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Théodore Géricault |
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Biographie Théodore GéricaultThéodore Géricault, "La monomane du jeu"
l’enfant terrible du romantisme français par Bruno Chenique Docteur en Histoire de l’art, Président de l’Association des Amis de Géricault - in Dossier de presse "Géricault, la folie d’un monde", Musée des Beaux-Arts de Lyon. Théodore Géricault naît à Rouen le 26 septembre 1791. Ses parents, Georges-Nicolas Géricault (1743-1826), avocat, et Louise-Jeanne-Marie Caruel (1753-1808) s’étaient mariés aux âges respectifs de 47 et de 38 ans. Dans les années qui suivirent la chute de Robespierre, vers 1795-1796, la famille Géricault et la grand-mère maternelle du jeune Théodore quittent Rouen pour s’installer à Paris. Son père s’associe aux Robillard et à son beau-frère Jean-Baptiste Caruel, propriétaires d’une manufacture de tabac. Le jeune Théodore est alors mis en pension chez Dubois et Loiseau, les directeurs d’une institution récente, située dans le faubourg Saint-Germain. Après un court passage au Collège Stanislas, Géricault est inscrit au Lycée Impérial (l’actuel Lycée Louis-le-Grand) en octobre 1806. Pendant sa scolarité, il est le pensionnaire de René Castel, professeur de rhétorique au Lycée Impérial. La mère de Géricault meurt à l’âge de 55 ans, le 15 mars 1808. Il héritera de sa fortune. Géricault quitte le Lycée Impérial et commence à fréquenter secrètement l’atelier de Carle Vernet, peintre d’histoire et de batailles. Officiellement, son oncle Jean-Baptiste Caruel l’emploie comme apprenti comptable à la manufacture de tabac familiale. Le cheval semble alors son unique passion. Fin 1810, début 1811 ses ambitions artistiques reconnues, il entre dans le tout nouvel atelier de Pierre Guérin, grand Prix de Rome, un peintre très en vogue depuis le succès de son Marcus Sextus (Salon de 1799, musée du Louvre) – une toile illustrant symboliquement les malheurs de l’émigration nobiliaire. Dans cet atelier – en concurrence ouverte avec celui de Jacques-Louis David – Géricault fait la connaissance de Champmartin, Cogniet, Dedreux-Dorcy, Musigny, Ary et Henri Scheffer qui tous seront plus ou moins affiliés au mouvement romantique. Plus tard, en 1815-1816, il y rencontrera le jeune Eugène Delacroix. Il fréquente encore assidûment le musée du Louvre, un musée qui s’enrichit régulièrement grâce aux spoliations d’oeuvres d’art provenant des pays conquis par Napoléon. En 1811, Géricault en est momentanément exclu « pour s’y être conduit d’une manière scandaleuse ». Guérin plaide la cause de son élève auprès de Denon (directeur du musée) et obtient la levée de la sanction. Selon la tradition le maître (classique) et le jeune élève turbulent (romantique) ne s’entendaient pas. De nouveaux documents sont venus démentir cette légende tardive, créée de toute pièce dans les années 1830-1840. En toute logique, l’élève de Guérin semble avoir voulu s’essayer aux épreuves du Grand Prix de Rome. Son obtention est alors presque indispensable à toute carrière de peintre d’histoire : il donne droit au célèbre séjour à la Villa Médicis et, plus tard, aux commandes de l’Etat. Géricault ne dépasse pas la première des trois épreuves (mars 1812). L’échec est complet pour cet élève rebelle de Guérin dont les qualités de dessinateur et de peintre sont déjà à l’opposé des critères du beau idéal unanimement acceptés et pratiqués. Le décès de sa grand-mère Caruel (le 10 avril) et l’héritage de ses biens lui assurent une totale indépendance financière. Une indépendance dont on peut croire qu’elle ne fera qu’encourager ou exacerber son indépendance esthétique. Travailleur forcené, il acquiert et développe une originalité picturale (touches apparentes, cadrages, choix des sujets) qui semble aller de pair avec une violente susceptibilité. Le 23 mai 1812, Denon prévient Guérin qu’il vient cette fois-ci « d’interdire pour toujours l’entrée du Musée » à son élève, « Mr. Jerico » qui a invectivé et frappé un jeune étudiant dans la grande galerie du Louvre. Le malheureux jeune homme aurait-il osé critiquer l’une des copies si personnelle que Géricault était en train d’exécuter ?
