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China Gold

Musée Maillol, Paris

Exposition du 18 juin - 13 octobre 2008




"China Gold", le titre de cette exposition, tisse l’histoire d’un voyage dans la Chine actuelle à travers son art. Comme tous les voyages, celui-ci est le fruit d’une expérience personnelle. Ma fascination pour la Chine a commencé lors d’un premier séjour à Shanghai et Beijing en septembre 2007. J’ai été frappée par une impression d’immensité démesurée, jamais ressentie auparavant. J’ai pourtant grandi aux États- Unis et longtemps vécu à New York. La mégapole tentaculaire, en perpétuel devenir, bourdonnante de chantiers de construction, de circulation et de foules innombrables, exacerbait mes sens. Tout le monde paraissait affairé dans ce pays d’un milliard et demi d’habitants dont la classe moyenne est (officiellement) estimée à 200 millions de personnes, et tous semblaient à la poursuite de l’or. Depuis l’assouplissement de la politique de contrôle centralisé en 1978, l’entreprise privée a fait son apparition dans tous les domaines, à commencer par les vendeurs d’objets recyclés et de gadgets bas de gamme, qui installent leur petit commerce sous les arcades de ponts.

À l’autre extrémité du spectre économique, les tours d’architecture contemporaine abritent les établissements, restaurants, boutiques et sociétés de services les plus somptueux que j’aie jamais vus, même dans les capitales mondiales les plus prospères. La Chine vise la médaille d’or, non seulement pour rattraper mais pour dépasser le reste du monde - du moins en termes purement matériels. L’emploi de l’or est une tradition dans l’art et l’artisanat chinois. La décoration à la feuille d’or est le signe d’une qualité supérieure. Le jaune est la couleur impériale. C’est peut-être pour cette raison que l’or est toujours plus largement utilisé par les artistes chinois contemporains que par ceux d’autres cultures : référence au passé mais aussi affranchissement des traditions. Est-il meilleure façon de traduire le changement que d’utiliser les signes traditionnels dans un langage novateur ? La puissance de «l’or» dans la transformation spectaculaire de la société chinoise a des motivations économiques et en affecte tous les aspects.

L’art contemporain chinois, tel que nous l’identifions quelque trente ans après ses premières manifestations publiques, est à la pointe de cette mutation. Son succès commercial, largement relayé par la presse, illustre la croissance économique individuelle, poussée à son paroxysme. La plupart des artistes chinois contemporains établis, exposés ici, sont passés en quelques années d’une extrême pauvreté - certains ne pouvaient même pas se procurer les matériaux nécessaires à leur art - à une richesse colossale. Quand je visitais leurs immenses ateliers au design moderne et recherché, véritables usines d’art encerclées par leurs murs de béton, j’avais souvent l’impression d’arriver un peu trop tôt à la fête. Tout semblait encore inachevé, ou juste « emménagé». Un peintre s’excusa de l’austère dépouillement de son atelier. Il m‘expliqua qu’au départ ce devait être sa résidence, mais réalisant que ce serait trop vaste comme lieu de vie, il transforma l’endroit en espace de travail. Il se construit à présent une maison plus «modeste», à proximité. Pour rejoindre les studios et autres ateliers, il nous fallait souvent faire des détours en fonction de l’apparition ou de la disparition des rues : les quartiers sont en mutation perpétuelle et les voies qui y mènent, également. À l’instar de la société chinoise, la topographie est en effervescence. Et comme dans tout système en évolution, les routes de l’or se réadaptent constamment à la situation.

Toutefois, la contribution de l’art et des artistes chinois aux bouleversements sociaux du pays dépasse la simple richesse financière. Les artistes ont été les premiers individus de la société chinoise à remettre en cause le dogmatisme du Parti après la mort de Mao et la fin de la Révolution Culturelle. Les premiers gestes de dissidence furent modestes mais déterminants. En 1978, l’oeuvre de Wang Keping : « Idol », représentant Mao en Bouddha, défiait par cette vision iconoclaste l’adoration des masses pour leur chef. D’un point de vue occidental, ces gestes artistiques semblent banals, mais ils se révèlent extraordinaires dans le contexte d’un pays où toute expression artistique personnelle et toute consommation culturelle ont été réprimées, qualifiées de bourgeoises et sévèrement punies, parfois même de la peine capitale. De la part d’un artiste, né dans une famille d’artistes déchirée sous Mao, bannie de Shanghai et exilée dans le Nord pour y travailler dans les conditions les plus dures, un tel geste est un acte héroïque.

