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Sarkis

"Passages"

Centre Pompidou, Paris

Exposition du 10 février au 21 juin 2010




Le Centre Pompidou donne carte blanche à Sarkis pour investir ses espaces dans le cadre d’une exposition/ intervention inédite et exceptionnelle.

Des salles du Musée au Forum, de la Bibliothèque publique d’information à l’Atelier des enfants, de la Bibliothèque Kandinsky à l’Atelier Brancusi, le Centre Pompidou accueille cet artiste "nomade" et ses dispositifs qui infiltrent les espaces muséographiques, prolifèrent au coeur de l’institution et surprennent le visiteur dans sa déambulation.

L’exposition présente une série d’oeuvres récentes ou créées pour l’occasion. Les installations qui la composent sont mises en place progressivement, à partir du 10 février prochain.

Depuis plus de 35 ans, Sarkis imagine des mises en scène construites à partir d’histoires empruntées autant à la mémoire des lieux qu’à la sienne, puisant dans son "trésor de guerre" (collecte d’objets quotidiens, d’objets d’art et ethnographiques, d’images...), un leitmotiv qui traverse son oeuvre depuis 1976. Alliant notamment le néon, la vidéo, la photographie, l’aquarelle, et divers matériaux (Plastiline, verre, eau...) Sarkis "dissémine" ses installations, selon une stratégie d’infiltration dans une volonté d’atemporalité et d’éclatement de l’espace qui lui est propre.

"In-situables", ces oeuvres entrent en résonance avec les différents espaces où elles s’invitent. Sarkis s’approprie ainsi le territoire du Centre Pompidou et dialogue avec les oeuvres et les salles du Musée. Ainsi les objets de "La vitrine des innocents" (2005-2007), entretiennent un rapport étroit avec ceux du "Mur de l’atelier" (1922 à 1966). Les croix lumineuses de la maquette de l’atelier de Sarkis,"Conversations entre Joraï et mon Atelier" (2001-2002) côtoient judicieusement les oeuvres de Kasimir Malevitch. Le feutre des grands vêtements de Sarkis tels que "Le printemps et la nuit" (2000-2002) et celui du "Sommeil abandonné" (2002) entrent en résonance avec "Plight" (1985), la célèbre installation de Joseph Beuys, l’une des trois figures tutélaires de l’artiste, avec l’historien de l’art Aby Warburg et le cinéaste russe Andreï Tarkovski. Dans le forum, Sarkis entre en "conversation»" avec ce dernier à travers la série d’aquarelles "D’après Stalker" (1989) présentée dans "La Chambre", une installation conçue pour l’exposition.



De l’origine et de l’art intégral : les "Ikones" de Sarkis
de Jean-Claude Marcadé

Dans l’histoire de l’art du XXe siècle, on se souvient d’un de ses moments les plus cruciaux et féconds – l’apparition, à la toute fin de 1915, du Quadrangle de Malévitch, appelé communément Carré noir sur fond blanc. Le fondateur du «suprématisme de la peinture» a désigné ce tableau mythique comme l’icône de son temps», comme «le visage de l’art nouveau», un «enfant royal plein de vie». L’icône malévitchienne n’est pas, de toute évidence, une icône ecclésiale orthodoxe, telle qu’elle fut définie, contre les iconoclastes, lors du 7e Concile oecuménique de Nicée en 787. Malévitch n’est pas un iconographe, il est un peintre qui, en intitulant ainsi ce tableau, a rendu l’art pictural à son essence de manifestation, par le mouvement de la couleur, des rythmes du monde, dans leur oscillation entre apparent et inapparent. Emmanuel Martineau a souligné l’enjeu de la référence à l’icône: «Malévitch […] invoque […] l’exemple de l’icône […] à titre d’antithèse purement dialectique. Il ne prétend nulle part que le rapport icône-réalité spirituelle lui paraisse normatif en tant que l’icône est une ressemblance, et la ressemblance d’un certain “objet” privilégié. Ce n’est pas en tant qu’image de quelque chose que l’icône l’intéresse, tout de même qu’il n’oppose point la dignité du prototype religieux à la bassesse d’autres prototypes.»

Ce préambule situe la magnifique série d’oeuvres que Sarkis a baptisée Ikones dans la lignée de l’appropriation par des artistes qui ne sont pas des iconographes de l’héritage, au cours des siècles, de la philosophie et de l’art de l’icône liturgique pour s’en servir comme révélation de «la dignité de l’iconique, du Bild véritable», au-delà ou en deçà du culte officiel. S’il est clair que les Ikones sarkissiennes sont avant tout des oeuvres d’art en soi, elles ne s’en inscrivent pas moins, grâce à leur dénomination même, dans une volonté de sacralité. Dans ce sens, la création de Sarkis participe à ce phénomène, qui s’est accentué après la Seconde Guerre mondiale, d’un art qui prend en compte l’épuisement des contenus et des formes dont les religions révélées et leur sublime puissance mythique ont nourri pendant des siècles l’imaginaire créateur des peintres, des sculpteurs et des architectes. Cependant, s’il y a renoncement à l’arsenal des iconographies établies, «officielles», une grande partie des artistes de la seconde moitié du XXe siècle et de ce début du XXIe ont fait apparaître une nouvelle sacralité, qui n’est plus de l’ordre du religieux, mais arrache à ces derniers les oripeaux traditionnels, pour inventer un nouveau mode d’expression.

