C’est cette action performative que nous souhaitons
susciter.
- Chaque image a un effet, et cette exposition est conçue comme une réflexion sur
ces effets. Nous partageons les réflexions de W. J. T. Mitchell en choisissant de
nous interroger sur le désir et le faire des images, sur ce qu’elles véhiculent et comment,
plutôt que sur ce qu’elles représentent. Nous souhaitons montrer le pouvoir
des images, un pouvoir capable de modifier de façon radicale l’ordre établi. À cet
égard, nous croyons à l’importance de la création de l’image aussi fictionnelle, rare
ou travestie qu’elle puisse paraître, en tant qu’action qui permet à son créateur de
mettre en scène sa propre position idéologique.
- Nous souhaitons nous interroger sur le pouvoir de la ligne en tant qu’outil de démarcation
du territoire et de représentation d’une position dans le temps, dans l’espace
et dans l’idéologie.
- C’est ainsi que nous souhaitons répondre à la confusion croissante entre art et politique.
Pour nous, l’artiste est avant tout un sujet politique et l’art est politique. Nous
n'avons aucune intention de faire de la politique au sein de l'espace d'exposition ;
un tel désir serait redondant.
- La 11e Biennale de Lyon a été conçue à Buenos Aires, en Amérique du sud, pour
et avec Lyon. Les artistes exposés ont été conviés durant de nombreux voyages de
recherche en Europe et en Afrique au cours de l’année écoulée. Ils ont été choisis
pour leurs qualités personnelles et non en tant que représentants de leurs pays ou
régions d’origines – faut-il le préciser ?
- Dans de nombreux cas, les artistes ont été invités à répondre les uns aux autres. Il
leur a ainsi été demandé de résoudre des problèmes spécifiques et de participer
à un dialogue avec d’autres artistes. Cette exposition est par conséquent le fruit
d’une conversation permanente, d’un modus operandi qui croit au pouvoir du dialogue
dans l’élaboration de tout projet.
- La 11e Biennale de Lyon a l’ambition d’être vivante. Si elle pouvait être considérée
comme un animal ou une créature vivante, elle choisirait de l’être. Si elle peut entrer
en guerre contre elle-même et répondre au caractère inexplicable du présent et à
la puissance de l’art, elle le fera.
La 11e Biennale de Lyon rassemble 60 artistes du monde entier, venus principalement
d'Europe, d'Afrique et d'Amérique latine, et dont les oeuvres sont exposées sur 14 000 m²
dans quatre lieux : La Sucrière, la Fondation Bullukian, le Musée d’art contemporain de
Lyon et l'Usine T.A.S.E.
Le catalogue de la Biennale est conçu et dirigé par une équipe éditoriale résidant à Buenos
Aires, dont font partie les écrivains Carlos Gamerro et Rubén Mira, le dramaturge et
metteur en scène Alejandro Tantanian, et moi-même. Conçu et publié en étroite relation
avec Franck Gautherot aux presses du réel, ce catalogue est un projet éditorial autonome
plutôt qu’une tentative de représentation de la Biennale en soi."
Victoria Noorthoorn - "Une terrible beauté est née", Buenos Aires, 12 avril 2011
A noter : Thierry Raspail confie le commissariat de la Biennale de Lyon 2013 à Gunnar Kvaran, directeur du musée Astrup Fearnley à Oslo.
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