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Trônes en majesté |
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Château de VersaillesExposition jusqu'au 19 juin 2011-Y a-t-il des sociétés où la station assise des personnages souverains n’est pas symbole d’autorité ? - Jacques Charles-Gaffiot : C’est un symbole universel. Les aztèques, qui n’avaient aucun contact avec l’Europe, utilisaient des trônes, tout comme leurs envahisseurs espagnols ! En Inde, les statues du Bouddha en Éveil assis sous son arbre (le pipal) font écho aux statues du Saint-Louis français du Moyen-Âge rendant la justice assis sous son chêne. -Quelles sont les caractéristiques communes aux trônes de toutes époques et de toutes civilisations ? - Jacques Charles-Gaffiot : Un siège devient un trône lorsqu’il est mis en situation par l’emploi de trois éléments principaux : le gradin, le dais et le marchepied. Le gradin isole et élève de la foule, rendant plus visible le titulaire de l’autorité. C’est aussi un signe de proximité avec les puissances célestes. Le dais est une figuration symbolique de la voûte céleste, lieu de l’autorité divine. On parle d’ailleurs de « ciel » pour désigner la partie supérieure du dais. Enfin le marchepied est le substitut de l’ennemi vaincu, sur lequel s’exerce, avec sérénité, le poids et la légitimité de l’autorité qui triomphe du Mal, non par sa puissance, la violence ou les forces personnelles de son détenteur, mais en vertu d’un pacte d’assistance conclu avec une instance supérieure. -Ces caractéristiques peuvent être complétées par ce que vous appelez des « éléments accessoires »... - Jacques Charles-Gaffiot : J’en distingue au moins deux. D’abord l’éventail (en latin, flabellum) qui autour du trône perd sa fonction pratique et devient immobile. J’y vois l’héritage de l’ataraxie recherchée par les philosophes grecs, cet état de profonde paix intérieure que rien ne vient troubler. En présence du roi à Versailles, les femmes ne s’éventent pas. Dans l’Égypte ancienne, la déesse de la justice, Maât, est figurée avec une coiffe surmontée d’une plume d’autruche immobile qui ne saurait vaciller au gré des vents. Même constatation pour les éventails placés dans la salle du trône des empereurs de Chine ou bien, jusqu’en 1964, autour du trône pontifical, à Rome. Cette immobilité, cette inflexibilité, symbolise l’impartialité, la sérénité, la justice, qui sont l’apanage de l’autorité. Second élément d’autorité accessoire que je distingue : le coussin (en latin, pulvinus). Aux époques de la Rome antique, de l’empire byzantin ou de l’empire ottoman, les trônes des personnages divins et des souverains sont garnis de gros coussins qui dépassent parfois du siège. Enrichir d’étoffes précieuses le trône ou le siège du représentant de l’autorité est une pratique observée dans l’Inde ancienne, cinq siècles avant notre ère. Cette habitude se traduit en France, sous l’Ancien régime, par le respect rendu au lit royal, symbole de la continuité dynastique, fondement de l’autorité royale. À partir du XIVe siècle, ce symbole du coussin est repris lors des lits de justice tenus dans la Grand-Chambre du Parlement de Paris. Pendant ces séances solennelles, au cours desquelles étaient enregistrées les décisions royales contestées, le roi siégeait sur quatre oreillers de velours placés sur un trône. Jusqu’au XIIIe siècle, de Constantinople à Sainte-Marie- Majeure, nombreuses sont aussi les représentations du Christ en majesté ou de la Vierge assise sur un trône, garni d’un riche coussin débordant aux couleurs chatoyantes. -Quelles sont les formes modernes du trône ? - Jacques Charles-Gaffiot : Les références sont innombrables : dans l’université, au sein des prétoires, dans les assemblées parlementaires et jusqu’au coeur de la vie économique, puisque l’on parle de « siège social » pour désigner la localisation d’une entreprise. Chez les anglo-saxons, plus encore, le PDG est un homme assis : le chairman. L’entreprise est donc en principe un lieu d’autorité. Mais l’architecture