Théodore Géricault, "Le Radeau de la Méduse " Le temps étant sans doute enfin venu pour lui de commencer sa carrière officielle, Géricault, à la fin de l’été 1812, loue un atelier provisoire sur le boulevard Montmartre pour y peindre la toile qu’il a l’intention de présenter au futur Salon. Le 1er novembre, date le l’ouverture, il y expose un Portrait équestre de M. D*** [Alexandre Dieudonné] (2, 92 x 1, 94 m. L’actuel Officier de chasseurs conservé au musée du Louvre). Géricault a 21 ans. L’accueil des critiques d’art est des plus favorables : « au reste, écrit l’un d’eux, il est difficile de débuter plus brillamment ». Certains s’avouent quand même étonnés de la vigueur de la touche, tandis qu’un autre remarque que son cheval, tel ceux du cirque Franconi, est véritablement disloqué (ce qui est parfaitement vrai). Selon le témoignage tardif de Théodore Lebrun (un ami de Géricault), Louis David aurait remarqué cette toile si novatrice. A la fin du Salon et sur proposition de Vivant Denon, Géricault reçoit une médaille d’or pour son portrait équestre à l’exécution « pleine d’enthousiasme ». Si le directeur du Louvre a parfaitement défini – en termes plastiques – l’énergie qui se dégage cette toile monumentale il faut attendre la lecture perspicace de l’historien Jules Michelet (dans son Journal en date du 20 juillet 1840), pour que l’on reconnaisse enfin le droit à cette peinture d’être autre chose qu’une stupide apologie guerrière. Ce cavalier est « tout bonnement un homme », dont la posture et le visage « tanné par la guerre » stipulent qu’il est « mort déjà plusieurs fois ». Il se retourne et fait face au spectateur, instaurant par là même un dialogue obligatoire. Les phrases de Michelet : « Il se tourne vers nous et pense ? Cette fois, c’est probablement pour mourir... Pourquoi pas ? » attestent que l’historien a saisi le message extrêmement subtil régissant toute la composition. La méditation de Dieudonné, ajoute encore Régis Michel, « vaut critique de la guerre ». Une guerre que Géricault a déjà refusé en se dérobant à la conscription obligatoire grâce à l’achat d’un remplaçant (décédé en lieu et place du jeune artiste le 14 février 1812, lors de la campagne de Russie). Géricault, à sa manière, lance donc un défi à cet Empire cannibale en exposant un homme de la plèbe (véritable anti-héros), seul au milieu de la guerre et dans un format inhabituel (selon les critères de la peinture d’histoire). Ironie tragique de l’histoire, Dieudonné devait également mourir de ses blessures alors que son portrait équestre trônait au Salon. La mort à laquelle il semblait songer – tel le cavalier de l’Apocalypse – l’avait rattrapé sur le champ de bataille européen. La toile de Géricault devint ainsi un véritable portrait funèbre.
Théodore Géricault, "Le Chasseur de la Garde"
Un an plus tard, Géricault père et fils emménagent au 23 de la rue des Martyrs, dans un quartier en marge de la capitale qui, dix ans plus tard, prendra le nom de la Nouvelle Athènes. En 1815, son ami le peintre Horace Vernet viendra s’installer au n° 11 de la même rue (en 1817, ce sera le tour de la famille Bro avec laquelle l’artiste établira des liens d’amitié). L’installation rue des Martyrs (il y possède enfin un petit atelier) coïncide avec sa première commande officielle. Fin 1813 - début 1814, après plusieurs défaites annonciatrices de la chute de l’Empire, Napoléon manifeste sa volonté de maintenir une politique artistique ambitieuse qui puisse soutenir ses efforts de propagande. Denon lui propose alors une série de sujets confiés à 45 artistes. Bénéficiant de son succès du Salon de 1812, Géricault est retenu pour un tableau de 4.000 francs représentant « Le Prince Vice Roi à l’armée de Russie délivrant un de ses aides de camp Polonais surpris par des cosaques ». En d’autres termes le Prince Eugène de Beauharnais (1781-1824), fils adoptif de Napoléon, vice-roi d’Italie depuis 1805, héritier présomptif de l’Empire jusqu’à la naissance du Roi de Rome. Malgré le peu de temps alloué, la toile de Géricault et celles de ses collègues doivent figurer au futur Salon de 1814. Mais ce délai « à peine suffisant » allait vite devenir inutile. Dès le 2 avril 1814, date de la destitution de Napoléon par le Sénat, il doit sembler évident à la plupart des artistes sollicités qu’il est vain de poursuivre leurs travaux. Preuve que Géricault s’y était pourtant attelé, on ne dénombre pas moins d’une soixantaine d’études préparatoires pour cette toile qui, le 3 mai suivant, avec l’entrée à Paris de Louis XVIII n’était vraiment plus d’actualité...
