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Bernard Joubert |
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Le titre donné à la 1ère exposition personnelle de Bernard Joubert qu’organise la Galerie Alain Margaron parle de lui-même : «Peintures de peintures».
Dans la continuité des peintres dits «classiques» et s’inscrivant dans la grande histoire de la peinture, Bernard Joubert nous propose, à travers une trentaine d’oeuvres (huile sur toile), toutes réalisées depuis 1993, de revisiter les chefs d’œuvre du patrimoine pictural.
Les procédures qui règlent son œuvre ne relèvent pas d’un travail à l’aveugle mais, au contraire, font pleinement appel au regard, à l’invention du regard du peintre (comme d’ailleurs au regard du spectateur, sans cesse également mis à l’épreuve). Elles se succèdent ainsi : découpage du support (toile ou papier) en plusieurs fragments rectangulaires, et définition de l’espace pictural par la peinture d’une grille constituée de diagonales –première forme «ouverte» du chiasme qui va structurer toute l’œuvre ; dans cette grille s’inscrit, dès les années 90, une figure centrale –notons que la prédilection de Bernard Joubert va aux formes et thèmes de l’ouverture (origine du monde/ naissance, etc..) et à leurs corollaires (vide/crâne, plein/visage etc.). Puis, déplacement et superposition de ces rectangles, à l’horizontale ou à la verticale : il en résulte une folle diffraction, sur les bords, des formes et des couleurs, une division en éclats de l’unité figurale. Le travail de peinture est dès lors sollicité par les traces libérées : d’un bord à l’autre des différents rectangles, de nouvelles touches colorées vont se mêler, poursuivre, commenter les touches anciennes, jusqu’à ce qu’une nouvelle image virtuelle se forme, en écho à la première. Jusqu’à ce que, pour Joubert, «la peinture fasse figure», image à nouveau unifiée, c'est-à-dire tableau.
Couper, déplacer, peindre, redéplacer, repeindre, coller enfin... : le processus peut se complexifier et se poursuivre en multiples variations. Et de fait Joubert travaille par séries, modulant à plaisir les formes écartelées par le schème diagonal structural et qui, parfois creusées par un vide central, croissent en tous sens. Le système formel qu’il met en place est ainsi extensif, se génère lui-même, appelant des surfaces de plus en plus grandes, de plus en plus denses ou évidées. Quant aux touches des couleurs incandescentes qui souvent sont les siennes - l’ocre-rouge, le jaune, le bleu, le noir, couleurs de flamme instable -, elles échappent, dansantes, souples, à la grille constructive qui les a commandées : les figures de ses tableaux sont des figures de torsion ou de fuite rapides, amorcent une chute ou une ascension, ou restent en suspens précaire dans l’espace.
Le résultat est extrêmement paradoxal : là où on attendrait une raideur et une stabilité produites par la structure géométrique initiale toujours visible (la trame diagonale des tracés, la grille orthogonale des fragments rectangulaires collés), on perçoit une surface picturale infiniment souple, mobile, innervée d’un lacis éclaté de touches qui la contractent ou la dilatent. Apparemment prisonnière de son cadre, la figure se fait, se défait, se refait en propositions kaléidoscopiques aux équilibres instables, entrainée par le mouvement libre, vibrionnaire, de ses particules. Et, plutôt que par la rigueur abstraite de la méthode que s’impose Joubert (s’il se méfie de toute théorie, il utilise son dispositif technique comme une «morale»), on est saisi par l’extrême plasticité tactile de sa peinture, par sa nervosité, son énergie ; également par sa chair, sa sensualité, et son allégresse.
Ce qui est en jeu dans l’œuvre de Bernard Joubert est ainsi non seulement l’activation débridée de la surface peinte - les codes régulateurs libèrent la forme plus qu’ils ne la retiennent-, mais encore son ouverture : par ses bords latéraux, limites toujours franchies par la peinture ; par ses vides centraux centrifuges - plénitude matricielle des blancs, béance creuse des noirs ; par la liberté effrénée accordée à la couleur qui bien souvent enlève, soulève toute l’image. Son épaisseur aussi, ou plutôt son volume spatio-temporel : les résidus d’images dispersés sur la toile, les motifs colorés resurgissant d’un fragment d’espace à un autre se font encore résonnances temporelles, puisque Joubert peint volontiers depuis quinze ans à partir de tableaux anciens, qui apportent d’autres temporalités : il reprend ainsi l’Origine du Monde de Courbet, la Raie de Chardin, une Nature morte au crâne ou une Montagne Sainte Victoire de Cézanne, les fresques romanes de Tavant, l’Amandier en fleurs de Bonnard, les Autoportraits de Cézanne, de Van Gogh, de Matisse, etc. Processus de mémoire, son travail devient commentaire, méditation, expression de la force de sa sensation, de son émotion de regardeur. Et la grande leçon du dernier Cézanne y parait toujours présente : «les sensations colorantes qui donnent la lumière sont chez moi cause d’abstractions qui ne me permettent pas de couvrir ma toile ni de poursuivre la délimitation des objets quand les points de contacts sont ténus, délicats. D’où il ressort que mon image ou tableau est incomplète» (lettre à Emile Bernard, 1906).
Intensités hétérogènes, condensations, béances, éclats multiples, bribes de figures à la limite de la visibilité : la peinture de Joubert est tout autant d’apparition que de disparition, et, semble t-il, de poursuite d’un réel impossible à cerner. D’où cette impression que les figures en suspens dans ses toiles, que les corps évidés ou torsadés aux invisibles visages sont des gloires ou des vanités. On pourrait presque penser que le face à face avec le réel est, pour Joubert, aveuglant, ne conduisant en effet qu’à ces bribes de chair de peinture, à ces éclats saccadées et virevoltants. Ambiguïté, encore, de cette belle oeuvre, dans laquelle mélancolie et exultation se répondent.
On peut être saisi aussi par la grande musicalité de cette peinture. Les notes colorées, tonales, s’égrainent, se répondent d’échos en échos, disparaissent pour réapparaitre, vibrent en accords. Les fragments saccadés, Les longs débords, les touches clairement articulées et résonnantes – leurs variations, leurs reprises- paraissent obéir aux lois modulaires d’une fugue (certaines séries des années 80-90 se nommaient Simultanés, Mesures, Suites, Variétés, Strette...). Ce qui s’offre à voir pourrait être entendu en partitions, en suites mélodiques. Et, telle l’oreille qui ne peut garder l’intégralité de la musique et reste toujours dans l‘attente des accords futurs, le regard posé sur ces toiles hésite entre dissolution et construction, pour rebondir aussitôt, porté à l’avant par les traces libérées, qui sont les mémoires fuyantes d’une unité à recréer toujours."
Le texte «Notes de peinture» a été écrit par Agnès de la Beaumelle pour l’exposition.