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Tous cannibales |
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La Maison Rouge, ParisExposition du 12 février au 15 mai 2011La maison rouge organise une exposition consacrée à la question de l’anthropophagie et à ses représentations dans les arts plastiques aujourd’hui. Pour cette manifestation la commissaire Jeanette Zwingenberger a choisi de présenter un corpus d’œuvres réalisées majoritairement par une jeune génération d’artistes travaillant indépendamment les uns des autres sur le concept de l’incorporation. La partie contemporaine de cette exposition (photographie, vidéo, installation, sculpture, dessin et peinture) est en dialogue avec une partie historique (ouvrages illustrés, textes enluminés, gravures et objets d’arts premiers) témoignant des évolutions et des persistances du thème de l’anthropophagie à travers les âges et les latitudes. Notion encore peu considérée par les critiques et théoriciens de l’art, elle apparaît pourtant en arrière-plan des recherches de la création actuelle, comme le confirme la présence de certains artistes incontournables de la scène contemporaine dans l’exposition. Ecartant les représentants d’une scène que l’on pourrait qualifier de « gore », Jeanette Zwingenberger a préféré des artistes – dont près de la moitié sont des femmes – qui abordent la cruauté du sujet de l’anthropophagie avec un regard critique, une certaine délicatesse, un imaginaire onirique articulant et développant les problématiques qui traversent cette notion. A l’ère du clonage, des transplantations et des mondes virtuels, et d’une intégrité du corps remise en question, les artistes de l’exposition témoignent d’un nouveau regard porté sur le corps. Leur travail procède à son éclatement et à son morcellement, le métamorphosant et le recomposant en un corps hybride, tout à la fois comestible et anthropophage. N’y aurait-il pas absorption, voire dévoration, dans la relation à autrui, ce semblable avec qui je partage et construis mon moi ? Comme le souligne Claude Lévi-Strauss, dans une citation mise en exergue par la commissaire de l’exposition : « Nous sommes tous des cannibales. Après tout, le moyen le plus simple d'identifier autrui à soi-même, c'est encore de le manger » (La Repubblica, 1993). L’exposition invite ses visiteurs à lever le voile sur un sujet troublant, refoulé voire tabou, aux confins de l’ethnologie, de l’histoire, de la psychanalyse, de la médecine et de la religion.
Le parcours de l'exposition se déploie en une série de chapitres traitant de la figure de l’étranger et du non-humain
mangeur d’homme, de la relation à l’autre et de la construction d’une identité personnelle et collective
s’établissant dans un double mouvement d’incorporation et de rejet, du corps pensé comme un organisme
qui se métamorphose, se nourrissant de l’autre et se donnant à l’autre, de l’érotisme et de l’amour
dévorant, de la violence et de l’horreur, du rite et du sacrifice, et de l’imaginaire issu de l’enfance développé
dans les contes et légendes.
[…] Aucun ethnologue sérieux ne conteste la réalité du cannibalisme, mais tous savent aussi qu'on ne peut le réduire à sa forme la plus brutale consistant à tuer des ennemis pour les manger. Cette coutume a certes existé, ainsi au Brésil où – pour m'en tenir à ce seul exemple – quelques voyageurs anciens, et les Jésuites portugais qui, au XVIe siècle, vécurent pendant des années parmi les Indiens et parlaient leur langue, furent les très éloquents témoins. A côté de cet exo-cannibalisme, il faut faire sa place à un endo-cannibalisme qui consiste à consommer en grande ou très petite quantité, à l’état frais, putréfié ou momifié la chair soit crue, soit cuite ou carbonisée de parents défunts. Aux confins du Brésil et du Venezuela, les indiens Yanomami, malheureuses victimes, on le sait, des exactions des chercheurs d'or qui ont envahi leur territoire, consomment encore aujourd'hui les os préalablement pilés de leurs morts. Le cannibalisme peut être alimentaire (en période de pénurie ou par goût pour la chair humaine) ; politique (en châtiment des criminels ou par vengeance contre les ennemis), magiques (pour assimiler les vertus des défunts ou au contraire, pour éloigner leur âme) ; rituel (s‘il relève d’un culte religieux, d’une fête des morts ou de maturité, ou pour assurer la prospérité agricole). Il peut enfin être thérapeutique comme l'attestent de nombreuses prescriptions de la médecine antique dans un passé qui n'est pas si lointain. Les injections d'hypophyse et les greffes de matières cérébrales, dont j’ai parlé, les transplantations d'organes devenues pratique courant aujourd’hui, relèvent indiscutablement de cette dernière catégorie. Si variées sont donc les modalités du cannibalisme, si diverses ses fonctions réelles ou supposées, qu’on en vient à douter que la notion de cannibalisme, telle qu’on l’emploie couramment, puisse être définie de façon quelque peu précise. Elle se dissout ou s'éparpille dès qu’on tente de la saisir. Le cannibalisme en soi n'a pas une réalité objective. C'est une catégorie ethnocentrique: il n'existe qu'aux yeux des sociétés qui le proscrivent. Toute chair, quelle qu'en soit la provenance, est une nourriture cannibale pour le bouddhisme qui croit en l'unité de la vie. À l’inverse, en Afrique, en Mélanésie, des peuples faisaient de la chair humaine une nourriture comme une autre, sinon parfois la meilleure, la plus respectable, qui seule, disaient-ils, « a un nom ». Les auteurs qui nient l'existence présente et passée du cannibalisme prétendent que sa notion fut inventée pour creuser encore davantage le fossé entre les sauvages et les civilisés. Nous attribuerions faussement aux premiers des coutumes et des croyances révoltantes afin de nous donner bonne conscience et de nous confirmer dans la croyance en notre supériorité. Inversons cette tendance et cherchons à percevoir dans toute leur extension les faits de cannibalisme. Sous des modalités et à des fins extraordinairement diverses selon les temps et les lieux, il s’agit toujours d'introduire volontairement, dans le corps d'êtres humains, des parties ou des substances provenant du corps d'autres humains. Ainsi exorcisée, la notion de cannibalisme apparaîtra désormais assez banale. Jean-Jacques Rousseau voyait l'origine de la vie sociale dans le sentiment qui nous pousse à nous identifier à autrui. Après tout, le moyen le plus simple d’identifier autrui à soi-même, c’est encore de le manger. En dernière analyse, si les voyageurs dans des terres lointaines se sont facilement inclinés, et non sans complaisance, devant l'évidence du cannibalisme, c’est que sous cette forme généralisée qui permet seule d'embrasser la totalité du phénomène, le concept du cannibalisme et ses applications directes ou indirectes, sont le fait de toutes les sociétés. Comme le montre le parallèle que j’ai tracé entre les coutumes mélanésiennes et nos propres usages, on peut aller jusqu'à dire qu’il existe aussi parmi nous.
Publication originale : « Siamo tutti cannibali », La Repubblica, 10 octobre 1993.
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