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Boris Vian |
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BnF, ParisExposition du 18 octobre 2011 au 15 janvier 2012Parcours de l'exposition Boris Vian Article de référence : exposition Boris Vian Bnf
Boris Vian naît le 10 mars 1920 à Ville d’Avray. Tous les attributs d’une enfance heureuse sont rassemblés dès le berceau pour le jeune Boris. Ses parents, Yvonne et Paul Vian, doivent leur condition de rentier au père de Paul et vivent dans l’insouciance. Yvonne aime la musique et joue de la harpe et du piano. C’est à l’opéra de Moussorgski cher à sa mère que Boris doit son prénom qui lui vaudra plus tard nombre de remarques sur ses origines prétendument russes.
Peu conventionnel, attaché à sa liberté, Paul Vian transmet à ses quatre enfants, qui le considèrent un peu comme un grand frère, son mépris pour l’argent, l’armée et la religion. Un vent de liberté intellectuelle souffle sur la villa de la famille. Grands bourgeois cultivés, Paul et Yvonne donnent à leurs enfants le goût de la lecture et de la musique et leur enseignent la fantaisie et l’éclectisme. Après la crise de 1929, Paul Vian est contraint de trouver un travail. Il doit louer la propriété de Ville d’Avray et installe sa famille dans le logement du gardien. Alors que Boris a douze ans, on détecte chez lui un rhumatisme cardiaque comme un signe chronique de sa fragilité. Boris se souviendra, à l’âge adulte, de la fin du monde enchanté de son enfance et de l’atmosphère joyeuse qui continuera de régner chez les Vian malgré les difficultés. Dans les années qui précèdent la guerre, Boris se passionne pour le jazz : il commence la trompette à 14 ans, s’inscrit au Hot Club de France et monte avec ses frères et des amis des orchestres amateurs. Les parents aiment pouvoir encadrer leurs enfants et Paul Vian construit au fond du jardin une salle de bal qui leur permet d’inviter des amis tout en restant dans l’orbite familiale. Les frères Vian prennent l’habitude d’organiser des fêtes, les célèbres surprises-parties que l’on retrouvera dans certains romans de Boris Vian. Les jeux de langage, les échecs, la fabrication de maquettes d’avions sont autant d’activités qui occupent la famille Vian. Une éducation qui développe chez Boris le goût des jeux de mots. Les séances de « Bouts rimés » - composition de poèmes à partir de rimes imposées - sont évocatrices de cet état d’esprit. Boris Vian s’y exerce en famille, en compagnie des voisins, les Rostand. L’exposition présente des archives de ces poèmes, illustrés de dessins représentant les différents protagonistes de ces sessions poétiques. Très tôt, Boris Vian entreprend d’écrire en parallèle de ses études scientifiques. À 17 ans, Boris obtient son baccalauréat, puis intègre l’École centrale des arts et manufactures en septembre 1939, au moment de la déclaration de guerre. L’École se replie à Angoulême l’obligeant à quitter sa famille. Il revient pourtant régulièrement à Ville-d’Avray retrouver l’ambiance gaie et ludique de son enfance. Sa maladie cardiaque lui permet d’échapper au STO (Service du Travail obligatoire), contrairement à ses deux frères, réquisitionnés.
Dans la nuit du 22 au 23 novembre 1944, Paul Vian est tué, chez lui, dans des
circonstances jamais élucidées. Cet événement tragique signe la fin de l’insouciance.
La vie de Boris Vian change de cap durant l’été 1940. Grâce à son frère Alain, il fait la connaissance de Michelle Léglise et de Jacques Loustalot, connu sous le surnom de « Major, retour des Indes ». L’amitié se scelle vite et le Major devient l’inséparable et une source d’inspiration sans limites. Borgne, portant un oeil de verre avec lequel il ne cesse de jouer, il multiplie les fantaisies, que Boris relate et embellit : le Major est le héros de son premier roman, Vercoquin et le plancton. Boris Vian entre alors dans la vie adulte : Michelle et lui se fiancent en septembre 1940, puis se marient le 3 juillet 1941. En avril 1942, naît un petit garçon prénommé Patrick. Diplômé de Centrale en juillet de la même année, Boris est engagé comme ingénieur à l’Association Française de Normalisation (AFNOR). Tous les week-ends, il retrouve à Ville-d’Avray sa joyeuse bande d’amis à laquelle Michelle et le Major sont associés.
