Annuaire gratuit Référencement Achat tableaux peintures Expositions Médias Bio Série Afrique Série Paysage Jack the Ripper Roswell Ali Baba Vache folle Aquarelles Encres Vénus Saint georges Restaurants Rats | ||||||||||
Turner et ses peintres |
|||
Grand Palais, ParisExposition du 24 février - 24 mai 2010Affiche de l’exposition "Turner et ses peintres" au Grand Palais © Rmn La profonde singularité du peintre de paysages britannique William Turner (1775-1851) s’est nourrie de son dialogue avec la peinture tant des maîtres anciens que de ses contemporains tout au long de sa très longue carrière. Ce dialogue, souvent inquiet, appliqué, volontiers compétitif mais toujours fécond a nourri le parcours exigeant du peintre. Dès ses débuts, au milieu des années 1790, Turner se montre un aquarelliste particulièrement doué et ambitieux rivalisant avec les plus grands de ses contemporains (dont son ami Thomas Girtin (1775-1802)) mais aussi avide de maîtriser la technique picturale en s’inspirant du paysagiste gallois Richard Wilson (1713-1782) et en visitant les premières collections privées britanniques qui, en l’absence de musée, détiennent les oeuvres des maîtres anciens que Turner brille d’égaler. Tout jeune encore, il fond en larmes devant un tableau de Claude Lorrain (1600-1682), désespérant de faire aussi bien. Remarqué par ses pairs, il expose très jeune à la Royal Academy et joue volontiers à l’émulation avec ses contemporains tant peintres qu’aquarellistes. Son ambition impérieuse, le pousse à sans cesse étendre le vaste champ de ses connaissances artistiques et de ses champs d’investigation : aquarelles topographiques, marines, paysages classiques, scènes fantastiques, voire scènes de genre ou peintures d’histoire. La variété de ce parcours s’appuie sur la diversité des références que cet avide génie sait rassembler.
Appliquant d’abord fidèlement les méthodes de la jeune tradition des aquarellistes anglais, Turner aborde la peinture en suivant avec application l’exemple des paysagistes hollandais rembranesques dans une gamme chromatique sombre et encore restreinte. L’exemple stimulant et déjà classique de son grand devancier Richard Wilson l’engage vers le tournant du siècle à entreprendre des paysages classicisants de plus grande ampleur et de coloris plus soutenu. Il étudie en parallèle, avec déférence et bientôt la volonté d’en découdre, l’art des grands paysagistes actifs en Italie au XVIIe siècle : Salvatore Rosa (1615-1673) et Nicolas Poussin (1596-1665). Loin de pasticher ces grands modèles, Turner bouscule d’un souffle puissant et tempétueux la perfection de leurs harmonieuses compositions en inaugurant presque la magistrale tradition du paysage fantastique britannique avec Le Déluge (1805, Tate) directement inspiré du tableau éponyme de Nicolas Poussin (1664, Louvre).
L’exposition propose également la confrontation de ses quelques tentatives dans le domaine de la peinture d’histoire (Sainte famille de 1803, collection de la Reine, ou Vénus et Adonis vers 1805, collection privée) avec les oeuvres de Titien (vers 1490-1576) notamment (La Vierge au lapin vers 1530, Louvre) dont le chaud chromatisme les a inspirés. Ses petites peintures de figure rivalisent à la fois avec des maîtres méconnus à l’époque tels Watteau (1684-1721) (Ce que vous voudrez !, 1822, Williamstown, Clark Institute) ou ses rivaux les plus célèbres tels David Wilkie (1785-1841). Le dialogue fructueux avec les paysagistes de la génération suivante, Bonington (1802-1828) (Scène de la côte française avec des pêcheurs de 1826, Tate) et John Constable (1776-1837) (L’inauguration du pont de Waterloo, 1829, Tate) vont exalter encore la liberté de touche et de ton de Turner (La plage de Calais, 1830, Bury Art Gallery ou Le Bateau échoué vers 1828, Tate). Après 1820, la découverte de l’Italie (Palestrina-composition, 1828-1830, Tate, Venise vue du porche de la Madone de la Salute, 1835, New York, Metropolitan Museum) et l’approfondissement de l’étude de Claude Lorrain portent les compostions de Turner vers un très grand raffinement chromatique et une maîtrise des compositions à plans multiples et vaporeux. L’exposition permettra à ce titre, comme Turner l’avait lui-même souhaité, de confronter un de ses plus complexes chefs-d’oeuvre, Le Déclin de l’empire carthaginois (1817, Tate) avec deux des visions magnifiques de Claude Lorrain qui l’ont inspiré : Le Port de mer au soleil couchant (Louvre, 1639) et Le Débarquement de Cléopâtre à Tarse (Louvre). C’est par la confrontation exigeante et sans arrêt provoquée avec ses peintres de prédilection que Turner a construit son affranchissement, sa sidérante liberté de peindre portée à son apogée dans sa dernière décennie d’activité (Tempête de neige, bateau à vapeur au large d’un port, 1842, Londres, Tate)
L’exposition "Turner et ses peintres" retrace et illustre cette construction de la vision de
Turner, riche de rencontres multiples, fortuites ou provoquées, mais toujours opportunes et
fécondes, tout au long de sa remarquable carrière. Elle rassemble près de 100 tableaux et
oeuvres graphiques (aquarelles, gravures) provenant de grandes collections britanniques et
américaines, des musées du Louvre, du Prado, et de Londres.
