Contact
Email
Partenariat
Annuaire gratuit Référencement
Vente en ligne
Achat tableaux peintures
Découverte
Expositions Médias Bio
Voyager
Série Afrique
Série Paysage
Frémir
Jack the Ripper
Roswell
Rire
Ali Baba
Vache folle
Techniques
Aquarelles
Encres
Mythes
Vénus
Saint georges
Séries
Restaurants
Rats
peinture

Le monde de Bernar Venet

Les Abattoirs, Toulouse

Exposition du 17 novembre 2010 – 13 mars 2011




Cet automne, le musée des Abattoirs, propose au visiteur une incursion inédite dans le monde de Bernar Venet : tant dans celui de l'artiste que dans celui du collectionneur. Pour la première fois à cette echelle, sous l'impulsion d'Alain Mousseigne, une institution française met en regard l'immense collection d'art du XXe siècle de l'artiste avec ses propres créations.

"Un artiste, ses oeuvres et sa collection pour une seule exposition... Découvrir la collection personnelle de Bernar Venet ouvre un monde où s'articulent les données fondamentales de ses propres créations : la transcription du concept et de l'idée dans la matérialité de l'oeuvre. Ainsi, Goudrons, Cartons et équations mathématiques peints à l'excès, tout comme la franche matérialité des combinaisons aléatoires des grandes sculptures d'acier, configurent investigations conceptuelles et sens des matériaux. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait été touché très tôt – à partir de 1966-67 à New York - par les propositions des artistes minimalistes et conceptuels américains, tout en rappelant que la radicalité et l'anti-conformisme des oeuvres de ses amis les Nouveaux Réalistes (rencontrés à Nice dès 1963) ont stimulé son sens du risque.

Dès lors, il n'y a rien d'innocent à ce que Bernar Venet acquière très tôt, sous forme d'échanges ou d'achats, des pièces aujourd'hui historiques d'Arman et de Tinguely…, de Kosuth, d'On Kawara, d'Art & Language, de Dan Graham… de Kounelis ou de Richard Serra… de Kelly, Tony Smith, Carl André, Judd, Flavin, Stella et Sol LeWitt… ou encore, des toiles aussi raffinées en leur déconstruction que celles de Noland, Motherwell ou Morris. Ainsi se croisent des mondes où résonne l'écho réciproque de subtiles affinités.

Cette collection témoigne vertigineusement d'un goût particulier pour l'expression de la sobriété, "un art du contenu plus que de la surface" aime à dire Bernar Venet. Elle rassemble les oeuvres de plus de cinquante artistes qui sont autant de ténors dans l'histoire de l'Art de la deuxième moitié du XXe siècle, les plus fameux représentants du Nouveau Réalisme, du minimalisme et de l'art conceptuel avec lesquels Venet n'aura eu de cesse d'échanger et de construire entre Nice et New York, entre Europe et Etats-Unis. Ces oeuvres sont "l'histoire de moments intimes avec les artistes de ma génération que j'ai fréquentés". Amassées au fil du temps dans l'amitié, le partage et les coups de coeur, elles sont offertes aujourd'hui pour "rendre ce que j'ai eu".

Dans la logique d'autres accrochages consacrés à de grands collectionneurs aux Abattoirs (Anthony Denney, Daniel Cordier, Rodolphe Stadler, agnès b.), cette exposition permet de poursuivre encore la réflexion sur les mécanismes profonds qui lient la personnalité du collectionneur aux oeuvres et aux artistes qu'il choisit, et, pour Bernar Venet pourrait-on dire, qui le choisissent, puisque l'artiste poursuit parallèlement à ses rencontres la trajectoire de ses propres recherches.

Faut-il voir dans sa collection un terreau nourricier ou, tout simplement, un univers rassurant et familier où se reconnaître dans l'intégrité de chacune des démarches ? D'où la volonté de mêler dans cette exposition – un peu comme en ses appartements et dans sa Fondation – un choix de pièces de sa collection et de ses propres oeuvres, afin de mieux comprendre la cohérence d'un goût, la rigueur et l'intelligence des principes mis en oeuvre dans l'acte de création.

Enfin, il s'agissait aussi pour les Abattoirs de faire suite à l'intérêt profond que nous portons depuis longtemps au travail audacieux de Bernar Venet qui s'est traduit, il y a deux ans, par l'acquisition du grand arc 222,5°x5, au moment où il installait la commande publique de la Station Barrière de Paris de la Ligne B du Métro à Toulouse."