Boris se lance dès 1941 dans la poésie, utilisant la contrainte de la forme fixe pour s’exercer. Rédigée par jeu, avec pour seuls lecteurs les amis et la famille, une centaine de poèmes rassemblée sous le titre Cent sonnets voit ainsi le jour, accompagnée de dessins de Peter Gna (pseudonyme de Claude Léglise, frère de Michelle Vian). Le manuscrit autographe de ce recueil est exposé : on y trouve déjà une prolifération d’énumérations et des variations sur des proverbes, caractéristiques du style de Vian. Puis, après la rencontre avec Michelle et le Major, il se lance dans ses premières fictions. Conte de fées à l’usage des moyennes personnes, a été rédigé pour amuser sa femme qui devait subir une intervention chirurgicale en 1943. Calembours et citations déformées se succèdent, parfois avec exagération et une certaine maladresse. Trouble dans les Andains, probablement rédigé durant l’hiver 1942-1943, n’avait pas vocation à être publié, mais était plutôt destiné à amuser le petit cercle des amis. Ce premier roman, met en scène le Major, ainsi qu’un personnage ressemblant étrangement à l’auteur lui-même, Antioche Tambrétambre. Des personnages aux noms anagrammes de celui de l’auteur apparaissent également : le Baron Visi et le détective Brisavion. Les manuscrits de ces deux écrits de jeunesse sont présentés au public. Les jeux de langage y abondent, préfigurant les grands romans des années suivantes.
Dans l’effervescence de l’après–guerre, Boris Vian anime la nuit les clubs de Saint- Germain-des-Prés, joue de la trompette, guide les jazzmen venus des États-Unis. Le jour, il est ingénieur, d’abord à l’AFNOR (1942 à 1946), puis à l’Office professionnel des industries et des commerces du papier et du carton jusqu’en 1947, date à laquelle il démissionne pour se consacrer à l’écriture. En effet, à partir de 1946, Boris Vian se veut écrivain. Il fait la connaissance de Raymond Queneau qui est membre du comité de lecture des éditions Gallimard. Ce dernier l’incite à concourir pour le prix de la Pléiade qui récompense un roman non publié. Entre l’hiver 1945 et le printemps 1946, Vian écrit L’Écume des jours. Mais le prix est accordé à l’abbé Grosjean. Vian supporte mal cet échec. Pendant l’été 1946, il imagine une supercherie littéraire : il écrit J’irai cracher sur vos tombes, dans le style des romans noirs américains, qu’il signe du pseudonyme Vernon Sullivan, dont il prétend être le traducteur. L’ouvrage sort en librairie avant le premier roman signé Vian, Vercoquin et le plancton, et bien avant L’Écume des jours. Ce « double » qu’il vient d’inventer ne le laissera plus en paix. Entre 1945 et 1948, Boris Vian est un des rares auteurs à s’essayer au genre de la nouvelle. Le cadre resserré de l’intrigue, la nécessité d’une chute inattendue conviennent parfaitement à l’esprit de Boris Vian. Les Fourmis constitue le seul recueil de nouvelles de Vian paru de son vivant (éditions du Scorpion, 1949). Boris Vian fait ses débuts dans le monde des lettres en fréquentant le cercle réuni autour de Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. Ce dernier lui confie une chronique pour la revue Les Temps modernes. Il y bénéficiera d’une grande liberté. Le manuscrit autographe d’une chronique intitulée « Pour une rénovation des Temps modernes », témoigne du ton irrévérencieux et drôle de l’auteur : « Si l’on veut écrire n’importe quoi dans Les Temps modernes, on ne peut pas. Il faut du sérieux, du qui porte. De l’article de fond, du resucé, du concentré, du revendicatif, du dénonciateur d’abus [...] ».
