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Jean Degottex |
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Dans l’exposition présentée aujourd’hui, le musée d’Evreux a choisi de
mener sa réflexion sur les charnières dans l’oeuvre de l’artiste. Ces
éléments clés sont nés de ses réflexions sur la peinture dans son écriture et
dans sa matérialité. C’est pourquoi l’exposition engage le spectateur dans
les différents chapitres que l’artiste a lui-même
définis à la fin de sa vie, et qui divisent son oeuvre selon les recherches et
aboutissements auxquels il est parvenu. Ces expériences théorisées dans ce
parcours, s’ajoutant les unes aux autres, nous font pénétrer dans les
problématiques de l’artiste.
1954 Découverte de la Bretagne.
Les oeuvres s’apparentent au mouvement de l’abstraction lyrique.
"Par cette première expérience (Tréompan), DANS LE MOTIF, la peinture pour moi, va retrouver, intuitivement sa véritable dimension : le mono-plan sans parachute et sans points de chutes…" Jean Degottex 1976.
Perception d’un mouvement naturel, rendu par le délié du poignet et la rapidité du geste. Il s’agit vite d’éléments du monde, élus annexés, privés de leur fonction.
« L’étendue des plages et l’infini de l’horizon océanique seront des incitateurs. Degottex interprète à l’encre de Chine et à l’aquarelle, en graphismes très libres, sur de grands papiers posés sur le sol, les choses vues de son environnement. Il note à leur propos : « formes ouvertes ». « A partir de là, l’espace devient l’une des données fondamentales de toute l’oeuvre. La notion du vide qui hante sa pensée, donne toute sa signification spirituelle à sa démarche ». Renée Beslon, 1991.
Au début de 1955, Jean Degottex expose un ensemble d’oeuvres récentes à la galerie « L’Étoile scellée ». Le catalogue est préfacé par Charles Estienne et par André Breton.
« Breton découvre chez Degottex, une voix pour l’automatisme en peinture : un mouvement rapide du pinceau qui, en même temps qu’il exprime l’âme intime du peintre, révèle non les choses qu’il observe mais leur esprit. Cette notion de rapidité du geste qui confond en un signe l’expression de sentiment de l’artiste et la vérité de l’objet observé, Breton l’emprunte, en fait, à un livre de E. Grosse, paru aux éditions Crès, Le lavis en Extrême Orient, l’une des toutes premières études parues en Occident sur la peinture Zen du VIIIe au XIIe siècle ». Jean Frémon, 1986.
Par l’entremise d’André Breton, Jean Degottex se trouve pour la première fois en contact avec la pensée orientale et les notions essentielles autour desquelles s’organisera alors sa peinture : les souffles vitaux, la prééminence du trait, le vide…
Cependant Degottex trace son chemin, solitaire. Il n’y a pas lieu de chercher à déterminer les influences.
1955 marque la rupture avec la couleur et le lyrisme abstrait au profit de l’expression du signe. Toute anecdote écartée, le signe vertical ou horizontal, au centre de la toile, réunit les énergies convergentes et devient méditation sur une surface peinte.
Le temps qu’il a fallu à l’artiste pour couvrir patiemment le fond, d’un geste égal, contenu, sans humeur, est le temps de l’entrée en soi-même : faire le vide, s’absorber entièrement dans un phénomène répétitif, quasi mécanique, préparation mentale et nerveuse à la phase ultérieure, l’inscription rapide sans remords ni détour, d’un grand geste, trace visible d’une impulsion longuement méditée.
Pendant ces années Degottex utilise souvent des mots japonais pour titrer ses tableaux : Hagakure: caché sous les feuilles ; Myo : nuance ; Furyu ancienneté ; Aware : émotion nostalgique.
Cette période se développe parallèlement à une plongée dans l’histoire de l’écriture. Réflexion à partir du Signe de 1956 sur le problème de l’Ecriture. Dans une étape ultérieure 1958-1959 l’interrogation se précise, le point d’impact sera la connexion signe-signifié dans l’écriture cursive occidentale en prenant un modèle simple le mot ROSE (la rose, le rose)
"Les variations graphiques de la « Suite Serto » ont comme point de départ un modèle de texte serto : littéralement « ligne d’écriture » à cause de son aspect linéaire, dû à l’habitude généralisée d’écrire de haut en bas." Jean Degottex 1976.
