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Pompei, un art de vivre

Musée Maillol, Paris

Exposition du 21 septembre 2011 - 12 février 2012




Présentation de l'exposition "Pompei, un art de vivre" par Stefano de Caro, Directeur général honoraire du Patrimoine archéologique, Professeur à l'Università Federico II di Napoli
Article de référence : exposition Pompei, un art de vivre, Musée Maillol, Paris 2011

La chute d’une civilisation est souvent synonyme d’oubli. De ce point de vue, le cas de l’Empire romain est pour le moins inhabituel : grâce au précieux travail des copistes dans les monastères médiévaux, nous est parvenu un grand nombre de sources écrites, qu’elles soient dues à des historiens, à des poètes, à des rhéteurs, à des architectes ou à des jurisconsultes. On peut ainsi reconstituer, année après année ou peu s’en faut, l’histoire, la vie politique et les conquêtes de Rome, ce petit village de bergers sur le mont Palatin devenu la capitale du monde méditerranéen, le centre d’un empire s’étendant d’ouest en est de l’Atlantique aux confins de la Mésopotamie, et du nord au sud du mur écossais d’Hadrien jusqu’au Soudan. Cette connaissance textuelle concerne cependant surtout les événements publics, les batailles, les triomphes, ou bien encore les principes du droit et les grands travaux. De la vie privée, celle vécue par les gens de tous les jours dans les cités de l’Empire, les sources antiques ne nous donnent que relativement peu d’information, et encore faut-il les lire entre les lignes de la vie d’un César ou des aventures nécessairement exagérées d’un Trimalcion. Quant aux inscriptions, elles ne nous livrent guère plus : même quand elles ont trait à des faits privés comme la mort, leur nature est aussi essentiellement publique. À dire vrai, la plus grande part de ce que nous savons de la vie quotidienne des anciens Romains, ce qui forme la base de notre imaginaire de cette civilisation – un imaginaire qui est celui du film Gladiator ou des romans de Lindsey Davis –, nous le devons aux fouilles initiées il y a plus de deux siècles et demi dans les villes côtières du Golfe de Naples ensevelies par le Vésuve en 79 après Jésus-Christ à la suite d’une terrible éruption qui, en quelques heures, y éteignit toute vie. L’ampleur d’une telle destruction ne peut être comparée qu’à bien peu d’événements dans l’histoire de l’humanité, sans doute uniquement aux tsunamis des océans d’Asie ou aux bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. Un événement aussi terrible était pourtant destiné à devenir une grande source de joie pour la postérité – Goethe l’avait déjà bien compris. Au fil des découvertes archéologiques révélées par les fouilles, on put en effet se rendre compte du témoignage historique exceptionnel que constituait une telle cristallisation. Aujourd’hui encore, à une époque où l’archéologie a fait d’immenses progrès sur toute l’étendue de ce qui fut l’Empire romain, et alors que nous savons tant de choses sur de si nombreux sites antiques, Pompéi conserve sa valeur de point de repère, à la fois comme un moment précisément datable et comme un terme de comparaison culturelle par rapport à toutes les découvertes qui se font dans le domaine de l’Antiquité romaine. Au moment de leur destruction, Pompéi et Herculanum étaient des villes qui comptaient plusieurs siècles d’histoire, à l’instar de la majeure partie des cités italiennes de l’époque ; elles n’avaient pourtant pas d’importance politique particulière. Et c’est justement cette nature « banale » qui mérite d’être soulignée, car ces deux villes constituent de fait un échantillon représentatif de la civilisation romaine, loin des déformations que le statut de capitale confiait inévitablement à Rome.



C’est pour cette raison que, dès les premières découvertes archéologiques au milieu du XVIIIe siècle,ce fut vers les nombreuses traces de la vie quotidienne que se tournèrent tous les regards. À Rome ou dans les vieilles cités européennes d’origine romaine, on voyait bien des monuments grandioses, des amphithéâtres, des temples, des aqueducs, des routes mêmes ou d’impressionnants tombeaux ayant survécu à l’effondrement du monde antique et perduré au Moyen Age. Mais où étaient les maisons ? Personne n’en avait jamais vu une dans son ensemble, à peine restait-il une pièce nichée ça ou là dans quelque grotte d’une colline romaine. Même si une telle pièce était parfois magnifiquement décorée à fresque, aucune maison romaine antique ne pouvait pourtant être étudiée du point de vue de la planimétrie pour essayer de comprendre ce que les sources antiques indiquaient quand elles parlaient d’atriums, de péristyles ou de tablinums. Le choc eut d’abord lieu à Pompéi, car à Herculanum on avait commencé à fouiller le théâtre, découvrant pléthore de statues de marbre et de bronze. À la vue des maisons pompéiennes, les visiteurs étaient bien sûr impressionnés par l’abondance des décorations peintes et des mosaïques, ainsi que par la variété des objets retrouvés, mais ils furent surtout frappés par la petite taille de tels édifices. Goethe va jusqu’à les appeler des « maisons de poupées », ce qui ne convenait guère avec la « magnificence des anciens Romains » à laquelle on était en droit de s’attendre si l’on se fiait aux recueils d’un Piranèse.