Boris Vian est attiré par la littérature anglo-saxonne. Michelle lui enseigne l’anglais et il entreprend des traductions rémunérées, en collaboration avec sa femme, puis seul. En 1948, il traduit deux nouvelles de Richard Wright : Là-bas près de la rivière et Claire étoile du matin. En 1947 paraît sa première traduction de roman policier, Le Grand Horloger, de Kenneth Fearing, à la demande d’Hélène Bokanowski enthousiasmée par la pseudo-traduction de J’irai cracher sur vos tombes. Vian traduit par ailleurs de la science-fiction et des oeuvres littéraires plus classiques auquelles s’ajoutent quelques travaux alimentaires, ses écrits ne pouvant le faire vivre. La Série noire voit le jour en 1945, grâce à Marcel Duhamel qui s’entoure de traducteurs. Il ne fait pas appel à des universitaires, mais à des journalistes qui collent à la « langue parlée » : Boris Vian, Robert Scipion, Henri Robillot, Jacques-Laurent Bost… En 1948-1949, Boris Vian traduit trois titres pour la Série noire, la plupart en collaboration avec Michelle : La Dame du lac, puis Le Grand Sommeil et Les Femmes s’en balancent. Amateur de science-fiction, Vian a contribué à introduire ce genre en France. Outre Le Monde des A, de Van Vogt, il traduit plusieurs nouvelles, dont Le Labyrinthe, de Franck Robinson et Tout smouales étaient les Borogoves, de Lewis Padgett. Il participe aussi à un cycle de traductions de nouvelles de science-fiction dans France-Dimanche en 1952.
Un petit groupe se crée à Saint-Germain-des-Prés, devenu pendant l’Occupation un refuge pour intellectuels : on se réunit le jour dans les cafés, la nuit dans des caves pour y écouter des orchestres et danser. Dès 1946, un nouveau lieu émerge : le Tabou, rendez-vous des écrivains et des journalistes. Parmi les plus assidus, on trouve Juliette Gréco, Anne-Marie Cazalis, Marc Doelnitz, Alexandre Astruc et, bien sûr, Boris Vian. Les journaux à sensations s’emparent du phénomène : horaires décalés, vie débridée, tout est amplifié. Vian et ses amis se prêtent au jeu avec délices, organisant des soirées à thèmes parfois provocateurs. En juin 1948, la petite bande quitte le Tabou pour le Club Saint-Germain, plus vaste et moins humide. Boris Vian réduit son activité de musicien, mais continue à jouer un rôle d’organisateur. Il amène de grands jazzmen, qui font du Club un des hauts lieux du jazz, comme ce sera le cas en juillet 1948, lorsque Duke Ellington vient à Paris . Vers 1950 il abandonne peu à peu Saint-Germain-des-Prés : jouer de la trompette restreint son espérance de vie et la mésentente avec sa femme Michelle bouleverse son existence.
En 1946, Vian, encouragé par Raymond Queneau, s’essaie à la peinture pendant un mois pour préparer l’exposition d’oeuvres d’écrivains « Si vous savez écrire, vous savez dessiner », organisée par la NRF. Sur six tableaux réalisés, quatre sont exposés à la Galerie de la Pléiade et signés Bison Ravi, anagramme de Boris Vian. L’univers est étrange, proche de l’oeuvre en prose de l’auteur. Comme les romans, ces tableaux sont assortis d’un titre en décalage avec leur contenu : Passez vos vacances à Cannes, Ne passez pas vos vacances à Cannes, La découverte de l’orpiment, Petite suite en Egypte, Les Hommes de fer, L’Homme enchaîné. La BnF réunit pour la première fois les 6 tableaux peints pour l’occasion. L’année 1946 est une période de création intense. Vian met son univers en forme et en mots. La peinture représente un autre moyen d’expression, mais c’est surtout son avenir d’écrivain qui se joue en cette année charnière : Outre L’Écume des jours, Vian a écrit J’irai cracher sur vos tombes, et L’Automne à Pékin.