"Le monde de Bernar Venet - Venet in context"
Alain Mousseigne - Commissaire de l’exposition





LA VENTE DE VENT EST L’EVENT DE VENET

  • 14 Novembre 1967 - New York

    J’ai rencontré lsi Fiszman à un dîner chez Christo et Jeanne-Claude dont il collectionnait les oeuvres. Il est belge, habite toujours Anvers. Ami de nombreux artistes et de Joseph Beuys en particulier, il avait un goût pour un art non-conforme à celui du public. À la fin du dîner, intrigué par la nature de mes tableaux (diagrammes mathématiques) dont un exemple est toujours accroché sur un mur de l’appartement des Christo, il a demandé à visiter mon atelier. La soirée s’est donc terminée dans un coin de l’atelier d’Arman sur Broadway, au niveau de la 8e rue où, n’ayant pas encore les moyens de posséder un lieu de travail personnel, j’entreposais mes oeuvres.

    Il s’est mis à manifester de plus en plus d’enthousiasme devant ces diagrammes scientifiques et il m’a proposé de le rencontrer l’été suivant en Europe pour présenter mon travail à la Wide White Space Gallery installée aussi à Anvers. Un lieu aujourd’hui mythique qui a exposé de nombreux artistes parmi les plus originaux des années soixante.

    Nous nous sommes quittés ce soir-là en échangeant nos téléphones des promesses réciproques de contacts. Trois jours plus tard le téléphone sonne dans l’appartement d’Arman au Chelsea Hotel. J’y habite régulièrement surtout lorsque’Arman est en Europe ou en Californie à UCLA où il a enseigné pendant un certain temps. Isi Fiszman est au téléphone. Il vient, me dit-il, de rendre visite cet après-midi même à Marcel Duchamp. Sans me laisser le temps de lui exprimer ma surprise, il poursuit toujours aussi enthousiaste : "Savez-vous ce que je lui ai dit ? Je lui ai dit que j’avais rencontré le nouveau Marcel Duchamp.”

    Embarrassé et en même temps flatté, doutant de la vraisemblance de cette conversation, je le laisse poursuivre : "Je lui ai parlé de notre rencontre chez les Christo l’autre soir et je lui ai décrit votre travail. Je lui ai dit que je n’avais jamais rien vu de semblable et que vos oeuvres avaient d’une certaine manière un caractère "Duchampien" dans la mesure où elles n’avaient rien à voir avec ce qu’il est habituellement convenu de qualifier d’artistique".

    Je l’écoutais, enchanté par la seule idée que Marcel Duchamp avait entendu parler de mon travail et de plus de manière positive et tellement enthousiaste.

    Un peu gêné par tant de compliments je profitais d’un silence pour lui dire enfin qu’il avait eu beaucoup de chance de rencontrer Marcel Duchamp et que j’aurais aimé être à sa place.

    "Il m’a demandé de vous donner son numéro de téléphone et de l’appeler pour lui rendre visite. Il est très intrigué et curieux de voir des photos de ce que vous faites. N’hésitez pas, téléphonez-lui ce soir même” ajoute Izy Fiszman…

    Encouragé par son insistance et ses quelques conseils, la conversation terminée et après quelques minutes de mises en condition et une bonne respiration, je composais le numéro de celui qui était pour moi, le héros principal de l’histoire de l’art du XXe siècle.

    Il était environ sept heures du soir et c’est Teeny son épouse qui décroche. Elle me répond en français mais avec un accent anglais assez prononcé et me passe aussitôt Marcel Duchamp. Je me présente. Après quelques phrases très aimables, il me propose de venir le voir le lendemain vers 15 heures. Je raccroche en jubilant, croyant à peine à ce qui vient de se produire en pas moins d’un quart d’heure.

    Toute ma soirée s’est passée à sélectionner quelques photos et à réfléchir au contenu de notre conversation du lendemain. J’ai vingt-six ans, je manque d’expérience et je vais "enfin" rencontrer ce Monsieur de 80 ans qui a fait basculer l’histoire de l’art.

  • 16 novembre 1967, 15 heures. 80 East 11th Street

    Je sonne à la porte. Teeny vient m’ouvrir. Je me présente, elle me fait entrer (flou souvenir d’un couloir étroit et à droite une porte qui donne dans un salon). Marcel Duchamp s’est levé pour m’accueillir, me fait asseoir sur un divan et prend place dans un fauteuil. Je m’entends faire quelques remarques admiratives sur les tableaux et les objets accrochés aux murs dont un Miró très célèbre des années 20, un Brancusi aujourd’hui dans la Nasher collection à Houston, le grand et célèbre fauteuil que Max Ernst lui a offert est là sur la gauche.

