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Les Romanov, tsars et collectionneurs |
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Pinacothèque de ParisExposition du 26/01/2011 au 15/09/2011Un musée naît à Paris. La Pinacothèque de Paris qui, depuis trois ans, n’était qu’un espace culturel présentant des expositions temporaires, va disposer désormais d’un accrochage permanent et d’une collection. Une collection nouvelle, jamais vue, constituée de chefs-d’oeuvre prêtés par de grands collectionneurs privés. C’est un événement suffisamment rare pour qu’il soit célébré à sa juste mesure. Il est en effet difficile de savoir quand s’est vraiment constitué un musée dans la plus prestigieuse capitale d’Europe. Certes, ces dernières années, de nombreux musées ont vu le jour. Mais il s’agit de monuments, beaux bâtiments conçus par des architectes célèbres, destinés à accueillir le redéploiement de collections existantes et déjà connues. Le dernier né, rappelons-le, est le musée du quai Branly qui réunit les collections du musée de l’Homme et du musée de la Porte Dorée. Auparavant, la gare d’Orsay avait été transformée en musée pour exposer les collections impressionnistes du Jeu de Paume ; avant lui, le MNAM, Centre Pompidou, a été construit pour présenter les collections modernes du musée Galliera. Dans ces différents cas, on a parlé de « nouveaux musées », mais non de la « naissance d’un musée ». Aucun musée n’a donc été créé à Paris, à proprement parler, depuis des temps immémoriaux. Une occasion s’est présentée avec le projet de l’île Seguin. Ce fut une occasion ratée. Le musée a finalement ouvert ses portes à Venise. La Pinacothèque de Paris se définit donc comme le premier musée, né à Paris, depuis fort longtemps. Cet événement important, unique pourrait-on dire, méritait de pousser davantage la réflexion sur la naissance d’un musée. Que soit même posée la question : comment se crée un musée ? Autrement dit, qui en a l’initiative ? Qui le permet ? Qui le conçoit et lui donne vie ? La réponse est simple : le collectionneur. C’est sur le collectionneur que se fonde aujourd’hui la collection de la Pinacothèque de Paris. Comme pour la plupart des musées, lors de leur naissance. On me demande souvent que signifie « Pinacothèque ». Étymologiquement, cela vient du grec ancien : de « pinacos » qui veut dire image, tableau, oeuvre d’art, et « thèque », la boîte. Autrement dit, la boîte à image. Vitruve en donne une explication plus poussée : il présente la pinacothèque comme le lieu ou l’amateur privé présente ses oeuvres au public. C’est ce qu’on a appelé plus tard le cabinet d’amateur, ou encore le cabinet de curiosité. Cet endroit personnel et secret où le collectionneur arrange à son goût ses oeuvres, selon ses propres critères esthétiques, un lieu confidentiel qu’il ouvre au public pour que ce dernier puisse apprendre et découvrir. Tel est bien le sens de la Pinacothèque de Paris. Le collectionneur, personnage hors du commun, est celui qui, à côté de son rôle dans la vie, change d’habit pour devenir un amateur d’art éclairé, un passionné, un fou qui ne vit plus que pour sa passion au point d’en oublier tout le reste. Quel musée existerait sans le collectionneur ? Que serait le Louvre sans les Rothschild, les Camondo ou les Moreau Nelaton ? Que serait la National Gallery sans Mellon ou Chester Dale ? Que serait le MoMa sans Rockefeller ? C’est pourquoi, j’ai choisi de présenter, pour la première fois, deux exemples européens, parmi les plus anciens, particulièrement remarquables : les Romanov et les Esterházy. Dans les deux cas, ces familles – gens de pouvoir, dirigeants, hauts dignitaires – vont, parallèlement à leur carrière, s’adonner pendant plusieurs siècles, à leur passion : collectionner. Et constituer ainsi une collection à l’origine d’un musée. Nées à partir de la fin du XVIIe siècle, les collections impériales russes comptent rapidement parmi les plus importantes d’Europe. Dès 1785, le comte Ernest de Munich le confirme : « Les étrangers et les curieux du pays admis à visiter ces vastes et riches galeries de peinture en admirent avec raison la magnificence ». Le premier