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Claude le Lorrain

Le dessinateur face à la nature

Musée du Louvre, Paris

Exposition du 21-04-2011 au 18-07-2011




Le Louvre présente une exposition consacrée à Claude le Lorrain. Croquis sur le vif, dessins préparatoires, grandes compositions de paysages à caractère religieux ou mythologique témoignent de l'oeuvre de ce peintre, dessinateur et graveur, reconnu comme l'un des plus grands maîtres du paysage. Sa vision poétique du paysage "classique" a fixé une norme pour ses nombreux imitateurs, non seulement en Europe mais aussi aux États-Unis.

Près de 30 ans après la dernière rétrospective organisée au Grand Palais, le musée du Louvre et le musée Teyler de Haarlem organisent ensemble une exposition rassemblant une centaine d’oeuvres - dont 80 dessins et une douzaine de chefs-d’oeuvre de la peinture - de Claude Gellée dit le Lorrain. Centrée sur son oeuvre dessiné, cette exposition réunit en effet deux collections d’art graphique qui se complètent à merveille et constituent une évocation très riche des cinquante années de la carrière de l’artiste. Peintre, dessinateur et graveur, Claude Gellée est reconnu de son vivant comme l’un des grands maîtres du paysage et son influence a été immense, jusqu’au début de l’impressionnisme et même au-delà. Sa vision sereine et intensément poétique du paysage « classique » conjugue la grandeur idéale d’un monde antique, rêvé, avec les impressions d’une nature saisie sur le vif. Claude Gellée a parfait ce genre en y apportant son don pour une peinture fine, lisse et extrêmement raffinée, et surtout une sensibilité extraordinaire pour les effets de lumière et les phénomènes de la nature.

claude le lorrain
Claude Gellée, dit le Lorrain (v.1604-1682), "Dessinateur devant la grotte de Neptune à Tivoli", Haarlem, musée Teyler, L 22 © Haarlem, Teylers Museum

Le musée Teyler conserve une série d’environ soixante-quinze dessins de l’artiste dont la majorité n’a été que rarement exposée. Ce fonds considérable est très riche en études faites dans la nature, aux environs de Rome, lors des premières décennies de l’activité de Claude Gellée. Outre les études de paysage, il rassemble des scènes historiques et religieuses, des vues topographiques, ainsi que des études de la figure humaine et d’animaux. On y trouve des feuilles d’une beauté et d’une vérité éclatantes. Dans certains cas, l’utilisation du lavis, alliée à une mise en page souvent inattendue, crée des effets quasiment abstraits.

La cinquantaine de dessins du Lorrain présente dans les collections du musée du Louvre se distingue de ceux du musée Teyler par des compositions plus abouties datant de la maturité de l’artiste. Le Cabinet des Dessins possède des ébauches ainsi que des feuilles méticuleusement dessinées, assimilables à des oeuvres à part entière. En complément, la Collection Edmond de Rothschild, conservée au département des Arts graphiques, compte quelques dessins du Lorrain ainsi que de très belles épreuves de ses estampes. Le fonds du Louvre est ainsi représentatif des différents genres pratiqués par l’artiste. Une douzaine d’importants tableaux du maître, prêtés par des musées français et étrangers, complète l’exposition, permettant de mieux cerner le rôle joué par l’étude dessinée dans l’oeuvre peint du Lorrain et surtout d’apprécier l’immense talent du peintre.



Le parcours de l’exposition se déploie au cours de sections chronologiques qui dévoilent combien Claude Gellée a créé un art du paysage qui a, à bien des égards, changé la façon dont nous percevons la nature. La réunion des collections du musée du Louvre et du musée Teyler permet en effet de couvrir l’intégralité de la longue carrière de ce dessinateur assidu et infatigable, dont la variété de l’oeuvre dessinée n’a d’égale que son éblouissante beauté. Les différentes catégories de dessin réalisées par l’artiste sont représentées : des études faites devant le motif aux croquis représentant des monuments de la Rome moderne, des rapides esquisses d’animaux et de figures aux grands dessins aboutis dans lesquels il élabora ses compositions religieuses ou mythologiques. La sélection regroupe également toutes les techniques pratiquées par le Lorrain : si la plume et le lavis étalé au pinceau reviennent souvent, parce qu’ils sont particulièrement adaptés à une utilisation en plein air, on trouve aussi le graphite, la pierre noire, la sanguine et, dans les grands dessins, des gouaches très travaillées. La sélection permet ainsi de suivre la démarche de l’artiste dans la préparation de ses chefs-d’oeuvre peints.