Décrivant la vengeance d’un Américain d’origine noire, mais blanc de peau, J’irai cracher sur vos tombes a été écrit d’un seul jet en quinze jours de vacances pendant l’été 1946. Le manuscrit, exposé, comporte peu de ratures. Vian y prend la défense des Noirs américains. L’ouvrage remporte un succès de scandale et l’invention de ce « double » lui permet financièrement de poursuivre deux oeuvres en parallèle : celle signée Vian et une autre signée Sullivan, plus sombre et distanciée. Outre le manuscrit, l’édition originale publiée aux éditions du Scorpion en 1946 est présentée dans l’exposition. En avril 1948, alors que le véritable rôle de Boris Vian dans la rédaction du livre est très largement soupçonné, paraît la version « originale », I shall spit on your graves. En réalité, elle a été exécutée par Vian aidé d’un ami américain, Milton Rosenthal, afin de donner une réalité au personnage fictif de Vernon Sullivan. Le Cartel d’action sociale et morale dépose plusieurs plaintes, et le 24 novembre 1948 Vian reconnaît être l’auteur, et non le traducteur, de l’ouvrage. Un procès lui est intenté et il est condamné à 100 000 francs d’amende pour outrage aux bonnes moeurs le 13 mai 1950, puis amnistié en appel. Pour l’adaptation du roman au théâtre en 1948, Boris Vian ne se cache plus derrière Sullivan. Il met l’accent sur la condition des Noirs américains, mais la pièce n’a guère de succès. Quant au film, après de multiples cessions de contrats, il finit par échapper à Vian. Un parfum de scandale ressort de l’adaptation, là où Vian voudrait approfondir le thème du racisme.
Le jazz est la première passion de Boris Vian. En 1939, il assiste au deuxième concert de Duke Ellington à Paris : c’est une révélation. La demi-mesure n’est alors pas la règle pour évoquer le maître : « Qu’Untel ou Untel soit un très grand musicien, d’accord… mais on a tant de fois crié au génie qu’il faut bien dire ici que le jazz n’en connaît qu’un bien petit nombre qui soient complets : le plus grand est sans conteste Duke Ellington ». Il admire aussi beaucoup Louis Armstrong, Dizzie Gillespie et Miles Davis. Bix Beiderbecke est un des rares musiciens de jazz blanc appréciés de Boris. Il prendra d’ailleurs grand plaisir à traduire un livre inspiré de la vie de ce trompettiste (Young Man with a horn de Dorothy Baker). Il emprunte par ailleurs à Beiderbecke certaines caractéristiques de son jeu – notamment le fait de tenir sa trompette sur le côté. Parmi les pièces exposées, outre le manuscrit de cette traduction (Le jeune homme à la trompette),des extraits sonores et de nombreuses photos illustrent ce pilier fondamental qu’est la musique dans la vie de Vian. À partir du printemps 1942, Boris Vian joue avec l’orchestre de Claude Abadie, participant à des tournois de jazz amateur. Cependant, dès 1947 il doit ménager son souffle et sur les conseils des médecins, il abandonne son instrument en 1951. Il écrit de nombreux articles sur le jazz, notamment dans La Gazette du jazz, Jazz News, Jazz magazine et Combat. Il contribue à la revue Jazz Hot, dont il tient bénévolement la revue de presse de décembre 1947 à juillet 1958. Contrairement à son oeuvre littéraire, ses chroniques de jazz sont reconnues pour leur érudition et deviennent des classiques du genre. Boris Vian est nommé rédacteur en chef de Jazz News et s’en donne à coeur joie, laissant libre cours à sa fantaisie : dans le n° 8 de la revue, une mention court en bas de toutes les pages, le sujet de la phrase changeant systématiquement : « le gérant de Jazz News décline toute responsabilité en ce qui concerne la teneur du présent numéro », « le directeur général de Jazz News décline… », « l’imprimeur décline.. », « le zouave du pont de l’Alma décline … ». Dans le n° 9, le sommaire est imprimé à l’envers. Des lecteurs s’insurgent, les abonnements diminuent et la revue cesse de paraître dès le n° 11. En 1955, afin de faire connaître les incontournables du jazz, il crée deux collections chez Philips : « Jazz pour tous », constituée de disques 33 tours, et « Petits jazz pour tous » en 45 tours. Cette musique imprègne même son oeuvre littéraire : dans L’Écume des jours, les grands musiciens des années 1940 sont omniprésents. La musique de Duke Ellington accompagne le déroulement de l’intrigue : Vian donne d’ailleurs à l’héroïne le prénom d’un morceau d’Ellington, Chloé. Les noms de rue évoquent également des jazzmen : rue Sidney Bechet, avenue Louis Armstrong…
