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PoloniaDes Polonais en France depuis 1830 |
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Petites Polognes minières et isolats rurauxSeconde partie de l'exposition PoloniaLa Cité nationale de l’histoire de l’immigration présente l'exposition "Polonia - Des Polonais en France depuis 1830" du 2 mars au 28 août 2011. La seconde partie de l'exposition, que nous détaillons ici, s'intitule "Petites Polognes minières et isolats ruraux" : A l’issue de la Grande Guerre, tandis que la Pologne renaît en tant qu’Etat indépendant, la France compte ses morts, ses blessés, ses terres dévastées et ses mines hors d’usage à l’issue des combats. D’où l’appel à des bras étrangers. Les gouvernements des deux pays signent, le 3 septembre 1919, une convention d’immigration qui prévoit un recrutement collectif, des contrats de travail et l’égalité des salaires avec la main-d’oeuvre française. Ainsi des trains et des bateaux vont-ils amener, semaine après semaine, des familles issues des campagnes surpeuplées du nouvel espace polonais, des gens venus gagner leur pain (za chlebem) et qui ne parlent pas français. Se joignent à eux des compatriotes ayant transité par le bassin de la Ruhr où ils ont appris le métier de mineur. Ces arrivées massives font des Polonais, avec plus d’un demi million de personnes recensées en 1931, la deuxième nationalité étrangère en France, après les Italiens. Changement radical, ce n’est plus Paris qui l’emporte comme au XIXe siècle, mais la province, y compris les régions agricoles. Aujourd’hui, les Français ayant du sang polonais dans les veines descendent majoritairement de cette immigration ouvrière.
Elles ne concernent pas les seuls Polonais, mais la plupart des étrangers qui viennent en France exercer un travail salarié. Les besoins de main-d’oeuvre sont devenus tels que les autorités politiques sont obligées d’intervenir. L’Etat prend les dispositions générales : signature d’accords bilatéraux avec les pays de départ, lois sur l’entrée et le séjour des étrangers, réglementation administrative. Pour le recrutement, il laisse le secteur patronal empiéter sur ses prérogatives.
Dans la convention signée avec la Pologne, la France obtient le droit d’effectuer le recrutement sur place. La sélection des candidats repose sur des critères médicaux, car le pays d’accueil veut des hommes robustes, des femmes jeunes et saines. Ouvert en 1923, le centre de rassemblement de Myslowice (Haute Silésie) passe aux mains de la Société générale d’immigration (SGI), organisme patronal qui gère l’envoi de centaines de milliers de Polonais dans tous les métiers demandeurs de main-d’oeuvre. A part ceux qui empruntent la voie maritime par la Baltique et arrivent à Dunkerque ou au Havre, c’est de Myslowice que part l’essentiel des convois. Après quelques jours de voyage en train, les Polonais posent le pied à Toul (Meurthe-et-Moselle) où leur contrat de travail est complété avec le lieu d’affectation.
Tout est réglementé : la demande d’ouvrier étranger de la part des employeurs, le contrat de travail bilingue qui précise les droits et les devoirs des deux parties, la déclaration de résidence dans la commune d’arrivée conformément à la loi de 1893, la carte d’identité, obligatoire pour les étrangers depuis 1917 et qui doit être renouvelée tous les trois ans (ensuite, tous les deux ans), sans laquelle ils ne peuvent pas exercer d’emploi salarié. Les Polonais, comme les autres immigrés, font connaissance avec les arcanes de l’administration. Ils conservent précieusement des récépissés, des reçus en tous genres, d’autant plus inquiets que, à part le contrat initial, tout est écrit en français, une langue qu’ils ne comprennent pas.
Destiné à célébrer l’immigration ouvrière polonaise à l’occasion de son 50e anniversaire – encore que l’année 1923 ne fut ni la première ni la seule – ce timbre poste a précisément pour auteur un fils d’immigrés, Raymond Juskowiak, né en 1928 à Liévin (Pas-de-Calais). Comme son père, il devient mineur à la fosse 5 de Calonne- Liévin. Doué pour la peinture, il mène parallèlement les deux activités jusqu’à sa retraite en 1974. Il signe « Jusko » et son talent est reconnu en France. En 1972, il remporte le concours pour la réalisation du timbre où il fait figurer les symboles du flux des années vingt : des paysans, un baluchon sous le bras, laissent derrière eux le village polonais et son clocher pour se diriger vers les champs, les mines ou l’industrie françaises.