    Afin de me situer, je lui parle des amis ou des relations que nous avons en commun. Arman surtout, avec qui il joue souvent aux échecs, le couple Christo, Bill Copley, Man Ray à qui j’ai rendu visite la veille de mon premier voyage à New York avec qui j’ai quelques anecdotes amusantes. Le contact est très cordial et je me sens de moins en moins intimidé. Teeny qui a passé quelques minutes avec nous m’offre du thé et nous laisse bavarder seuls en toute liberté.

    La conversation tant attendue porte enfin sur mon travail. Duchamp me demande à voir les photos qui se trouvent dans une enveloppe que j’ai posée en évidence sur la table. Je les lui montre en lui expliquant mes sources d’inspiration et mes contacts avec des scientifiques, notamment Jack Ullman à Columbia University.

    Je fais des commentaires très généraux sur mon travail en réponse aux remarques de Duchamp qui me semble-t-il montre de l’intérêt pour ces images et les idées qui s’y rattachent. Tandis que l’atmosphère devient de plus en plus détendue, je prends davantage d’assurance.

    Lui demandant si cela l’intéresse et si je n’abuse pas de son temps, je lui propose de faire une analyse comparative entre son oeuvre et la mienne en mettant en évidence ce qui nous différencie, afin de souligner la singularité de mes propositions. Je savais que Duchamp aimait situer son oeuvre comme étant "a-artistique". C’est-à-dire qu’indépendamment de l’histoire de l’art, de sa tradition et de son évolution, Duchamp a proposé une activité totalement originale en marge de cette histoire logique et respectueuse des principes qui font qu’un tableau est reconnu par des spécialistes, sinon par tous, comme une oeuvre d’art à part entière.

    A son instar, je pensais que ce n’était pas dans la qualité du coup de pinceau qu’une oeuvre d’art devait être jugée, mais plutôt dans son potentiel de questionnement et d’apport théorique par rapport à ce qui avait été pensé auparavant.

    Dans le discours qui allait suivre, je devais me situer en dehors de la tradition artistique en général, et surtout en dehors de l’oeuvre de Marcel Duchamp lui-même. Je me préparais à préciser ma position tout en dépassant ma propre intimidation et je commençais à parler :

    "On peut dire que tout au long de l’histoire de l’art, deux directions principales ont coexisté. La première est celle de la figuration, de la représentation. Elle prend en compte le monde physique qui nous entoure perceptible à nos yeux. Ce monde physique est exploré par les artistes qui ont recours à la "représentation", à "l’interprétation" ou à la "présentation" de ces objets. Depuis que l’être humain a découvert la possibilité de s’exprimer par des moyens visuels, des styles très différents se sont développés. Depuis les peintures rupestres les plus primitives jusqu’aux tableaux de Warhol, en passant par toutes les grandes périodes historiques, de l’Antiquité à la Renaissance, de l’art Baroque à l’impressionnisme et la multitude des variations formelles du XXe siècle, tous les artistes ont évolué dans ces deux domaines. J’ajouterai à ces deux options "représentation" et "interprétation", celle qui vous concerne plus particulièrement Monsieur Duchamp : C’est la "présentation". C’est là votre grande contribution. Chez vous Monsieur Duchamp, ce geste est unique, radical, historique. L’objet n’est plus "représenté" ou "interprété", il est PRÉSENTÉ. C’est le ready-made. Votre intervention est réduite à la présentation de l’objet. C’est totalement novateur. C’est une étape capitale. Mais si vous le permettez pour poursuivre et développer mon argumentation, je dirai que vous appartenez encore à cette catégorie d’artistes qui prennent en compte le monde des objets qui nous entourent.

    De plus en plus enhardi, j’ajoute : "Mon travail lui, n’entre pas dans cette catégorie. Une équation mathématique n’est pas un objet tangible que l’on trouve sur une table et qui pourrait donner lieu à une nature morte. Une équation mathématique est une pure abstraction, une pure invention de l’esprit."

    Et j’insiste : "Votre "Porte-bouteille" ou la "Pelle à neige" auraient pu être peints par Chardin ou Van Gogh, si ces objets s’étaient trouvés là dans leur atelier. Cela n’a rien à voir avec une équation mathématique qui elle, n’a aucune présence concrète, tangible, palpable. Donc, vous appartenez à cette première catégorie d’artistes. Tandis que moi je n’en fais pas partie."