Dès 1945, Gallimard publie Vercoquin et le plancton, grâce à l’entremise de Raymond Queneau. Ce dernier permet également la publication de L’Écume des jours. Le seul manuscrit du livre connu a été écrit presque d’un seul jet, sur des formulaires de l’AFNOR au verso desquels l’auteur s’est amusé à griffonner. Ce texte mêle conte de fée cruel, évocations de l’après-guerre et références au jazz. Vian conjugue ici ses deux passions, celle des mots et celle de la musique, avec une rare harmonie. Mais le titre se vend mal et le scandale de Sullivan entache la réputation de Vian : le jeune écrivain prometteur est devenu un trublion qui n’est pas pris au sérieux et ses autres romans sont refusés. Lorsque Queneau informe Vian de la réponse probablement négative pour la publication de L’Herbe rouge, il s’interroge : « sommes-nous tous un peu cons ? Ou bien n’as-tu pas fait ce que tu voulais faire ? L’histoire littéraire en jugera, comme dirait l’autre. ». Déçu, Vian fait paraître ses romans chez de petits éditeurs : en 1947, L’Automne à Pékin aux éditions du Scorpion ; en 1950, L’Herbe rouge aux éditions Toutain ; en 1953, L’Arrache-coeur aux éditions Vrille. Tous ces romans sortent dans l’indifférence générale. L’Automne à Pékin est cependant réédité aux éditions de Minuit grâce à Alain Robbe-Grillet en 1956. Il rencontre alors un succès d’estime chez certains critiques. Dans une lettre à Ursula, Vian évoque le refus de Gallimard de publier L’Arrache-coeur : « Ils veulent me tuer, tous. Je ne peux pas leur en vouloir, je sais que c’est difficile à lire ; mais c’est le fond qui leur paraît «fabriqué». C’est drôle, quand j’écris des blagues, ça a l’air sincère et quand j’écris pour de vrai, on croit que je blague… » Le style de Vian déconcerte les lecteurs. Il affectionne les énumérations aux sonorités étranges: « les oiseaux ordinaires, je les connais : il y a la pie, le fanfremouche et l’écubier, et le caillebotis, et puis la mouture, l’épervuche et l’amillequin [...]» (L’Automne à Pékin). Il crée un univers poétique et cruel, où le héros se sacrifie pour la femme aimée, mais tue froidement d’un coup de patin à glace (L’Écume des jours), où les vieux sont vendus en foire et les chevaux crucifiés (L’Arrache-coeur).
La création de Vernon Sullivan a tout d’abord été un jeu pour Boris Vian et l’éditeur Jean d’Halluin. La polémique ayant accru les tirages de J’irai cracher sur vos tombes, les deux complices continuent leur entreprise de mystification. Trois autres romans de Sullivan paraissent entre 1947 et 1950. Les Morts ont tous la même peau, en 1947, maintient le style du roman noir : rebondissements, style familier, violence et sexe. Et on tuera tous les affreux, en 1948, oscille entre policier et science-fiction. À la demande de France-Dimanche qui le sollicite pour un feuilleton, Vian se livre à une écriture fantaisiste et débridée. Au fil des épisodes, l’hebdomadaire exige des remaniements, et finit par suspendre le feuilleton. Vian termine son texte malgré tout, et le publie aux éditions du Scorpion. Les tirages des romans de Sullivan vont en diminuant, et le dernier, Elles se rendent pas compte, en 1950, se vend très mal. Vian cesse alors d’écrire ces pseudo-traductions. L’utilisation des pseudonymes est fréquente chez Vian : il signe articles et pochettes de disques Gédéon Molle, Michel Delaroche, Claude Varnier, Odile Legrillon, ou encore de l’anagramme Bison Ravi. Vernon Sullivan est pourtant le pseudonyme qui a le plus de conséquences : il vaut à Vian un grand succès qui lui permet de quitter son travail d’ingénieur pour se consacrer à l’écriture, mais aussi un procès et une réputation sulfureuse qui entravent la réception de son oeuvre.