L’incroyable nouveauté de Géricault – pour ne pas dire son culot – ne peut être compris si l’on fait l’économie d’une plongée dans le contexte artistico-politique du moment. Dans son ensemble les critiques de 1814, avec plus ou moins de bonne foi, célèbrent tout d’abord l’abandon des tableaux de batailles, ces « grandes scènes de carnage ». Plusieurs se réjouissent enfin du retour aux sujets tirés de la mythologie et de « l’auguste religion ». Le retour à « l’amour de l’antique » (Géricault en est loin) apparaît alors comme une solution aux excès des glorifications militaires du gouvernement précédent. A l’évidence, le changement de régime donne une nouvelle impulsion aux préceptes du beau idéal et engendre de nouveaux enjeux esthétiques. La farouche opposition à ce retour forcé du néoclassicisme allait se manifester lors des Salons romantiques de 1824 et de 1827. En 1814, les choix politiques et esthétiques de Géricault préfigurent déjà ce mouvement, ou si l’on préfère cette révolte générale, dont les principaux acteurs, nous l’avons dit, sont pour la plupart des élèves de Guérin. En exposant dans un format monumental deux militaires anonymes de cet Empire défunt et honnis, Géricault ne risquait-il pas une totale incompréhension ? De fait, c’est bien ce qui arriva. Si plusieurs critiques remarquent les deux toiles la plupart se montrent totalement déconcertés. S’attachant à la forme, Durdent (dans la Gazette de France) fustige le cheval du Cuirassier blessé, un cheval monstrueux « sans aucun ensemble » (le rendu de la croupe est en effet une négation de la perspective et de l’anatomie). Quand à l’analyse du sens, personne ne s’y risqua ! Là encore il faut attendre Michelet et son cours du 13 janvier 1848. L’historien y vit « l’épitaphe du soldat de 1814 », autrement dit la mort de l’Empire. Michelet insista encore sur l’humanité souffrante du « cavalier démonté, le cuirassier, ce bon géant, si pâle, géant, géant de taille, et pourtant si homme, et si touchant ». L’absence d’une blessure physique (annoncé dans le titre même) vient encore renforcer la portée allégorique de l’oeuvre. La blessure, bien évidemment, est une blessure morale, que renforce encore les yeux levés au ciel par ce géant habité par un noir désespoir. En soulignant l’humanité souffrante de ce soldat Michelet brisait en fait le mythe de la soldatesque héroïque. Sous le Second Empire, Charles Clément apporta un démenti formel. Géricault n’était pas un « penseur » (encore moins un peintre d’histoire), il ne pouvait donc avoir songé à tous ce que voulait comprendre Michelet. Et Clément d’affirmer haut et fort qu’il ne pouvait y avoir « de parti pris » et « d’intention à priori ». Le démenti de Clément suscita – et suscite encore de nos jours – une totale approbation de plusieurs de ses biographes. En 1879, deux des plus réactionnaires, Barbey d’Aurevilly et Henry Houssaye, fustigèrent Michelet et l’accusèrent purement et simplement de délire. Michelet avait pourtant trouvé une clef fondamentale – mais encore totalement négligée – pour l’analyse des oeuvres de Géricault, à savoir le nationalisme. Un nationalisme encore vierge du chauvinisme revanchard qui caractérise, à la même époque, les oeuvres d’Horace Vernet ou de Charlet. Cette clef du nationalisme a l’immense avantage de donner un sens beaucoup moins frivole à son engagement dans la Garde nationale et dans le corps des Mousquetaires (que l’on met naturellement sur le compte de son amour des chevaux et sur le prestige de l’uniforme...). Son Cuirassier blessé, élaboré en 1814 pour former la partie d’un diptyque (ou d’un triptyque), acquiert donc tout son sens quand on accepte de l’envisager comme une peinture d’histoire faite par un peintre d’histoire, et non un simple portrait équestre exécuté par peintre du cheval. Le triste destin du Cuirassier blessé annonce encore (avec quatre mois d’avance) celui qu’allait vivre Géricault pendant les Cent Jours. Accompagnant Louis XVIII dans sa fuite vers le nord de la France (19-20 mars 1815), le rutilant Mousquetaire allait connaître les affres de la boue et partager pendant quelques jours la vie d’un soldat de piétaille (c’est le thème du roman d’Aragon, La Semaine Sainte, publiée en 1958). Peu après il allait être licencié par le roi et banni de Paris par Napoléon. On s’est beaucoup étonné du choix de Géricault, car rien ne l’obligeait à suivre la Maison militaire du roi dans cet exil peu glorieux. En fait il était simplement logique