    Après un court silence, je reprends ma réflexion : "Maintenant, nous avons une autre direction qui intéresse les artistes, différente de cette première catégorie que je viens de décrire. Il s’agit d’une direction dans laquelle les artistes s’expriment et c’est très évident avec l’art abstrait. Ils laissent transparaître leur personnalité, leur subjectivité, leurs goûts, leurs valeurs, leur culture qui dictent la nature des oeuvres qu’ils produisent. Ils ne sont pas concernés dans leur travail par le monde physique qui les entoure qui ne leur sert plus de source d’inspiration. Il ne sera plus jamais représenté ou interprété. Par contre leurs oeuvres vont devenir le lieu de l’expression plus ou moins conscient de leur personnalité. Prenons des exemples très signifiants parmi les plus connus : Jackson Pollock ou Frank Kline qui s’expriment par une gestuelle violente sur la toile. Rothko et son intérêt pour le sacré, le mystique, le spirituel, le religieux… Pensons à Mondrian, à ses compositions rigides, rationnelles, calculées à l’extrême. À Yves Klein et son approche idéaliste, transcendantale. Ad Reinhardt et son puritanisme évident qui le pousse à réduire ses tableaux à leur plus minimale expression. Chaque fois des indices sont transmis par l’oeuvre qui laisse entrevoir la personnalité de l’artiste".

    Pour revenir à vous M. Duchamp, il est permis de penser que lorsque vous avez présenté "la Joconde" avec une moustache et que vous l’avez intitulée "LHOOQ", vous laissiez transparaître votre sens de l’humour et votre culture française. Il en est de même avec la "Pelle à neige" titré : "In advance of a broken arm" et avec le sein en mousse légendé : "Prière de toucher". Là encore une pointe d’ironie, d’humour. C’est du pur Dada. En ce sens vous appartenez à cette deuxième catégorie dont je parle, car vous laissez transparaître votre personnalité dans vos oeuvres. Mais je n’appartiens pas non plus à cette catégorie-là parce qu’il y a dans mon travail une neutralité maximale, une grande distance entre ma personnalité et les oeuvres que je présente. Si on se demande pourquoi, c’est parce que les sujets scientifiques que j’expose sont sélectionnés par mon ami Jack Ullman à Columbia University. Les critères de choix ne sont pas esthétiques, ils sont basés sur l’importance du sujet traité, sa pertinence dans le contexte auquel il appartient afin de ne pas faire intervenir notre goût personnel ni le mien propre, ni celui de Jack Ullman qui pourrait éventuellement se prendre pour un artiste..."

    Pour illustrer ce que je viens de décrire, je poursuis et je donne cet exemple : "J’aimerais être invité à une exposition personnelle* où tous les "sujets" seraient choisis par Jack Ullman. Ils seraient envoyés à la galerie qui ferait réaliser des agrandissements photographiques en fonction de l’espace disponible et je n’irai pas moi-même voir le résultat le jour du vernissage. Mon détachement serait total, ainsi que la distance maximale entre l’oeuvre et moi-même. De plus les sujets scientifiques sont la solution idéale pour développer une telle problématique car ils proposent des informations objectives sur le monde et contrastent avec la vision subjective, très personnalisée de l’artiste. En développant un tel travail je fonctionne donc dans un autre système, un contexte nouveau qui n’a plus rien à voir avec la tradition de l’art…"

    Je conclus enfin : "Nous avons ces deux catégories très générales qui m’obligent à simplifier bien sûr, mais qui englobent toute l’histoire de l’art. C’est-à-dire en premier lieu, le rapport de l’artiste avec ce qui l’entoure par le biais de la "représentation", de "l’interprétation" ou de la "présentation", et deuxièmement l’expression subjective de l’artiste qui laisse transparaître sa personnalité. Ainsi je crois que votre oeuvre obéit encore aux principes de ces deux lignes essentielles, tandis que mon travail en est libéré totalement. Il est possible de penser que si ce que je fais est accepté un jour comme étant artistique, alors une définition supplémentaire aura été formulée".

    Je m’entendis prononcer ces phrases, conscient de la prétention et de l’assurance aveugle qui en filtraient et qui me poussaient à convaincre ce géant de l’histoire.