Entre Michelle et Boris Vian, le malentendu s’installe au cours de l’année 1949. Leur mariage se délite et ils divorcent en septembre 1952. En juin 1950, Boris Vian rencontre lors d’un cocktail chez Gallimard une jeune danseuse d’origine suisse, Ursula Kübler, qui appartient aux ballets de Roland Petit. Ils emménagent ensemble en 1951. Ursula aide Boris à se remettre de ses échecs répétés dans le milieu de l’édition et à se lancer dans un nouvel univers de création : la chanson et la scène. Sa compagne l’incite à reprendre l’écriture : c’est grâce à elle qu’il termine L’Arrache-coeur.
Dans les années 1950, Vian se consacre au monde de la scène. Le théâtre de Boris Vian est très peu monté de son vivant. Certains de ses textes reflètent un univers à la fois drôle et cruel : c’est le cas de L’Équarrissage pour tous (1947), du Goûter des généraux (1951), des Bâtisseurs d’empire (1957), toutes pièces satiriques qui révèlent une vision personnelle du monde et dénoncent la guerre ou la bêtise. D’autres paraissent davantage des pièces de circonstances, comme J’irai cracher sur vos tombes (1948), ou Le Chevalier de neige, une commande de la ville de Caen (1953). Désillusion face à son échec d’écrivain, revanche ? Le théâtre intervient surtout dans la deuxième partie de la carrière de Vian, alors qu’il a, semble-t-il, renoncé au roman. Il aborde aussi l’univers du spectacle : des revues, des sketches sont montés aux Trois Baudets et à la Rose Rouge. Deux opéras, Le Chevalier de neige, avec une musique de Georges Delerue et Fiesta, avec Darius Milhaud, complètent les expériences de Boris Vian.
Les amis ont toujours été un élément essentiel de la vie de Boris Vian. Après un bref passage boulevard de Clichy, où il fait la connaissance d’Yves Gibeau, le jeune couple emménage cité Véron, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. L’appartement voisin est habité par Jacques Prévert, ami et complice en ’Pataphysique, avec qui Vian partage la terrasse. Prévert dédicace livres et collages, tel cet exemplaire exposé de La pluie et le beau temps sur lequel on peut lire : « A Boris Vian, en heureux voisinage». Queneau reste lui aussi un proche, tandis que le cercle des Vian s’élargit : les pataphysiciens, les amis du monde de la chanson, tels Jacques Canetti, Henri Salvador, Magali Noël. Vian continue à collaborer avec des proches : Christiane Alanore illustre Cantilènes en gelée et Jean Boullet Barnum’s digest. Les amis de Saint-Germain-des-Prés sont toujours présents : en 1957, Juliette Gréco réunit quelques amis autour d’elle pour une émission de télévision qui lui est consacrée et y invite Boris Vian. La même année, ce dernier écrit également le scénario du film La Joconde autour d’une idée de Jean Suyeux.