Très vite, cependant, la surprise laissa la place à l’enthousiasme. Ces maisons révélaient un mode de vie extrêmement raffiné. Il y avait l’eau courante dans chaque foyer, grâce à un système hydraulique capillaire, et chaque maison ou presque possédait son jardin. La vie culturelle était trépidante, même dans la sphère privée, comme on pouvait l’induire de la lecture de moult graffiti. Les cultes étrangers étaient acceptés au sein même des sanctuaires locaux. Les libertins louaient également, bien sûr, la libéralité des pratiques sexuelles, mais on pouvait également voir qu’un nombre insoupçonné de citoyens participaient aux élections municipales.

Le choc fut particulièrement brutal pour les jeunes architectes européens, venus former leur « bon goût » dans les Académies établies à Rome et qui se devaient d’étudier l’Antique en copiant des grands monuments classiques et en s’adaptant aux principes de Vitruve. Les maisons pompéiennes devenaient de nouveaux modèles qu’il leur fallait absolument s’approprier. En plus des relevés habituels, ces architectes en firent des « restaurations » qui redonnaient couleur et vie au paysage de ruines nues qu’étaient devenus Herculanum et Pompéi.

Ce qui avait également changé, c’était que chaque artiste voulant représenter un intérieur romain ne pouvait plus faire autrement que de s’inspirer d’une maison pompéienne et des meubles tirés du très vaste répertoire que le roi de Naples avait exposé d’abord à Portici, puis à Naples même. Les peintures et les mosaïques devinrent elles aussi des modèles incontournables, qu’il s’agisse des oeuvres in situ ou de celles détachées et exposées comme des tableaux dans les collections royales. Le néoclassicisme napoléonien d’un David cédait le pas aux représentations plus intimistes de peintres romantiques émus par les Last Days of Pompeii d’Edward Bulwer-Lytton – dans le livre, la maison du protagoniste Glaucus s’inspirait du reste directement de celle reconstruite avec un grand soin philologique par l’archéologue Desiré-Raoul Rochette. Impossible de ne pas citer non plus Lawrence Alma- Tadema, lequel possédait une très riche collection de photographies de lieux pompéiens, qu’il conservait dans son atelier.

Ceux qui en avaient les moyens voulurent même se faire construire leur propre « Pompéianum », à commencer par celui du roi Louis Ier de Bavière à Aschaffenburg, édifié par Friedrich von Gärtner entre 1840 et 1848. À Paris, le prince Napoléon (1822-1891), fils de Jérôme Bonaparte, commanda à l’architecte Alfred-Nicolas Normand une « Maison Pompéienne » pour sa résidence du 18 avenue Montaigne, à Paris. Ancien pensionnaire de l’Académie de France à Rome qui avait fait des magnifiques relevés à Pompéi, Normand construisit ce qui fut sans doute son chef-d’oeuvre, un hôtel particulier qui a aujourd’hui disparu mais dont Gustave Boulanger nous a laissé la mémoire dans un célèbre tableau. Et que dire de la Villa Kérylos, bâtie à Beaulieu-sur-Mer par Théodore Reinach et qui mêle la Grèce avec Pompéi, ou bien de la majestueuse villa construite plus récemment pour John Paul Getty à Malibu, sur le modèle explicite de la Villa des Papyrus d’Herculanum ?

Ce monde retrouvé fut même bien vite peuplé d’habitants. Les premiers en furent naturellement les héros de romans, telle l’Arria Marcella imaginée par Théophile Gautier. Vinrent ensuite les moulages des victimes de l’éruption, remodelés selon la méthode de Fiorelli. Ce fut enfin les fantasmes, telle cette Gradiva fantasmée par un récit de W. Jensen et dont Sigmund Freud nous a laissé une célèbre analyse psychanalytique.

Avec le temps, les archéologues ont appris à fouiller en détail la maison pompéienne – on pourrait dire, tout simplement, la maison romaine –, en distinguant les différents types de planimétrie, les époques de construction et les modes de décoration. Ils ont appris à classer toujours plus pertinemment les objets retrouvés en distinguant ceux d’origine locale de ceux qui étaient importés. Ils ont également su distinguer les différentes strates sociales de la population, même si une telle opération s’effectue il est vrai avec une plus grande difficulté : outre les citoyens, il s’agissait de dénombrer les affranchis, les esclaves qui ne laissent presque aucune trace mais qui étaient pourtant très nombreux, ou encore les femmes. C’est cette connaissance qui rend toujours plus intéressante la visite de Pompéi, celle d’Herculanum ou celle du musée de Naples, car elle nous mène au-delà du cliché souvent imposé par notre culture du tourisme de masse et qui fait trop facilement de Pompéi la ville de la jouissance et de la mort.

À un moment difficile pour la conservation de ces cités antiques, une exposition au Musée Maillol sur ce thème si important de la maison pompéienne vise à rappeler à l’Europe la dette que sa culture doit à Herculanum et à Pompéi en matière de savoir. Témoins uniques dans le monde antique, c’est fort justement que ces villes sont inscrites au patrimoine mondial de la culture de l’UNESCO. Tout autant que pour elles-mêmes, elles appartiennent à notre culture par les fouilles qui y ont été menées ces derniers siècles, et qui ont été constitutives aussi bien des méthodes archéologiques et du goût artistique qui sont les nôtres actuellement. La maison pompéienne est donc un double révélateur, à la fois de ce que nous étions il y a deux mille ans et de ce que nous sommes depuis deux siècles et demi.



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