"Ce qui est beau pour moi est la capacité de l’être humain à réfléchir, penser, pouvoir faire travailler son cerveau. Penser ne produit pas de la "beauté" mais l’activité de la pensée est belle. Je veux montrer cela. Je veux lutter contre la réaction, le style, la mode. Je veux lutter pour ne pas laisser ce qui est beau à l’industrie du luxe, de la mode ou de la cosmétique." Thomas Hirschhorn
L'artiste suisse Thomas Hirschhorn naît à Berne le 16 mai 1957. L'oeuvre de Thomas Hirschhorn est empreinte de considérations sociales et politiques.
Thomas Hirschhorn fréquente l'Ecole des arts décoratifs de Zurich de 1978 à 1983, puis s'installe à Paris en 1984. Cherchant à mettre sa connaissance des arts graphiques au service d’une dimension politique et sociale, il travaille pour le collectif communiste de designers Grapus. En 1986, il abandonne cette
discipline pour se consacrer aux arts plastiques et notamment à la sculpture. La première exposition individuelle de Thomas Hirschhorn se déroule en 1986.
Depuis la fin des années 80, Hirschhorn crée des sculptures aussi précaires que gigantesques, voire spectaculaires. Vieux papiers, feuilles d'aluminium, cartons, scotch renforcé, sacs poubelles, journaux... Thomas Hirschhorn n’utilise que des matériaux de fortune issus de la vie courante pour réaliser ses collages et ses sculptures politiquement et socialement engagées. Il mêle des matériaux d’emballage avec ses propres textes et ceux d’autres auteurs, des visuels provenant de journaux et de revues, des petits avions fabriqués par lui-même, des montres, des circuits de trains électriques, etc. Les sculptures de Thomas Hirschhorn sont souvent des "monuments" dédiés à des personnes et à des penseurs qu'il admire, des hommages qui prennent la forme d’autels commémoratifs.
Les oeuvres de Thomas Hirschhorn nécessitent parfois la participation de la population locale. La position de l'artiste est celle d’un philosophe qui rêve de justice sociale et n’hésite pas à faire intervenir son public. Thomas Hirschhorn milite ainsi en faveur de davantage de justice et d'égalité.
L'oeuvre de Thomas Hirschhorn est traversée par les questions, les contradictions, les scandales et les grands maux de la societé contemporaine, une société marquée par la mondialisation. Ses oeuvres évoquent le thème de l'exclusion et engendrent une réflexion sur la démocratie et la condition humaine en général.
Les installations de Thomas Hirschhorn lui valent la reconnaissance du milieu artistique dès les années 1990.
Hirschhorn expose ainsi à Paris, Munich, Berlin, Londres, Francfort, Bilbao, Venise, Lucerne, Berne, Fribourg, Genève, Saint-Gall...
En 2000, Thomas Hirschhorn reçoit le Prix Marcel Duchamp et en 2004 le Prix de la Fondation Beuys.
"Je dépense toute mon énergie à lutter contre la qualité de l’oeuvre. Il ne faut pas viser
l’amélioration, mais la dégradation. Il ne faut pas être mieux, il faut toujours être moins bien."
Thomas Hirschhorn
2007-2008 : "Thomas Hirschhorn : Jumbo Spoons and Big Cake" - Musée d’art contemporain de Montréal
"Jumbo Spoons and Big Cake" est une installation monumentale d’environ 17 mètres par 12
mètres qui pourrait ressembler à première vue à un centre de documentation sens dessus
dessous (documents et livres enchaînés, empilement d’archives et de photographies...) si ce
n’était la présence incongrue, au centre, d’un gigantesque gâteau et de 12 cuillères qui la
ceinturent. Sur le modèle des cuillères "souvenirs touristiques", elles sont ici l’emblème
d’individus ou d’entités que Thomas Hirschhorn associe à des utopies qui ont failli : Mies van der Rohe,
Rosa Luxemburg, Malevitch, Nietzsche, Venise, la Chine, la lune, les fusils, la mode, l’exposition
d’art dégénéré organisée par les Nazis en 1937, les montres suisses Rolex et l’équipe de
basket-ball des Chicago Bulls.
Thomas Hirschhorn propose ici un espace de réflexion et d’engagement face aux enjeux de la société contemporaine, à la surabondance d’informations, à l’état du monde et à l’urgente question de la faim dans le monde.
2007 :
Galerie Chantal Crousel, Paris
Stephen Friedman Gallery, Londres
Arndt & Partner, Berlin
2006 :
Galerie Alfonso Artiaco, Naples
Museu Serralves, Porto
Le Creux de l’Enfer, Thiers
Gladstone Gallery, New York
CCAC, Wattis Institute, San Francisco
Skulptur Sortier Station, 1997
Collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne
Installée du 29 avril au 29 juin 2001,
sous l’arche du métro aérien, station Stalingrad
"Ce travail appartient au Centre Pompidou mais Skulptur Sortier Station est
autonome du Centre. C'est comme un petit centre lui-même. Une station dans
l'espace. Un satellite. Avec sa propre énergie, sa propre zone de rayonnement
(...) Programmé, déterminé, mais libre et détaché. C'est pour cela que
ce travail n'a pas besoin pour exister de la présence matérielle ou visuelle du
Centre. L'intérêt est justement de créer un lien d'idées, un projet de réflexion
avec le Centre et l'art qui y est représenté. Plus loin Skulptur Sortier Station est
installé, plus fort sera ce lien."
Thomas Hirschhorn, lettre à Alison M. Gingeras, 10 mars 2000
Après de multiples interventions dans différents espaces privés et publics
allant de l’extérieur des boutiques de luxe au marché aux puces, Thomas Hirschhorn décide
de pousser plus loin encore son engagement en intervenant de façon radicale
dans l’espace urbain. Skulptur Sortier Station fut ainsi réalisée pour le Skulptur
Projekt de la Ville de Münster en 1997 et reçut un accueil enthousiaste de la
scène artistique internationale.