La représentation de L’Équarrissage pour tous a eu des conséquences inattendues pour Boris Vian : malgré le mauvais accueil de la critique, la pièce attire l’attention du Collège de ’Pataphysique, qui le nomme en 1952 « équarrisseur de première classe ». Dès le 11 mai 1953, il est nommé « satrape » et « promoteur insigne de l’ordre de la Grande Gidouille ». Tandis qu’il cesse d’écrire des romans, la ’Pataphysique lui ouvre un autre espace de création, où il peut laisser libre cours à son esprit inventif. Il collabore activement avec Emmanuel Peillet, le fondateur, pour le fonctionnement du Collège, puisant dans cette nouvelle activité énergie et enthousiasme. Il correspond par ailleurs régulièrement avec ses amis pataphysiciens. Parmi les écrits de ’Pataphysique nés sous la plume de Vian, le Mémoire concernant le calcul numérique de Dieu par des méthodes simples et fausses (1955) est le plus mathématique, ce qui ne l’empêche pas de mêler à la démonstration des jeux sur les mots ou l’étymologie « Dieux = Dux + i+ e […] Mais peut-on mélanger le français et le latin (oui, si on veut). ».
Boris Vian passe l’examen d’auteur-compositeur de la SACEM en 1951. Il entreprend une collaboration suivie avec des compositeurs. En 1954, avec le pianiste Jimmy Walter, il entre dans le métier de parolier : J’suis snob - dont le brouillon est exposé, On n’est pas là pour se faire engueuler, Les Joyeux Bouchers… À la fin de la même année, Vian rencontre Alain Goraguer : ils écrivent ensemble la Complainte du progrès, Je bois, La Java des bombes atomiques, morceaux tous enregistrés par Vian lui-même et promis à un grand succès. Enfin, l’amitié entre Boris Vian et Henri Salvador donne naissance à des chansons de styles très différents : humoristiques (Blouse du dentiste), rocks fantaisistes (Rock Hoquet), calypsos (Oh ! si y avait pas ton père…), chansons d’amour (T’es à peindre, Place Blanche). Magali Noël est une des interprètes préférées de Vian, connue notamment pour avoir chanté le célèbre Fais-moi mal, Johnny. Vian rédige, sous pseudonyme fantaisiste et transparent (« Jack K. Netty, traduit du broutzing par Boris Vian »), le dos de la pochette du disque : « Physiquement, [Magali Noël] tient ferme de ses ancêtres les Beauthorax et elle a hérité, en outre, de la branche Callipyge tous les signes extérieurs utiles. Du vieux Noël, elle a gardé un goût traditionnel pour l’ouvrage bien faite, et une énergie difficile à contrôler. » Boris Vian se désole du peu de succès de ses textes auprès des artistes de son temps et se voit proposer par Jacques Canetti de chanter lui-même. Relevant le défi, accompagné d’un orchestre dirigé par Jimmy Walter, il enregistre en avril 1955 huit de ses chansons, qui sont gravées en deux 45 tours chez Philips : Chansons possibles et Chansons impossibles. Ces disques, à l’époque, se vendent très mal. Boris Vian enregistre notamment sa version du Déserteur, interdite à la radio, mais que Mouloudji avait créée en public en 1954, en en atténuant le début et la fin (« Monsieur le président » devient « Messieurs qu’on nomme grands », et « Si vous me condamnez, prévenez vos gendarmes que j’emporte des armes et que je sais tirer » devient « Si vous me poursuivez, prévenez vos gendarmes que je n’aurai pas d’armes et qu’ils pourront tirer »). Boris Vian inscrit cette chanson à son tour de chant de 1955-1956 : créée au moment de la chute de Diên Biên Phu, et des insurrections algériennes, elle fait régulièrement scandale. La scène est pour lui une épreuve : il souffre du trac, transmet sa gêne aux spectateurs déconcertés par ses textes. Il sort épuisé de cette expérience. À partir de janvier 1957, Boris Vian est directeur artistique adjoint pour les variétés chez Philips. En 1958, il est nommé directeur artistique du label Fontana, filiale de Philips. Il y bénéficie d’une grande liberté. Le boute-en-train parfois incontrôlable s’exprime souvent, produisant des disques-canulars comme celui de l’Adjudant Caudry et ses troupiers comiques, ou Fredo Minablo et sa pizza musicale. Il en part en avril 1959 pour rejoindre la maison de son ami Eddie Barclay.