d’entre eux, Pierre le Grand (1672-1725), est un collectionneur averti, un grand curieux. Pierre Ier dépêche ses agents dans toute l’Europe pour rapporter peintures et sculptures à Saint-Pétersbourg. Grand amateur de l’art hollandais, Pierre Ier acquiert sur le marché d’Amsterdam des sujets bibliques, comme le magnifique David et Jonathan de Rembrandt, mais aussi des scènes de genre d’une grande qualité, tel Le Contrat de Mariage de Jan Steen, ou encore des marines. L’école italienne est représentée par une superbe Mise au Tombeau de Garofalo, alors attribuée à Raphaël, cadeau du cardinal Pietro Ottoboni. Souveraine éclairée, imprégnée de la philosophie des Lumières, Catherine II (1729-1796) enrichit à son tour les collections et construit le premier espace dédié à leur présentation : le Petit Ermitage, édi- fié à côté du Palais d’Hiver de 1764 à 1775. Ce bâtiment se révèle vite insuffisant pour abriter un nombre d’oeuvres en constante augmentation. Le Grand ou Vieil Ermitage est construit peu après, de 1771 à 1787. Catherine II donne à la collection un caractère encyclopédique et voit le moyen d’affirmer son prestige politique. C’est à Paris que Catherine effectue ses principales acquisitions, par l’intermédiaire de correspondants aussi prestigieux que Diderot ou le baron Grimm. Dans la collection de Jean de Julienne, elle sélectionne, entre autres, La Malade et le médecin de Gabriel Metsu. Mais son plus grand coup est l’achat de la collection du banquier et mécène Pierre Crozat : le Portrait d’acteur de Domenico Fetti, l’esquisse pour L’Entrée de Marie de Médicis à Lyon de Rubens, les Amours à la chasse et la Vénus, Faune et Putti de Poussin, L’incrédulité de Saint Thomas de Van Dyck ou encore le Portrait de jeune homme au chapeau de Greuze, font leur entrée dans les collections impériales. Enfin, à Paris également, elle acquiert le cabinet du comte Baudouin où les oeuvres de Van Dyck rivalisent avec celles de Rembrandt, Rubens ou encore Ruysdael. À chaque fois, une vague d’indignation secoue l’opinion parisienne, opposée à l’exportation de tant de chefs-d’oeuvre vers la Russie. Le prestige de Catherine grandit aussi. À sa mort, la galerie compte plus de quatre mille tableaux. Alexandre Ier (1777-1825), digne petit-fils de Catherine II, imprime lui aussi sa marque dans les collections impériales, en dotant notamment l’Ermitage d’une superbe collection de maîtres espagnols. Durant les guerres napoléoniennes, les Russes agressés s’identifient aux héroïques Espagnols qui résistent aux troupes françaises. L’acquisition de la collection Coesvelt fait entrer les grands noms du siècle d’or espagnol dans la galerie impériale. On retiendra ainsi l’extraordinaire Portrait du comte-duc Olivares de Vélasquez et la mystique Annonciation de Murillo. À l’impératrice répudiée Joséphine de Beauharnais, Alexandre Ier achète trente huit tableaux dont l’exquis Petit déjeuner de Gabriel Metsu. Le règne de Nicolas Ier (1796-1855) est marqué par la construction du Nouvel Ermitage (1842-1852), à la suite de l’incendie du Palais d’Hiver en 1837. C’est la naissance du musée moderne, à l’image de ceux qui fleurissent alors en Europe, du Louvre au British Museum, en passant par les musées de Berlin et de Munich. Nicolas Ier est cependant tristement célèbre pour s’être séparé en 1855 de plus de douze cents oeuvres, jugées médiocres. En dépit de ces cessions, il enrichit la galerie de tableaux italiens de la Renaissance, dont la Mise au tombeau de Francesco Francia et de nombreux Titien avec la collection Barbarigo. Les primitifs flamands font leur entrée à l’Ermitage lors de la vente posthume de la collection de Guillaume II, roi des Pays-Bas. En présentant cet ensemble remarquable, conjointement avec la collection des Esterházy, la Pinacothèque de Paris souhaite retracer l’histoire du goût chez les élites européennes au début du XIXe siècle. En l’espace de deux siècles, les Romanov ont élaboré l’une des plus belles collections du monde et construit un musée moderne, ouvert au grand public dès 1805.
Marc Restellini -
Directeur de la Pinacothèque de Paris
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