Joseph Mallord William Turner (1775-1851), déjà largement reconnu de son vivant, est considéré aujourd’hui comme le plus grand peintre de paysage britannique du XIXe siècle. On le tient pour le rénovateur du genre notamment dans ses oeuvres ultimes où s’opère un dépassement de la tradition par la dilution des formes dans la lumière. Turner est souvent perçu comme l’inspirateur de l’impressionnisme (qu’il n’a pas pu connaître) voire de la peinture abstraite. Et pourtant... Turner n’a jamais cessé de vouloir transcrire dans sa peinture la sensation de la nature tout en s’inspirant continuellement d’un certain nombre d’artistes (des peintres essentiellement), glorieux anciens ou bouillonnants rivaux contemporains, pour conduire sa quête artistique. Exceptionnellement ambitieux, Turner fut en constante rivalité avec l’art passé ou présent afin de parfaire la discipline. Ce révolutionnaire, en effet, est aussi bien un héritier, un continuateur et un compagnon de route. Londonien natif d’origine modeste, Turner est un pur produit de la jeune Royal Academy of Arts fondée en 1768 et qui préconisait comme base de son enseignement la copie d’après les "maîtres", à savoir un petit nombre de peintres de la Renaissance ou du XVIIe siècle, considérés comme la quintessence du "Grand Style". Suivant cette méthode tout au long de sa carrière, Turner va construire sa voie en opérant ses propres choix parmi les "inspirateurs" à la fois ceux prônés par la tradition académique et en dehors. Car son parcours est accompagné par le développement de la scène artistique à Londres avec la création des premiers musées, l’essor des expositions publiques et du marché de l’art. C’est cette histoire que la présente exposition entend retracer. En retrouvant les oeuvres anciennes que Turner avait lui-même sélectionnées, en confrontant l’artiste avec ses modèles chéris ou ses rivaux défiés, on suivra le cheminement d’un créateur qui s’est voulu d’abord un peintre, pas seulement un paysagiste, et qui a construit toute son oeuvre pour être intégré au panthéon des plus grands. Indissociablement avec eux et contre eux, afin de se définir...
Présentation de l'exposition par Rmn-Grand_Palais
Turner, natif de Londres, dans le quartier populaire de Covent Garden, entame véritablement sa formation d’artiste lorsqu’il est admis en 1789 aux cours de la toute récente Royal Academy of Arts, fondée en 1768. C’est là qu’il apprend le dessin en copiant essentiellement des gravures d’après les "maîtres" anciens. À la fin du XVIIIe siècle, les paysagistes britanniques se sont faits une véritable spécialité de l’aquarelle. D’abord passionné d’architecture, Turner commence ainsi sa carrière comme aquarelliste topographe. A Stourhead, chez le grand collectionneur Sir Richard Colt Hoare(1758-1838), un de ses premiers mécènes, il découvre en outre les sombres et inquiétantes gravures d’architecture de l’italien Giambattista Piranesi (1720-1778) et les aquarelles du Suisse Ducros (1748-1810) qui vont inspirer ses premières vues aquarellées d’architectures gothiques. Turner devient bien vite après 1795 l’aquarelliste le plus doué de sa génération avec son jeune ami et rival Thomas Girtin (1775-1802). Mais au milieu des années 1790, Turner entend aussi acquérir la maîtrise de la peinture à l’huile. La peinture de paysage vient d’acquérir ses lettres de noblesse en Angleterre avec les oeuvres du gallois Richard Wilson (1714-1782), lui-même très influencé par la grande tradition du paysage classique italien dont Gaspard Dughet (1615-1675) est un illustre représentant. A la fin des années 1790, Turner produit ses premiers grands paysages sous l’influence et en hommage à son devancier gallois. Tout d’abord il peint un paysage italien Énée et la Sibylle, lac d’Averne (1797) inspiré d’un tableau classicisant de Wilson vu à Stourhead. Puis en 1799 il produit avec le Château de Harlech une de ces vues nostalgiques de vieilles forteresses médiévales chères à Wilson et à la sensibilité "gothic" britannique, c’est aussi un de ses premiers tableaux présentés à l’exposition annuelle de la Royal Academy.