Gravement malade, Boris Vian sait que le temps lui est compté. Traductions, piges diverses qui le font vivre, responsabilités chez Philips, puis chez Fontana : il s’épuise alors à mener de front plusieurs vies, travaillant d’arrache-pied jour et nuit. Entre 1951 et 1953, Vian écrit les vingt-deux poèmes de Je voudrais pas crever qui seront édités de façon posthume en 1962 par Jean-Jacques Pauvert, à l’initiative d’Ursula Vian. Il fait preuve dans ces textes d’une liberté formelle qui les apparente plutôt à la chanson. Révolte, obsession de la mort, amour de la vie, du soleil, ironie devant la littérature… les thèmes sont variés mais l’unité de l’ensemble est frappante. Son «journal à rebrousse-poil», débuté en 1950, témoigne des regrets et de l’amertume de l’auteur. Angoissé par sa santé défaillante, il écrit : « Le temps, le temps, il me cavale au cul comme une charge de uhlans ; et le coeur qui me gêne. » (février 1952). Boris Vian imagine son propre enterrement. Dans un collage qu’il intitule « Les morts ont tous la même peau », il se représente dans un cercueil, tandis que Juliette Gréco, Jean- Paul Sartre et Jean Cocteau viennent lui rendre un dernier hommage. En 1959, il paraît las, épuisé. Le 23 juin 1959, après avoir hésité, il part assister à la projection du film J’irai cracher sur vos tombes, bien qu’il désapprouve l’adaptation de Michel Gast. Dès les premières minutes, il est pris d’un malaise cardiaque. Il meurt à 39 ans, lui qui avait souvent prédit qu’il partirait avant 40...
De son vivant, Vian a obtenu un succès davantage lié à sa réputation de trompettiste et d’auteur sulfureux, qu’à une reconnaissance de son oeuvre. Dans les années 1960, quelques amateurs révèlent au grand public ses multiples talents. Jean-Jacques Pauvert, Éric Losfeld et Christian Bourgois, notamment, rééditent les textes passés inaperçus quelques années plus tôt et publient des inédits. Leur travail est soutenu par le Collège de ’Pataphysique. Dès juin 1960, le Collège rend hommage à son « transcendant satrape » en lui consacrant l’un des Dossiers acénonètes du Collège de ’Pataphysique, et travaille à diverses publications posthumes : Zoneilles (1961), Le Goûter des généraux (1962), Le calcul numérique de Dieu (1977)… Noël Arnaud fait aussi paraître ses Vies parallèle de Boris Vian, biographie fondatrice régulièrement rééditée. Jean-Jacques Pauvert réédite L’Herbe rouge, L’Arrache-coeur et Les Lurettes fourrées. Puis, désireux de réunir l’oeuvre de Vian chez un seul éditeur, il négocie avec succès le rachat de L’Écume des jours. Trois ans plus tard, il ne pourra faire de même pour Vercoquin et le plancton : entre-temps, l’oeuvre a gagné la reconnaissance du public. En 1968, Charles Belmont adapte au cinéma L’Écume des jours avec Marie-France Pisier, Annie Buron, Jacques Perrin et Sami Frey. La même année sort le premier numéro du Magazine littéraire consacré à Boris Vian. Son théâtre est mis en scène dans les années 1970, y compris des pièces restées inédites de son vivant. On propose également au public des spectacles mêlant chansons, poèmes et textes divers. Enfin, la chanson permet au plus grand nombre d’accéder à l’oeuvre de Vian. Henri Salvador, Magali Noël et Marcel Mouloudji continuent après 1959 à chanter du Vian et de nouveaux interprètes s’imposent, tels Jacques Higelin et Serge Reggiani. Des artistes comme Serge Gainsbourg et Arthur H saluent le style corrosif de l’auteur et s’inscrivent dans son sillage.
Mort jeune et mal connu, Boris Vian s’impose aujourd’hui comme une référence en
de nombreux domaines. L’Écume des jours est devenu un classique de la littérature
française et Le Déserteur a fait le tour du monde. Il n’a finalement manqué à Boris
Vian qu’un peu de temps...
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