Thibaut Cuisset

J'ai apprécié les photographies de Thibaut Cuisset par ses paysages de Bretagne pour l'Observatoire photographique du paysage. Sa "Campagne japonaise" réalisée pendant son séjour à la villa Kujoyama avait ensuite attiré mon attention. Plus tard, son livre " Le dehors absolu" m'avait semblé aller très loin dans la quintessence de la "vue", comme si cette antienne de la photographie de paysage du XIXe siècle avait trouvé là une forme de consécration à la fois dense et minimaliste. J'ai eu envie alors de faire connaître à Thibaut Cuisset, cette contrée à la géographie particulière aux confins est de la Normandie, le Pays de Bray ; j'étais sûr qu'elle lui parlerait car il y a dans ces paysages ruraux, dans cette campagne, quelque chose d'absolu, comme si ces lieux portaient en eux la synthèse des séries que j'appréciais chez lui.

Il faut dire qu'une évolution géologique originale a ouvert ici des paysages d'une ampleur inédite en Haute-Normandie. Dans le plateau crayeux qui s'allonge de Dieppe à Gournay, s'est formé une vaste échancrure de forme elliptique bordée par une succession d'escarpements, ce qui lui a valu le nom de "boutonnière", et où l'érosion a mis au jour des couches argileuses humides, boueuses qui ont donné son nom à la région, du vieux français brai. Eloigné des grands centres urbains, ce cadre peu industrialisé présente de larges horizons mais aussi une campagne bocagère bien préservée où l'activité, essentiellement agricole, est tournée vers l'élevage et la production laitière. Thibaut Cuisset s'est immergé dans ce paysage rural dont il s'est attaché à enregistrer, voire à déchiffrer les caractéristiques : départementales serpentant sur les collines, coteaux couronnées de forêts, gros bourgs et petites installations agricoles. Il a été aussi attiré par les vues larges et dégagées qu'offre le relief du Pays de Bray, s'autorisant de magnifiques points de vue sur les réseaux de parcelles et les vastes étendues cultivées. Différents séjours lui ont permis de mettre en valeur les transformations opérées dans le paysage par la lumière, les couleurs, les saisons et les cultures. Loin des effets pittoresques ou des sentiers battus d'un riche patrimoine, Thibaut Cuisset a su reconnaître dans une simple marnière à flanc de coteau, dans une succession de bosquets et de taillis ou dans l'enchevêtrement d'une entrée de village, les repères modestes mais significatifs qui constituent la trame de ce paysage rural.

Sa campagne photographique a touché d'emblée l'essentiel d'un monde rural non pas typique, patrimonial ou touristique, mais exemplaire, emblématique. Ce faisant, il crée un monde qui n'existe que par ses formes et ses couleurs. Il le décrit par la photographie parce qu'il l'apprécie, parce qu'il aime regarder ses paysages, parcourir ses routes, découvrir ses hangars, fermes ou anciennes fabriques. Guider par la qualité descriptive de la photographie, la dépendance au réel ne le gêne pas quand la sensation l'accompagne. "Le voyage est ma méthode de travail" aime à répéter Cuisset. Il se déplace beaucoup, le plus souvent en voiture car il a besoin d'espace, on dira que c'est un photographe mobile plus qu'un photographe piéton. De cette mobilité, il en est souvent question dans ses images, non qu'elles traitent du mouvement en tant que tel mais plutôt elles fonctionnent comme les syncopes suspendues d'un lent travelling. Travellings sous-jacents de lumières et de couleurs, travellings diffus d'impressions et d'émotions. Le jeu des formes et des sujets alimente le voyage intime et personnel de Cuisset dans ses paysages. Ceux qu'il s'est construit et qu'il cherche un peu partout, lointains ou proches, mais où chaque fois il nous les donne à voir comme ils sont, comme on les connaît ou comme il nous les apprend. Paradoxe de ces paysages qui sont les siens.

Didier Mouchel, chef de projet pour la photographie au Pôle Image Haute-Normandie.

Commande et résidence de Pôle Image qui a bénéficié du soutien de la région Haute-Normandie et du Ministère de la Culture et de la Communication / DRAC Haute-Normandie.