En 1799, Turner est élu membre associé de la Royal Academy, le voici intronisé au cénacle de l’establishment artistique londonien. Ses productions picturales embrassent alors une inspiration plus élevée selon les critères académiques : son intérêt se porte vers la peinture italienne de paysage du XVIIe siècle : les sites tourmentés de Salvator Rosa (1615-1673) et surtout les représentations classiques des "Français" de Rome, très appréciés par les Britanniques dès le XVIIIe siècle : Nicolas Poussin (1594-1665) et bientôt Claude Gellée, dit le Lorrain (1604/05- 1682). Avec ce dernier Turner instaure le dialogue le plus fructueux de sa carrière. "Claude" est son mentor qui lui enseigne l’art d’agencer des paysages harmonieux, où tout est équilibre dans une nature idéale digne des dieux antiques, telle qu’il peut l’admirer sur une grande toile souvent contemplée à Petworth Paysage avec Jacob, Laban et ses filles. Fait rarissime, Turner entreprend à deux reprises de véritables variations à partir de ce tableau en 1814 et, avec plus de lumineuse liberté, en 1828. Car l’art du Lorrain, véritable poète de la lumière, lui enseigne également la voie de son indépendance. En 1802, à la faveur de la Paix d’Amiens, Turner peut se rendre pour la première fois sur le continent. Emerveillé, il découvre les richesses artistiques du Louvre. Aucun pays en Europe ne dispose d’un musée "universel" comparable. Il couvre son carnet de croquis de notes et de copies. L’artiste n’admire pas seulement les paysages, mais aussi les grandes "peintures d’histoire" : religieuses ou mythologiques. Poussin, encore, dont Le Déluge lui inspirera une variation monumentale. Il découvre surtout le chaud coloris de Titien (vers 1490-1576). A son retour, Turner expose - sans succès - ses premières peintures d’histoire très inspirées du maître vénitien.
Lorsque Turner visite Paris pour la première fois en 1802, il prend bien soin de visiter le "Salon", l’exposition publique régulière des dernières productions des artistes vivants, présentée au Louvre. Paris est alors un centre artistique extrêmement brillant et dynamique. La peinture de paysage y est particulièrement florissante : "à en juger par ce fragment d’exposition, la palme sera cette année pour les peintres de genre et les paysagistes" affirme le critique du Journal des débats. Le peintre Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819) vient de publier en 1800 le premier grand traité théorique consacré au genre : Eléments de perspective pratique… Il y énonce les règles "néo-classiques" du "paysage historique". Celui-ci est issu de la tradition classique des paysages idéaux de Nicolas Poussin et Claude Lorrain avec le souci d’intégrer la représentation d’actions humaines exaltant les valeurs morales. Cette ambition est finalement proche des recherches du jeune Turner à une époque où l’art britannique n’offre rien de comparable. Pourtant, le peintre se montre sévère envers l’école française qui, selon ses dires, est trop affectée et rigide. Néanmoins, après son retour à Londres, il peint pendant une petite dizaine d’années certains de ses paysages historiques "à l’antique" les mieux ordonnés de sa carrière, dont le Mercure et Hersé (1805-1811) est un remarquable exemple, peut-être influencé par les paysages néo-classiques de Valenciennes ou de Jean-Victor Bertin (1767-1842) qu’il a pu voir en 1802.