1959. Les dix huit Vides, il n’y a pas à proprement parler de vision avant le geste. "Ne pas trop tendre la toile dans la largeur, les lignes de tension doivent apparaître après la couche de préparation et la première couche de couleur, préparation des matériaux et entraînement progressif de l’effort, le rythme, la respiration, la marche." Jean Degottex
A l’occasion d’une exposition des Métasignes de même dimensions, exécutés en série, il écrit : "Les vides entre les toiles sont pour moi de beaucoup les plus significatifs. Un espace assez grand est laissé entre chaque Métasigne, le spectateur doit fixer spécialement son attention sur les espaces entre chaque Métasigne. Les distances entre chaque Métasigne sont sensées représenter le temps relativement court qui sépare l’exécution de chaque oeuvre…. On peut les qualifier de « vides » comme on dit « vide » dans un poème chinois les caractères signifiant une abstraction et « pleins » ceux signifiants un objet concret ; de même pleins et déliés dans l’écriture cursive de nos caractère occidentaux, le délié étant l’ouverture sur l’étendue." Jean Degottex 1976
L’écriture est clairement au coeur du travail de Jean Degottex. Il conserve la notion de ligne et ce qui se déploie dans ses Écritures (de 1958 à 1964), ressemble à une illisible lettre à la recherche de son sens. Peu à peu l’écriture se résorbe et la ligne seule subsiste.
La ligne d’écriture explore d’une part l’horizontalité qui contribue à abolir la posture d’autorité du geste vertical, d’autre part, l’espace de la page en ce qu’il réintroduit la pensée vide.
Degottex observe que les giclures d’encre qui jaillissent du pinceau en dehors du corps du signe lui-même sont certes des effets, les effets de la vigueur du geste, mais elles en sont aussi le signe, l’image, la figuration. Indices et discours, les giclures figurent la violence du geste. Visant à une plus grande abstraction, Degottex découpe alors le grand signe vertical dans la toile, il isole son contour, et il colle le signe découpé sur un panneau de bois. Détaché des conditions de son éclosion, le signe prend alors une autonomie matérielle.
Dans la série « Lignes-Reports », Degottex traçe sur l’envers de la toile ce qui doit surgir sur l’endroit : reliefs imperceptibles et rythmes, révélés par scarifications, pliages ou infiltration de la couleur de l’autre côté. La peinture triomphe toujours mais par abandon total de toute utilisation de la matière picturale. A la limite de la « non peinture » peut se trouver encore la « peinture».
Quelques années plus tard, il reprend et pousse plus loin la même réflexion avec la série Lignes-bois. Degottex scarifie la matière fraîche selon la ligne irrégulière d’un bois fendu.
Paradoxe d’une précarité absolue et d’une « beauté » démesurée. En reportant la vie du bois sur un support textile par l’intermédiaire d’une règle de châtaignier, il tente de neutraliser « la peinture ».
Degottex n’est jamais tenté de masquer les étapes d’un processus au profit du résultat. Il se promène dans le chaos naturel du monde. Il manipule, expérimente, réitère, cherchant l’écart, la différence, la surprise, la sensation d’être au monde parmi les choses, le droit d’y jouer sa propre musique.
1981-1984 : démolition de l’immeuble qui abritait l’atelier de Degottex, boulevard Saint-Jacques. Celui-ci observe les travaux et glane sur le chantier « objets » : éclat de bois, fragment de métal,… Alignées sur une étagère de l’atelier ces trouvailles sont actives.
A Gordes, il y a une décharge où il ramasse également des éléments improbables auxquels il fait livrer tous leurs sens. La brique regardée, manipulée en tous sens devient à la fois matrice lorsqu’il relève par frottage la trace de ses cannelures ; outil lorsqu’il s’en sert pour gauffrer la toile ; support lorsqu’il la recouvre de plâtre qu’il griffera, encore frais, d’incisions obliques ou de hachures parallèles comme les marques rituelles d’une cérémonie d’appropriation ; surface, lorsqu’il la baigne dans le bleu et la relève aussitôt ; sujet et objet lorsqu’il scie en oblique un coin qu’il décale et ré-assemble en plissant des baguettes de bois dans les parties creuses de la brique ; matière première lorsqu’il récupère la poudre de brique résultant du sciage et s’en sert comme pigment pour d’autres travaux sur papier ou toile qui prolongent les expériences menées sur l’objet et les rapportent à des supports plus conventionnels somme si dans ce long cheminement qui conduit la brique d’une décharge publique aux cimaises d’une galerie ou d’un musée, il avait fallu épuiser successivement toutes les possibilités, des plus élémentaires aux plus sophistiquées. L’épiderme des choses est à lui seul une écriture. N’est-ce pas le même signe matérialisé qui fend les bois en 1984-1986 ?
« J’ai besoin des objets, et des objets les plus banalisés, ceux qu’on ne
regarde plus, ceux qu’on ne veut plus voir». Jean Degottex.