Wang Keping, qui a finalement quitté son pays pour s’installer à Paris, est le seul artiste de l’exposition qui ne réside pas en Chine. Mais j’ai décidé de l’y inclure en raison de son influence majeure sur les débuts du mouvement d’art contemporain en Chine. Keping fut un acteur essentiel des Stars, groupe d’artistes non officiels qui, en 1979, installèrent leurs oeuvres devant le Musée national des beaux-arts. L’intérêt suscité par cette "exposition" auprès du public convainquit le musée d’inviter ces artistes dans ses murs l’année suivante.

L’exposition des Stars ne dura que quelques jours, car la police ne tarda pas à la fermer. Nombre d’artistes se dispersèrent. Certains quittèrent la Chine, suite aux persécutions dans la foulée des événements de la Place Tienanmen. Mais la dissidence resurgit quelques années plus tard. Une nouvelle forme d’expression bouillonnait, inspirée en partie par des artistes chinois comme Ai Weiwei, de retour en Chine après un séjour à l’étranger. Des happenings artistiques proliférèrent au niveau local puis s’unirent et formèrent un mouvement impossible à contenir. Ces activités étaient parfois suspendues à cause des arrestations. Ma Liuming, qui exposait son magnifique corps androgyne lors de ces performances, fut arrêté plusieurs fois, mais continua à se montrer dans un geste de défi aux autorités. S’il ne fait plus ce type de manifestations aujourd’hui, c’est qu’il pense que son corps n’est plus l’outil expressif qu’il était dans le passé. À la place, ses tableaux montrent son enfant souriant, le nouveau visage immaculé de la Chine. Il y a une combativité au coeur de l’art contemporain chinois, surtout chez les artistes de l’ancienne génération. Cette expression de la douleur est absente du travail des artistes émergents, plus jeunes, également représentés dans cette exposition.

Je suis ravie que nombre d’artistes, aux deux extrémités du spectre générationnel, aient proposé de créer des oeuvres spécialement pour l’exposition, donnant ainsi une perspective nouvelle sur la production artistique de la Chine actuelle. Mes rencontres avec les artistes en Chine ont été chaleureuses. Tous sans exception m’ont reçu avec une grande générosité. Nos échanges semblaient exempts des rapports d’ego auxquels je m’attends en général de la part d’artistes occidentaux reconnus. Les barrières du langage importaient peu - ils étaient enthousiastes à me montrer leurs ateliers, leurs oeuvres récentes, leurs nouvelles voiture et maison luxueuses, ou simplement "se connecter". Ceux que j’ai revus ultérieurement m’accueillaient avec de grands sourires et parfois une chaleureuse accolade. Les difficultés de réalisation de cette exposition provenaient plutôt des conditions précaires du marché de ces artistes, car si leur art suscite beaucoup d’intérêt, il n’a peut-être pas l’attention qu’il mérite. J’espère que cette exposition approfondira notre perception de l’étendue de leurs efforts, de l’honnêteté de leur démarche créatrice et stimulante à ce moment précis, extraordinaire, de leur histoire. En fin de compte, leur art transcende leur culture, tout comme l’or au coeur de la véritable création artistique exprime la quintessence de l’humanité.

Je tiens tout spécialement à remercier Olivier et Bertrand Lorquin, directeurs du Musée Maillol, qui m’ont accordé leur confiance et ont participé à cette aventure à mes cotés ; Henry Périer, commissaire de l’exposition "Chine : Le corps partout ?", présentée en 2004 à Marseille : sa connaissance des artistes, source de discussions enrichissantes, a inspiré notre responsabilité commune à leur égard ; mes amis Lucy Lu et Fabien Fryns, en Chine, dont les liens avec nombre d’artistes m’ont ouvert ce monde nouveau ; et surtout les artistes chinois dont le travail, parfois énigmatique pour notre sensibilité occidentale, parfois controversé, ne peut cependant nous laisser indifférents à son humanité. Merci pour votre participation, votre générosité, et votre confiance qui m’ont permis de montrer votre art sous un jour sensible et délicat.

Alona Kagan, Commissaire de l’exposition



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