C’est ainsi, me semble-t-il, qu’il convient de considérer et de contempler les Ikones de Sarkis qui sont le fruit de rituels et d’opérations cérémonielles. L’artiste arménien s’est approprié l’immense matériel de formes que le christianisme a produites ; les nombreuses incursions dans le monde sacré de l’Asie ou de l’Afrique ne sont pas majoritairement le fait des Ikones. La Sculpture d’église avec ses vestes de chasseurs chamans africains (1993) fait s’unir dans une même image une statue de saint catholique, les incrustations dont sont revêtus souvent, dans l’art d’avant la Renaissance, les reliquaires ou les sculptures en bois, et les amulettes du chamanisme. De même l’Ikone 164, 26 janvier 2004 utilise la reproduction d’une tête-masque de la Sierra Leone. Certaines Ikones traitent de sujets apparemment profanes, mais, encadrées, elles participent au rituel sacral voulu par l’artiste.

Cependant, les Ikones sont généralement orientées vers le monde chrétien oriental, la Grèce, et surtout la Russie où Sarkis a séjourné. L’artiste a été marqué non seulement par la peinture d’icônes, par Malévitch (le suprématisme est «ré-iconisé» dans Ikone 34, 17 avril 1996, Ikone 47, 27 décembre 1996 et Ikone 79, 5 octobre 1998), mais également par des créateurs, ses contemporains, qui ont tissé dans leur oeuvre des trames chrétiennes orthodoxes, comme le poète et romancier Boris Pasternak (Ikone 180, 21 janvier 2005) ou le cinéaste Andreï Tarkovski. (Ikone 1 à Andreï Tarkovski, 31 décembre 1986, dont l’espace est occupé par une coupure du journal Le Monde annonçant le décès du cinéaste). Ikone 36 d’après Le Sacrifice de Tarkovski, mai 1996 a la forme d’une icône biographique avec les compartiments entourant le centre d’où est absent tout personnage, pour ne laisser apparaître qu’un espace blanc, très suprématiste, dans une présence de l’absence propre à l’image sacrée et au suprématisme.

Sarkis, dans sa visée d’un art total, a puisé dans le cinéma pour révéler le processus de l’apparition de l’image (de l’icône !). On n’est donc pas étonné de voir l’Ikone 141, 4 mars 2003 dédiée à son compatriote (au-delà des aléas des lieux de naissance) Sarkis souligne que chez Paradjanov «le corps parle», le corps de Paradjanov «relie, rassemble, il est collage même». Et de se dire «plus proche de cette idée de collage que de celle du collage fixe immobile». Il existe en effet des similitudes entre les collages de Paradjanov et les Ikones sarkissiennes : utilisation de fragments mémoriaux hétéroclites, cadrages, transformations des images, chamarrures, etc. Cependant, Paradjanov est un baroque qui, par peur du vide, s’empresse de sursaturer l’espace; de plus, il «carnavalise» le monde et les êtres. On assiste chez Sarkis, au-delà de la mise en forme rituelle, à une ascèse, une sobriété de l’apparence qui nous dit l’inapparent. D’autre part, Paradjanov est un amateur génial en tant que fabricateur d’objets, il y a presque quelque chose de l’art brut chez lui en ce domaine. Sarkis est totalement, corps-esprit-âme-être, nourri de pictural, lequel se traduit sous de multiples formes, surtout dans des actions totalisantes. Enfin, le cinéaste prend des oeuvres existantes, souvent des chefs-d’oeuvre de l’art sacré orthodoxe, comme la célèbre Notre-Dame de Vladimir (XIIe siècle), dont il recouvre une reproduction d’une marqueterie d’objets récupérés : c’est «une variation autour d’une image chrétienne, dont l’artiste respecte, voire magnifie la dimension sacrée». Chez Sarkis, rien de tel : même si quelques Ikones, comme Ikone 26, 1er septembre 1994 ou Ikone 116, 24 août 1992, réutilisent des icônes traditionnelles, la majorité est une invention d’un nouvel espace iconique qui est, certes, en relation avec la question de l’image dans la tradition philosophique, théologique et picturale de l’Orthodoxie, mais qui s’y appuie pour créer une iconographie nouvelle. ..../...



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