de ces bâtiments, qui prennent la forme d’immeubles de plus en plus hauts, comme en Chine, en Inde, aux États-Unis, et plus particulièrement encore à Dubaï, montre à l’évidence que sous le voile de l’autorité se cache essentiellement le concept de puissance économique. Celle-ci apparaît toujours plus agressive, plus conquérante. Par tous moyens, les multinationales cherchent à se tailler un empire au détriment de leurs firmes concurrentes. Le paysage urbain témoigne de la compétition à laquelle elles se livrent, en édifiant des tours toujours plus élevées que celles bâties par leurs rivales. Voilà, je crois, un bel exemple de l’abandon des anciennes valeurs et de la montée grandissante d’un individualisme violent. Une grande part de nos difficultés sociales et politiques actuelles peuvent se comprendre à l’aune de cet enseignement et de la confusion opérée aujourd’hui entre autorité et puissance. L’autorité, ne l’oublions pas, permet de dominer les passions et joue un rôle modérateur. Elle soumet la force abusive et fait respecter le droit. Aujourd’hui, c’est à dire depuis Mai 68, le mot « autorité » est assimilé à « autoritarisme ». C’est un contresens. Il est vrai que l’Occident semble fâché avec la représentation de l’autorité. -Pour quelles raisons cette érosion de l’autorité ? - Jacques Charles-Gaffiot : Dans l’histoire moderne, je fais remonter ce phénomène aux mouvements anarchistes du XIXe siècle et aux divers épisodes révolutionnaires qui ont eu lieu notamment en France à cette époque. C’est là que la phobie du trône s’est exprimée avec le plus de virulence. En 1830, le trône de Charles X, après avoir servi de lit mortuaire au cadavre d’un jeune étudiant, a été détruit. En 1848, le trône de Louis-Philippe a été brûlé publiquement, place de la Bastille. Nos gouvernants, depuis les mandats du général De Gaulle et de Georges Pompidou (et par certains aspects celui exercé par François Mitterrand), semblent dédaigner la position assise. Le chef d’État dans sa berline, est assis, mais il se cache derrière des vitres teintées. En France, aujourd’hui, comme aux états-Unis et dans un grand nombre de pays, le Président de la République prononce ses allocutions debout derrière un pupitre de plexiglas. J’y vois une inversion des positions respectives traditionnelles des gouvernants et des gouvernés qui remonte à la Réforme protestante. Au XVIe siècle, les célébrants du culte protestant se tiennent debout devant des fidèles assis, contrairement aux usages respectés dans les églises catholiques ou orientales où l’évêque est assis, « installé » dans sa cathèdre face à une assemblée de fidèles debout. Cette attitude est aussi un retour au modèle observé par la démocratie athénienne : l’orateur se tient debout dans l’enceinte de la boulè, face aux pères conscrits, risquant à tout moment d’être interrompu, s’il n’est pas assez éloquent. S’il veut tenir et achever son intervention, il doit pouvoir capter l’attention, au risque d’apparaître démagogue. Même dans certaines monarchies actuelles, le siège d’autorité est frappé d’interdit. Ainsi, en leur qualité de monarques constitutionnels, les souverains espagnols renoncent à s’asseoir sur leur trône pendant les cérémonies officielles. Autre élément d’explication que je voulais signaler : l’influence du mouvement des Lumières. Sous l’effet des nouvelles idées, il semble que les souverains du siècle de Louis XV aient eu quelques doutes sur l’origine de leur mission. Autant ils se faisaient peindre assis en majesté jusqu’à la fin du XVIIe siècle, autant on les voit représentés le plus souvent en position debout, au cours du siècle suivant, dans une posture martiale et dominatrice qui relègue le trône royal au second plan, comme un élément encombrant et superflu. Cet aspect est extrêmement visible dans les portraits en pied de Louis XV et de Louis XVI, et de bien d’autres monarques de cette époque.
Jacques Charles-Gaffiot, commissaire de l'exposition "Trônes en majesté"
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