Un tiers des Polonais munis d’un contrat de travail sont dirigés vers le secteur rural. Leur carte d’identité porte le cachet « travailleur agricole ». A part les grosses fermes d’Ile-de-France qui en recrutent plusieurs chacune, le reste du territoire comprend surtout des petites exploitations de paysans propriétaires qui n’ont besoin que d’un seul ouvrier. L’agriculture emploie beaucoup de jeunes filles, autant parce que la loi de 1874 interdit le travail féminin au fond des mines que parce que leurs salaires sont minorés. Pour elles, au sentiment de solitude s’ajoute souvent le harcèlement sexuel. Certaines s’enfuient, d’autres rejoignent des compatriotes plus chanceux et se marient. Le renouvellement de la main-d’oeuvre agricole est incessant.
Ce sont elles dont on parle le plus. Et le discours se focalise de préférence sur celles du Nord-Pas-de- Calais. Comme s’il n’y avait de Polonais que dans cette région. Or la Société générale d’immigration (SGI) envoie des « travailleurs industriels » partout où existent des exploitations de charbon, de minerai de fer ou de potasse : dans le Centre, en Lorraine, en Normandie, en Alsace... Tout au moins jusqu’au coup d’arrêt de la crise économique qui frappe l’industrie française à partir de 1931.
À part les « Westphaliens », Polonais qui ont appris le métier dans la Ruhr et abordent aussitôt l’extraction, les autres doivent s’initier aux tâches du fond, ce qui demande du temps. L’apprentissage terminé, le mineur polonais gagne autant que les autochtones et éprouve la même fierté d’appartenir à l’aristocratie de la classe ouvrière, ceci malgré les risques encourus. A chaque descente, l’homme prend sa lampe et dépose son jeton numéroté qui permet d’identifier ceux qui ne remontent pas les jours de catastrophes. Jusqu’au Front Populaire et à l’enthousiasme qu’il provoque, les Polonais comme les autres étrangers hésitent à se syndiquer par peur de représailles. Le sort de Thomas Olszanski, militant révolutionnaire, dénaturalisé et expulsé en 1934 a fait grand bruit.
Le logement joue un rôle capital dans l’enracinement des familles immigrées. Une fois leur contrat d’un an achevé, les Polonais quittent les entreprises qui n’en offrent pas au profit de celles (Nord-Pas-de-Calais, Lorraine du fer, Alsace potassique) où des maisons récemment construites leur sont attribuées : coquettes, avec un jardinet à l’arrière pour cultiver des légumes et élever des lapins. L’épouse du mineur reste au foyer, élève les enfants, assure l’entretien, coud les vêtements, brode des napperons de bienvenue. Les quelques boutiques qui s’ouvrent au sein des cités, tenues par d’anciens mineurs, servent de points de rencontres pour les femmes à l’égal des estaminets pour les hommes.
Arrivés à la fin du XIXe siècle comme à Metz et Nancy, ou à partir des années 1920 comme à Lens, des Juifs polonais s’installent près des bassins miniers où leurs compatriotes recrutés par la Société générale d’immigration vivent nombreux. Le contraste est saisissant entre les deux groupes : ouvriers salariés de la grande industrie d’un côté, artisans et boutiquiers de l’autre. Certains Juifs se spécialisent dans la vente aux mineurs dont ils parlent la langue. Des colporteurs parcourent les cités pour proposer des vêtements de travail, de la lingerie, des plumes d’oie qui servent à confectionner la pierzyna (couette). Leur vie communautaire s’organise dans des lieux distincts de ceux des Juifs français : à Metz, un oratoire de rite polonais est installé à côté de la synagogue consistoriale.
Les Polonais recrutés sur contrat n’imaginent pas finir leurs jours en France. Ils aspirent à rentrer chez eux dès qu’ils pourront y trouver un emploi décent ou quand ils auront réalisé les économies nécessaires à l’achat d’un terrain à cultiver, les mettant à l’abri de la faim. En attendant, ils entreprennent de reconstituer un milieu national, avec un succès plus ou moins grand selon le degré de concentration des implantations ouvrières.
L’église de France refuse l’existence de paroisses étrangères : les prêtres nommés par le recteur de la Mission catholique polonaise ont donc le statut d’aumôniers, vicaires dépendant du curé français du lieu. Les Polonais des cités minières, en majorité croyants et très pratiquants, trouvent toujours insuffisant le nombre d’aumôniers. Les cités les plus peuplées bénéficient d’un prêtre à demeure, les autres attendent le passage d’un aumônier itinérant pour faire baptiser leurs enfants. Respecté, écouté, il maintient ses fidèles dans la tradition, celle qui associe Dieu et la Patrie (Bóg i Ojczyzna ) et qui place les foyers polonais sous la protection de la Vierge de Czestochowa.
