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Yves Brochard - Claude Darras

"Un coup du chacal"

Galerie 9 rue des Bouchers, Lille

Expositon du 4 mars au 16 avril 2011




Le coup du chacal, aussi appelé coup de Cancellara, désigne en cyclisme une tactique particulière : le coureur, pédalant au coeur du peloton pendant une bonne partie de la course, se détache sur les derniers kilomètres pour devancer tout le monde. Sans duperie et sans arrière-pensée, le coureur profite de l’avancée du groupe, tout en travaillant pour sa propre gloire.

En 1985, Yves Brochard et Claude Darras, assistés du fondeur Bruno Maillard, ont réalisé une sculpture dans le cadre du 1% d’un collège de Villeneuve d’Ascq. Le titre, Head Spin, désigne la figure de hip hop effectuée par le danseur. Longtemps, la pièce est restée anonyme, la plaque ayant disparu ou n’ayant jamais été posée. Récemment, la mairie de Villeneuve d’Ascq a décidé de poser des plaques pour identifier toutes les oeuvres qui se trouvent sur son territoire. Avec l’accord des artistes, elle a sous-titré Head Spin le Smurfeur, du nom francisé du danseur de hip-hop, sous lequel les habitants du quartier la connaissaient. C’est ainsi qu’Yves Brochard et Claude Darras sont sortis du peloton.

« Partis du virage du Nouveau Monde, les coureurs chevauchaient à tour de rôle entre deux falaises de verdure, relevées comme le ciment des vélodromes, pour aboutir au virage du paradis, autant dire dans l’autre monde, où ils sombraient dans une agonie provisoire, illuminée par une auréole en forme de chronomètre. » 9 juillet 1956 Antoine Blondin, Tours de France, Chroniques de L’Équipe, 1954-1982.

Après vingt ans d’absence de l’actualité, Brochard et Darras sortent de leur réserve et montrent qu’ils en ont gardé sous la pédale. Ils sont toujours habités par des images qui appartiennent au sport, et à quelque chose de plus grand, de l’ordre de l’histoire, de la mythologie, de la lutte des classes. Des images qui, par leur force et leur puissance dramatique, sont devenues des classiques. Fausto Coppi passant son bidon à Gino Bartali au passage d’un col pendant le tour de France de 1956. Eddy Merckxs, le Cannibale, frappé au ventre par un supporter de Thévenet dans l’ascension du Puy de Dôme en 1975.

« Dans la rivalité de Bartali et de Coppi, peut-être, Pindare ne verrait que le symbole des luttes, des souffrances, des sacrifices, des espoirs que nos générations offrent à la liberté, à la paix, au bonheur des hommes et des nations. » Curzio Malaparte, Les deux visages de l’Italie, Coppi et Bartali, Bernard Pascuito, 2007.

Brochard et Darras, c’est aussi une posture. Retenir le beau geste plutôt que la vilaine rumeur. Avoir le goût du sport plutôt que celui du scandale. Ignorer les suspicions de mécanique ajoutée, pour admirer le style du Chacal Cancellara. Garder en mémoire un temps où les exploits du cyclisme étaient encore assez humains pour que l’on puisse dignement les qualifier de surhumains. Trouver enfin à ces alliances – Eddy Merckxs et Roger Swerts au Tour de France, Laurent Fignon et Thierry Marie au Trophée Baracchi – une dimension politique, et la souligner, en trichromie quasi soviétique, avec les sérigraphies réalisées par Alain Buyse : Brochard et Darras / Unis contre le capital, puis Brochard et Darras / Toujours unis contre le capital. La première sera rééditée en facsimilé à l’occasion de l’exposition.

Hormis cette sérigraphie, clin d’oeil aux victoires passées, les travaux présentés lors de cette exposition sont inédits. Pour la première fois depuis le début de leur association, Brochard et Darras se sont réparti la tâche. Brochard peintre, Darras sculpteur, pour des images décidées et choisies communément. Ce sont quelques unes des grandes images du cyclisme évoquées plus haut, mais aussi des images issues de courses cyclistes sur piste ou de la Course de la Paix (équivalente au Tour de France dans l’ex-bloc soviétique). Les toiles sont peintes à l’huile, les sculptures sont modelées à l’aide de Plastiroc, qui prend des aspects de porcelaine au séchage. Les oeuvres tendent à rappeler tout ce que le cyclisme représente pour les deux artistes. Une métaphore de la solitude, de l’endurance, de la souffrance. De longues heures à attendre au bord de la route, sous un soleil écrasant, pour voir passer à toute vitesse une poignée de héros sur leurs montures. Quelques minutes et puis plus rien. La poussière vole, le bitume fume. C’était peut-être un mirage. Une illusion.

Dans leur incroyable audace, avec décontraction et légèreté, avec un grand mouvement du bras et un éclat de rire, Brochard et Darras nous en offrent une rémanence.

L’exposition "Un Coup de Chacal" aura lieu au 9 rue des Bouchers à Lille, du 5 mars au 16 avril 2011.

Céline Luchet, 2011





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