A la fin du XVIIIe siècle, les peintures flamandes et hollandaises du XVIIe siècle étaient fort goûtées par les collectionneurs anglais et un marché s’offrait aux artistes qui, comme le jeune Turner, comprenaient que l’on recherchait des oeuvres dans le goût "nordique". Les "écoles du Nord" étaient surtout réputées dans les genres jugés inférieurs : les représentations de la vie quotidienne ("la peinture de genre") et le paysage. Elles étaient en outre peu estimées des théoriciens, en raison d’un certain caractère réaliste dans la représentation. Dès les années 1790, Turner découvre l’art de Rembrandt (1606-1669). De tous les maîtres nordiques, c’est probablement celui avec qui Turner entretient le dialogue le plus riche. Il est d’emblée fasciné par la puissance des clairs-obscurs de ses paysages, capables, comme dans Le Moulin, de transcender les sites les plus triviaux. Un peu plus tard, on lui commande un pendant pour une scène de genre ténébriste alors attribuée à Rembrandt, Le Berceau. A l’opposé des lumières vaporeuses de Claude Lorrain, le maître hollandais semble apprendre à Turner la valeur dramatique des forts contrastes lumineux. Pourtant, vers 1830, le peintre anglais semble subir une dernière fièvre rembranesque, lorsque, dans ses peintures bibliques, la pénombre, opposée au jaune pur, ne lui sert plus à distinguer les masses comme naguère mais à les fondre de façon quasi surnaturelle. C’est à partir de la première décennie du XIXe siècle que Turner exploite toutes les possibilités offertes par la tradition des paysages nordiques. Outre ses pastiches et variations inspirées des marines hollandaises du XVIIe siècle qui lui vaudront un succès constant pendant toute sa carrière, Turner décline avec succès la veine humble et réaliste des paysages campagnards inspirés de Cuyp (1620-1691), Jacob van Ruisdael (1628/29-1682) voire de Rubens (1577-1640). Avec moins de bonheur que son contemporain David Wilkie (1785-1841), il tente de pasticher les scènes de genre de David Teniers (1610-1690). Seul l’art de Watteau (1684-1721), alors considéré comme Flamand, lui inspire une scène intime d’une délicate poésie : What you will ! inspirée de Shakespeare.
C’est à l’heure des premiers bilans, durant les années de maturité, de 1820 au début des années 1830, que Turner, parvenu à un degré enviable de sa notoriété, entreprend d’exposer à la Royal Academy plusieurs tableaux mettant en scène certains grands peintres du passé. Il venait en outre, en 1822, de faire réaménager, selon ses propres plans, la galerie contigüe à son domicile où, depuis 1804, il exposait au public ses productions. Avec son éclairage zénithal filtré, ses murs rouges et son accrochage dense, c’est un véritable musée dédié à sa peinture. C’est cette atmosphère que nous voudrions évoquer dans cette salle. De façon significative c’est avec Raphaël (1483-1520), considéré à l’époque comme le plus grand génie de l’histoire de la peinture, que Turner inaugure sa thématique. La vaste toile exposée à la Royal Academy en 1820 offre l’inventaire panoptique tant des splendeurs de la Rome moderne que des dispositions artistiques universelles du méditatif maître italien à la fois peintre, architecte, poète… Et même la sculpture n’est pas absente dans cet étalage qui fait de Raphaël un prétexte et la personnification du génie artistique. Un peu plus tard, il va mettre en scène quelques peintres plus intimement liés à son parcours artistique : Jean-Antoine Watteau (1684-1721) représenté en 1831 dans le désordre d’un atelier qui ressemble au sien et Antonio Canaletto (1697-1768) dépeint en 1833 oeuvrant sur le motif. Avec Port Ruysdael (1827), Turner franchit une étape supplémentaire dans son processus d’intégration des maîtres dans son oeuvre. Car Jacob van Ruisdael (1628/29-1682), nommément désigné, n’est pas pourtant représenté sur la toile. En revanche par le choix d’un de ses motifs familiers – la représentation d’une embouchure maritime sous la tempête - Turner l’associe à son tableau. Son oeuvre devient ainsi une oeuvre de Ruisdael... peinte par Turner ! Dans ce panthéon choisi, il est une absence criante : Claude Lorrain, le plus chéri de tous ses devanciers... comme si son ascendant était à ce point diffus dans toute la peinture de Turner qu’il eût été vain d’en circonscrire la représentation...
Depuis la publication en 1757 par le philosophe irlandais Edmund Burke (1729-1797) du traité A Philosophical Enquiry into the Origin of Our Ideas of the Sublime and Beautiful, le "Sublime" est une puissante source d’inspiration des artistes britanniques. Cette notion s’oppose au beau harmonieux prôné par la doctrine académique et porte sur le frisson particulier causé par la crainte, l’horreur de l’homme confronté à ce qui le dépasse et l’anéantit. Au début du XIXe siècle déjà, avec sa représentation du Déluge inspirée par Poussin, Turner avait porté cette notion dans sa peinture. Un des plus brillants illustrateurs du sublime dans le domaine de la peinture de paysage était l’artiste d’origine française Philippe-Jacques de Loutherbourg (1740-1812) qui s’était établi une solide réputation en exposant à la Royal Academy des représentations de catastrophes naturelles ou de désastres sanguinaires. L’Avalanche dans les Grisons exposée par Turner dans sa galerie en 1810 surclasse son rival par sa technique absolument novatrice. L’inspiration fantastique est une autre veine du "sublime". A partir de ses années de maturité, Turner est fortement stimulé par les jeunes artistes qui, comme Francis Danby (1793-1861), s’imposent en spécialistes. Par l’audace de sa technique qui fouette et dissout toute forme dans une pâte épaisse et malmenée, le vieux Turner parvient encore à rivaliser avec eux.