    Par rapport à notre approche de la création artistique, j’essaie tout aussi brutalement que lui de remettre en question nos acquis. Ma démonstration est maintenant terminée. Malgré mes maladresses et les imperfections, mon discours avait sa logique J’ai essayé d’être aussi convaincant que possible. Marcel Duchamp m’avait écouté sans intervenir en fumant des cigarettes. J’appréhendais maintenant dans son regard l’expression d’une critique à mon excès d’assurance et à ma naïve arrogance. Il n’en fut rien, au contraire. Il montra de l’intérêt pour mon analyse et nous avons discuté encore quelques temps de mon point de vue, de ma vision des choses. Je crois qu’il appréciait mon enthousiasme et mon souci de me démarquer. Il avait certainement encore en mémoire cette attitude non-conformiste qui l’avait caractérisée durant sa jeunesse, ce désir de tout balayer et de démarrer sur des bases différentes. Je ne me souviens plus avec précision de ses commentaires et je crains de les déformer en essayant de les rapporter aujourd’hui. Je ne m’y hasarderai donc pas.

    Le temps passait. Nous parlions toujours. Je lui décrivais une oeuvre que j’avais réalisée en février de cette même année. Il s’agissait de l’enregistrement d’une conférence au "Annual meeting of the American Physics Society". Jack Ullman, avait pu m’y faire inviter. J’avais décidé de présenter cette conférence comme oeuvre d’art et tandis que je tentais d’expliquer de mon mieux ce qui avait justifié cette idée, en particulier celle de présenter une oeuvre qui n’avait aucun aspect physique mais du son seulement, alors que j’étais un "plasticien", Marcel Duchamp me coupa la parole et me dit d’un ton amusé :

    "Mais vous êtes un artiste qui vend du vent"

    Je n’ai pas compris de suite ce qu’il voulait dire. J’ai dû prendre sur le moment un air étonné. L’idée que cette oeuvre pourrait être vendue était très éloignée de mes intentions et en plus l’idée de «vendre du vent !» ne m’emballait pas ou alors, faisait-il allusion à l’idée qu’il avait créé lui-même une petite oeuvre qui s’intitulait "Air de Paris" . Je ne comprenais pas, je restais interloqué, surpris, ne sachant sur le moment que répondre. Alors Duchamp, toujours en souriant écrivit sur un coin de journal posé sur la table la phrase suivante :

    "La vente de vent est l’event de Venet".

    Nous avons éclaté de rire autour de ce jeu de mot improvisé dont Duchamp était le maître. Quatre fois dans cette phrase aussi courte que je n’oublierais jamais, les lettres E.N.E.V.T se recomposaient dans un ordre et un sens différent. Je lui ai dit que ça me faisait penser à "Esquivons les ecchymoses des esquimaux aux mots exquis" inscrit sur l’un de ses disques de 1926. Je restais sidéré par sa capacité à improviser aussi facilement un jeu de mot parfaitement approprié en pleine conversation mais malgré tout dubitatif sur l’intérêt de dire que je "vendais du vent"… Plus de trois heures venaient de s’écouler. Avant de prendre congé, Marcel Duchamp m’a généreusement dédicacé la couverture du livre "Transition" de 1937 qui reproduit le peigne sur lequel est inscrite la phrase : "Trois ou quatre gouttes de hauteur n’ont rien à voir avec la sauvagerie".

    J’avais pris soin d’emporter ce livre avec moi car Arman me l’avait offert l’année précédente en me disant : "Si un jour tu rencontres Duchamp et qu’il te signe cette couverture, tu auras une oeuvre de Marcel Duchamp." Belle intuition de mon ami Armand ! Je garde aujourd’hui cette précieuse dédicace, comme un souvenir, un témoignage, une relique d’un des grands moments de ma jeunesse. J’avais 26 ans.

    Je n’ai jamais revu Marcel Duchamp. Il est mort l’année suivante. Après ce moment unique et privilégié avec lui, je ne peux dire bien sûr que je l’ai bien connu, mais je garderai toujours en mémoire le sentiment réel de l’avoir bien rencontré.

    Bernar VENET Août 2010

    * Expositions réalisées en 1968 à Chicago au Museum of Contemporary Art Exhibition : "Art by Telephone". Plus tard à la Galerie Daniel Templon à Paris en 1970.

    Ces textes sont extraits du catalogue à paraître : "Le monde de Bernar Venet – Venet in context"
    Editeur : LienArt Editions, Paris - 152 pages, prix de vente 30,00 €ttc
    Textes : Bernar Venet, Jérôme Sans, Thierry D’Avila, Alain Mousseigne



    Vidéo Exposition Bernar Venet





    Voir la source externe de la vidéo
    WebTv Vidéos Art sur moreeuw.com




  • arts plastiques contemporains
    homme invisible
    Galerie d'art contemporain
    Peintures, sculptures et objets d'art