Skulptur Sortier Station est entrée
dans les collections du Centre Pompidou en 1999. Elle se compose de 10
vitrines (hauteur de 2,50m sur une emprise au sol de 10 x 3m50), conçues par
l’artiste avec les matériaux qui lui sont propres : bois, carton, plexiglas, rubans
adhésifs, feuilles d’aluminium.
Dans ces vitrines à l’éclairage volontairement saturé, Thomas Hirschhorn expose
un foisonnement de ce qu’il appelle des "prétextes de sculptures" : coupes
sportives réalisées en deux dimensions, logos géants de marques de luxe
(fabriqués manuellement en papier aluminium), prix fictifs Robert Walser et
Emmanuel Bove, construction de carton et ruban adhésif d’après une sculpture
de Rudolf Haizmann présentée dans l’exposition l’Art dégénéré pendant
le Troisième Reich, énormes larmes rouges et bleues coulant des yeux d’une
jeune fille sur des écrans de télévision, moniteurs vidéo pour un hommage
au sculpteur déporté Otto Freundlich, ainsi qu’une parodie faite de boîtes
de cigarettes de la Colonne sans fin de Brancusi et une maquette d’architecture d’un virtuel espace d’exposition.
L’ensemble des objets et images rassemblés dans les 10 vitrines
constituent une tentative de "trier" l’histoire récente de la sculpture moderne
et contemporaine. Skulptur Sortier Station (en français, "station où trier
la sculpture") se veut un commentaire violent mais également humoristique
sur les possibles conditions de réalisation d’une pratique artistique engagée.
Aussi s’adresse-t-elle aux sujets propres à toute sculpture contemporaine faisant
face à la multiplication d’objets de consommation de notre société actuelle.
Elle témoigne également de la difficulté de concevoir un prolongement des
modèles des avant-gardes historiques dès lors que ceux-ci ont eu à faire face
aux totalitarismes du vingtième siècle.
La confrontation de ce passé somme toute récent avec les conditions
socio-économiques d’aujourd’hui souligne pour Thomas Hirschhorn la grande
importance de mobiliser le public autour de notre mémoire collective pour
continuer de lutter contre toute forme d’oppression et d’aliénation. Hirschhorn
situe ainsi son projet dans la rue, entre une histoire de l’art dont il célèbre
volontiers l’héroïsme et l’indexation émue des gestes et rituels les plus anodins
de nous tous.
On sait que la plupart des projets conçus en extérieur par Thomas Hirschhorn
n’ont que peu subi l’agression du public. Il semble, au contraire, qu’à la différence
de nombre d’oeuvres présentées à l’intérieur d’un musée, ils aient été
pris en charge par la rue qui y retrouve des préoccupations comme des formes
dans lesquelles les gens se reconnaissent. Loin d’être un travail moqueur
ou caricatural, le projet de Hirschhorn prend ainsi la forme d’une confrontation
entre les utopies les plus extrêmes des avant-gardes et notre société
contemporaine à laquelle il s’adresse.
Cette présentation temporaire témoigne de l’implication du Centre Pompidou
dans le même engagement social et politique que celui de l’artiste.
Skupltur Sortier Station est une oeuvre qui conduira le passant à méditer sur le statut
des plus démunis et sur le rôle éducatif et moral d’une institution artistique
allant ici à la rencontre des gens encore trop mal initiés aux différents messages
de l’art d’aujourd’hui.
Thomas Hirschhorn, en concertation avec l’équipe du Centre Pompidou, a cherché pendant
plusieurs mois le lieu approprié pour la présentation de Skulptur Sortier Station.
La proposition d’installer l’oeuvre sous l’arche du métro aérien à la station
Stalingrad, entre les 10e et 19e arrondissements, vers la périphérie de la ville,
témoigne du parti pris commun de l’artiste et des différents organismes
impliqués dans sa réalisation.
Selon l’artiste, l'emplacement se doit d’être un endroit où les gens se retrouvent
pour autre chose que pour découvrir une oeuvre d'art, un endroit où jeter sa
poubelle, téléphoner dans une cabine, attendre le bus, prendre le métro, retirer
de l'argent sont autant de gestes ordinaires de notre quotidien.
Mais Hirschhorn veut aussi que le public habituel de l’art contemporain vienne
ici à la rencontre de son travail et le découvre dans un contexte autre que celui
auquel il est habitué...
"L'endroit de l'emplacement pour Skulptur Sortier Station doit être choisi avec
la volonté de ne pas céder à la facilité (d'accès), à la peur (de la destruction,
violation) ou à d'autres tentatives "bourgeoises" (place stratégique, endroit
à la mode). Il faut que, par rapport à la ville, et comme ce travail soit un travail
pour la ville, l'endroit [choisi] soit un "non-lieu". Sans histoire connue, sans
importance, sans intérêt. Il faut que cet endroit permette d'inclure la marge,
la périphérie. Il faut que cet endroit ne donne pas de réponses aux forces
du centre qui font impitoyablement éjecter les marges. Je veux que cet endroit
puisse inclure la marge, la périphérie. Les choses non-contrôlables, inattendues.
Je veux que ce travail résiste à un urbanisme fonctionnalisé et néanmoins
sélectif (...) Le travail a comme seule "défense" possible sa justesse de son
appropriation même donc sans provocations, mais aussi sans complaisance.
Cet endroit juste est à trouver et je suis sûr qu'il y en a plusieurs dans une
ville comme Paris"
Thomas Hirschhorn, lettre à Alison M. Gingeras, 10 mars 2000