Né selon les sources soit en 1600, soit vers 1604/1605, Claude Gellée quitte sa Lorraine natale pour gagner l’Italie, comme pâtissier ou ornemaniste selon ses biographes. Probablement d’abord domestique, il devient l’assistant du peintre romain Agostino Tassi. Son talent est nourri par ses premières expériences romaines, au contact avec un cercle d’artistes, pour la plupart nordiques, installés comme lui à Rome et actifs comme peintres de paysages. Depuis la ville, il fait des excursions dans la Campagna pour y dessiner d’après le motif, souvent en compagnie d’autres peintres, parmi lesquels Herman Van Swanevelt, Pieter Van Laer et Nicolas Poussin. En témoigne un nombre impressionnant de magnifiques feuilles qui sont visiblement le fruit d’une observation directe de la nature, et qui offrent sans doute la meilleure approche pour apprécier à son juste niveau l’art de Claude Gellée. C’est pourquoi cette exposition est essentiellement consacrée à son oeuvre dessiné. S’il n’est pas révolutionnaire, au XVIIe siècle, de dessiner sur le vif, la pratique intense du Lorrain est une première. Ses contemporains, comme Joachim von Sandrart, ne lui trouvent cependant aucun don pour le dessin, déroutés par son trait audacieux, libre et jugé peu soigné. L’exposition débute par un regroupement d’études de paysage du Lorrain avec d’autres de la main de Paul Bril, Gottfried Wals, Bartholomeus Breenbergh. Cette confrontation inédite permet de comprendre aussi bien les liens qui unissaient tous ces artistes dans les années 1630 que la singularité de l’oeuvre du Lorrain, destiné à devenir le plus grand paysagiste de son temps.

Sa conception du paysage se concentre à ses débuts sur les scènes de genre et de la vie quotidienne. Il attire cependant rapidement l’attention des prélats de l’Eglise romaine et des princes. Dans les années 1635, sa carrière est lancée et il travaille aussi bien pour le pape que pour le roi d’Espagne. Ses commanditaires le poussent à s’initier à la peinture antique romaine mais aussi à l’art de Raphaël et des Bolonais, notamment Annibal Carrache, le premier à avoir perfectionné le paysage « classique ». Le Lorrain multiplie alors les sujets dits nobles comme les scènes bibliques ou mythologiques. Mais il ne modifie pas encore vraiment le caractère du paysage. C’est une décennie plus tard qu’il parvient à intérioriser pleinement l’aspect épique et héroïque de la nature. Alors que les figures n’étaient qu’une sorte d’alibi, elles vont peu à peu influencer la construction même du paysage, d’un point de vue presque architectural. Le paysage, pour le Lorrain, doit exprimer l’histoire qui se déroule en son sein, suggérer l’atmosphère et les sentiments. Cette approche, qui lui est entièrement propre, aura une influence considérable sur la perception de la nature en peinture au cours des XVIIIe et XIXe siècle.

Le triomphe du paysage idéalisé créé par l’artiste, pourtant dépourvu de culture classique mais qui mieux que tout autre a su exprimer la poésie d’une Arcadie nostalgique, se cristallise dans la série des grands tableaux des années 1640-1650 rassemblés dans l’exposition - dont Le Parnasse (Edimbourg, National Gallery of Scotland), la plus ample de ses compositions.

L’exposition reste axée sur le parti pris de la perception de l’artiste depuis l’exposition de 1983 au Grand-Palais. Mais on peut s’attendre à des résultats forts intéressants du rapprochement des oeuvres de Paris et d’Haarlem. Le rapprochement des deux fonds permet, pour la première fois, la juxtaposition d’oeuvres intimement liées, tel le Paysage avec fête champêtre de Haarlem avec le tableau du même titre du Louvre , dont le dessin est une étape préparatoire, ainsi que la gravure La Danse villageoise. La grande étude de figures, L’onction du jeune David par le prophète Samuel, du musée Teyler est préparatoire au tableau de Paris. Certains dessins des deux collections sont également liés : les deux versions, l’une l’image spéculaire de l’autre, du Paysage avec un berger couché sur une rive, ou les différentes rédactions du Repos de la Sainte Famille sur la fuite en Egypte. Dans d’autres cas, des rapports thématiques, techniques ou de style entre certains dessins de Haarlem et de Paris seront mis en évidence par le rapprochement des feuilles des deux collections. L’inclusion d’un certain nombre de peintures et de gravures aidera à clarifier le but dans lequel Claude exécuta ces dessins.

La question centrale demeure en effet celle du rôle des dessins dans l’oeuvre du Lorrain, et notamment ceux d’après nature. Marcel Röthlisberger, le plus grand des spécialistes de l’artiste, considérait qu’il s’agissait d’études utilisées directement ou indirectement dans les peintures. Aujourd’hui, la réflexion a évolué et les historiens de l’art tendent plutôt à penser que le paysage peint de Claude Gellée est une pure construction intellectuelle, dans laquelle ni le hasard ni le naturel n’avaient leur place. Les dessins réalisés sur le vif auraient plutôt été pour le Lorrain une réaction spontanée et libre devant la nature qu’il ne pouvait se permettre dans sa peinture. Pour preuve, aucune étude directe ne se retrouve dans ses tableaux, aucune étude préparatoire précise effectuée en plein air n’est connue. L’exposition à travers la réunion des dessins du Louvre et du musée Teyler a pour ambition d’offrir de nouveaux éléments à cette réflexion.



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