Les relations entretenues par Turner avec les artistes britanniques qui furent ses contemporains ont un cadre privilégié : celui des expositions publiques qui se développent fortement au début du XIXe siècle. En dehors des présentations annuelles de la Royal Academy, la British Institution, une association d’amateurs privés, organise à partir de 1805 les principales expositions publiques d’oeuvres d’art où les créateurs vivants n’ont pas seulement à entrer en compétition entre eux mais aussi avec les maîtres du passé. Progressivement, amateurs, marchands et les artistes eux-mêmes, comme Turner qui a fondé sa propre galerie en 1804, présentent également des expositions. Dans cet environnement nouveau et extrêmement compétitif, l’attention de Turner est particulièrement aiguisée pour repérer les nouveaux talents et les nouvelles tendances. Il est passé maître lui-même dans l’art de mettre en scène sa peinture. Pour attirer l’attention, le choix de sujets spectaculaires, comme le faisait Loutherbourg, ou de couleurs franches n’est pas une moindre recette. Les contemporains craignaient que leurs oeuvres ne soient accrochées à côté des toiles de Turner car "c’était aussi préjudiciable que le voisinage d’une fenêtre ouverte". En outre, dans sa maturité, Turner prit l’habitude de faire porter à la Royal Academy ses toiles non encore achevées afin d’en terminer sur place l’exécution. Nombre de ses contemporains souffrirent de ces perfectionnements de dernière heure, tel John Constable (1775-1837), dont L’Inauguration du pont de Waterloo fit les frais en 1832 de son voisinage avec la marine, Helvoetluys, envoyée par Tuner cette année-là. Les deux tableaux sont présentés côte à côte pour la première fois depuis cette date. Mais ces expositions étaient surtout pour Turner l’occasion privilégiée de prendre la mesure des autres immenses talents de la peinture anglaise à l’époque : surtout les paysagistes John Constable et Richard Parkes Bonington (1802-1828), tant pour assimiler leurs audaces que pour se confronter à elles.
Eprouvé par plusieurs deuils (dont celui de son père), Turner entreprend en 1829 la rédaction de son testament. Stimulé par l’ouverture récente de la National Gallery, le tout premier musée national de Beaux-arts créé à Londres en 1824, Turner formule le désir que deux de ses compositions "Claudiennes" les plus magistrales, représentant des ports de mer, y soient exposées en permanence en regard de deux toiles de Claude Lorrain. Il prévoit en outre de léguer à la nation britannique toutes les oeuvres demeurées dans son atelier à sa mort dans l’espoir qu’on voudra leur consacrer une galerie. En 1831, il substitue à l’une des deux vues auparavant sélectionnées, le superbe coucher de soleil du Déclin de l’empire carthaginois (1817), une autre vue portuaire d’inspiration nordique, Soleil levant dans la brume (1807), qu’il vient de racheter à un prix considérable. Ce sont ces deux pôles essentiels : le classicisme Claudien et les marines hollandaises, que l’inspiration de Turner va raffiner durant ses deux dernières décennies d’activité pour produire ses oeuvres les plus radicales de facture et de composition, aux confins de la vision et de l’impression, comme dans le Regulus (1828-1837). En un mot : ce sont peut-être ses oeuvres les plus modernes pourtant variations toujours plus libres sur les traces des maîtres ! La touche de Turner se fait soit plus voyante et tourmentée, insolemment, comme dans le magistral Tempête de neige au large d’un port (1842) soit au contraire à peine visible et estompée comme dans la série des paysages d’inspiration Claudienne qu’il entreprend vers 1845 et qui demeurent tous inachevés, comme "Solitude" ou le "Paysage avec une rivière" du Louvre.
Après sa mort en 1851, ses toiles sont réparties entre la Tate (essentiellement) et
la National Gallery avec tous les autres grands chefs d’oeuvre de l’histoire de la
peinture européenne. C’est là, plus encore qu’à la cathédrale Saint Paul, où sa
dépouille repose, que Turner siège en majesté au panthéon de la peinture.
|
|||