Les journaux rédigés dans leur langue, souvent servis par abonnements, atteignent les Polonais partout en France, mais avec une diffusion plus grande dans les cités minières. De nombreux titres apparaissent, plus ou moins éphémères (communistes, syndicaux, professionnels). Dominent deux grands quotidiens à la fibre patriotique, fondés avant 1914 dans la Ruhr et transférés en 1924 : Wiarus Polski publié à Lille et surtout Narodowiec, installé à Lens au coeur du bassin de charbon du Pas-de- Calais où il paraîtra jusqu’en 1989. La Mission catholique polonaise publie Polak we Francji (Le Polonais en France), remplacé plus tard par Glos Katolicki (La Voix catholique). Cette presse s’effacera peu à peu avec la deuxième génération, scolarisée et francophone.
À côté de l’enseignement primaire obligatoire en langue française, les parents aiment voir leurs enfants apprendre à lire et à écrire en polonais. Là où les élèves sont assez nombreux, se mettent en place des cours donnés le soir après la classe dans les locaux de l’école publique ou à l’intérieur de l’horaire quotidien dans les écoles privées des Houillères. En général, deux à trois heures par semaine assurés par des moniteurs ou des monitrices venus du pays. Parler d’école polonaise constitue un abus de langage. Des cours de ce type perdurent jusqu’aux années 1970, tant que des enseignants acceptent de les assurer. C’est le cas, par exemple, à Potigny (Calvados) comme en témoignent ces cahiers d’écoliers.
Les activités associatives se développent aisément grâce au libéralisme de la loi du 1er juillet 1901. Une simple déclaration en préfecture suffit pour créer un groupe géré par des étrangers et où les réunions peuvent se tenir dans la langue de leur choix. Aussi voit-on fleurir au sein de toutes les cités minières polonaises une myriade de sociétés sportives, musicales ou théâtrales, qui organisent fêtes et rencontres. Les statuts prévoient que seuls les citoyens polonais ont le droit d’en être membres. Peu à peu s’opère un rapprochement entre Français et Polonais. Raymond Kopa, fils de mineur polonais, intègre l’équipe de France de football et les orchestres populaires, celui de Stéphane Kubiak en tête, font danser toute la région du Nord.
Le projet initial de retour chez soi peut devenir un cauchemar quand il est imposé pendant la crise économique des années trente. Il pose d’autres problèmes après 1945 lorsque le nouveau régime installé à Varsovie propose à ses ressortissants de rentrer pour aider à « reconstruire la Pologne socialiste ». Finalement, des immigrés polonais se résigneront à vieillir en France, mais sans se faire naturaliser par fidélité à la Patrie.
Les retours forcés de l’entre-deux-guerres prennent deux visages : l’expulsion individuelle et le rapatriement collectif. Dans les années trente, confrontée au chômage, la France renvoie des familles entières, vide des quartiers des cités minières avec 48 heures pour rassembler 30 kilos de bagages par personne et se présenter à la gare. De 1946 à 1948, malgré la présence de propagandistes communistes, la décision appartient aux intéressés. Les photographes d’époque ont enjolivé le tableau : wagons ornés de fleurs, jeunes gens enthousiastes jouant de l’accordéon. La réalité est plus grise. Des familles se divisent, l’un voulant partir, l’autre non. Et personne n’imagine que ce voyage est à sens unique, que le rideau de fer va s’abattre sur l’Europe.
Les lettres échangées, les photos envoyées à la famille sont autant de moyens de garder le contact avec les
parents restés au pays. Dans l’ntre-deux-guerres, il est peu fréquent d’aller en Pologne car le train coûte cher.
Le prendre entamerait sérieusement les économies. Parfois, le père ou la mère fait seul le voyage pour aller
soigner ou enterrer un proche. Après 1945, la Pologne communiste crée des colonies de vacances au bord de la
Baltique à l’intention des enfants d’immigrés, afin de resserrer les liens. Dans les années 1960-1970, quand des
fils emmènent leurs vieilles mères en voiture revoir le village natal, celles-ci ont du mal à le reconnaître. Elles
mesurent alors l’effet opéré par un demi siècle d’éloignement et d’enracinement en terre française.
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