avec lui-même et l’idée qu’il venait de peindre : la très subtile exaltation d’un sentiment national, blessé. Un an jour pour jour après la fameuse débâcle de la Maison du Roi suscitée par retour de l’Empereur, Géricault participe au concours du prix de Rome (18-23 mars 1816). Plus chanceux qu’en 1812 il accède à la deuxième des trois épreuves. Comme on pouvait s’y attendre il échoue. Cette volonté de se confronter au prix de Rome n’a cessé d’intriguer ses biographes. En pleine possession de ses moyens, rebelle à l’esthétique dominante, Géricault a-t-il la naïveté de croire que les professeurs de l’Ecole des Beaux-Arts (sous-entendu l’Académie des Beaux-Arts) peuvent reconnaître en lui un peintre talentueux susceptible d’incarner la difficile équation du statu quo (la régénération néoclassique incarnée par David) et celle du progrès des arts (risquant, à tout moment, de nier ou de dépasser l’esthétique dominante) ? Géricault, dans ces années 1815-1816 s’est-il vraiment fait violence pour devenir un artiste moyen, imbibé du beau idéal, susceptible de rentrer dans le rang ? C’est l’hypothèse que défend depuis longtemps Lorenz Eitner. Ne pourrait-on pas plutôt avancer que Géricault avait en fait une furieuse envie de connaître la patrie des arts et qu’il devenait urgent – parvenu au stade de son évolution esthétique – de s’y confronter. L’Italie, outre le dépaysement, lui permettrait sans nul doute de renouveler ses centres d’intérêt. C’était peut-être aussi le moyen d’oublier les frasques napoléonienne mais aussi et surtout – c’est l’hypothèse d’Aragon – d’oublier le second retour des Bourbons qui, à la différence de celui de 1814, n’incarnait plus ni la paix ni la réconciliation entre les deux fractions ennemies de la population française. Ne pouvant partir en Italie aux frais du gouvernement, Géricault ne renonce pas pour autant à son périple. Il part de Paris à la fin septembre 1816 et passe par Genève où il fixe son programme à son ami et confident Dedreux-Dorcy: « Si vous voyez aussi Mr Guérin il me serait agréable d’être rappelé par vous à son souvenir. [...] je veux avec mon maître parler plus noblement, lui parler des Romains et non de moi, et lui presenter enfin un Style et des Récits qui soient dignes de l’intéresser ». Ce passage – encore inédit il y a peu – est essentiel a plus d’un titre. Faut-il aller dans le sens d’Eitner et croire qu’il avait effectivement décidé de se mettre au diapason et de suivre docilement l’enseignement de Guérin ? L’expression si déférente et scolaire : « lui presenter enfin un Style et des Récits qui soient dignes de l’intéresser » pourrait le laisser croire mais atteste avant toute chose une parfaite conscience de la route novatrice qu’il avait tracée avec ses tableaux de 1812 et de 1814. Ecrite loin de la « terre sacrée », Géricault n’a pas encore succombé au choc que seront pour lui le face à face avec Florence et Rome, Michel-Ange et Raphaël. En fait le style et les récits qu’il inventera en Italie renouvelleront totalement son approche picturale et seront surtout aux antipodes de l’Antiquité prônée par les antiquaires du néoclassicisme. S’il s’avérait exacte que Géricault ait caressé la folle illusion de rentrer dans le rang, force et de constater que ce fut un total échec. Sa vision de l’Antiquité n’a rien a voir avec la grandeur calme. C’est une explosion d’énergie qui trouve sa source dans des sujets qui sont à proprement parler (selon la hiérarchie des genres) des non-sujets : rapt, viol, scène de décapitation, paysans, brigands, bouchers et bouviers, scènes de la vie quotidienne, course de chevaux libres. Arrivé à Rome à la mi-novembre 1816, Géricault est domicilié rue Saint Isidore, non loin de la Villa Médicis où séjournent les lauréats du prix de Rome, sous-entendu la future élite artistique de la France. Preuve s’il en est que Géricault n’était pas le niais que d’aucuns s’épuisent à inventer, il se livre d’emblée à une critique acerbe d’un système qu’il juge en parfait connaisseur. Le 23 novembre il adresse une virulente critique de l’Académie de France à Rome à la femme de l’architecte Pierre-Anne Dedreux (alors pensionnaire à la Villa Médicis) : « L’Italie est admirable à connaître, mais il ne faut pas y passer tant de temps qu’on veut le dire ; une année bien employée me paraît suffisante, et les cinq années que l’on accorde aux pensionnaires leur sont plus nuisibles qu’utiles, [...]. Ils sortent de là ayant perdu leur énergie et ne sachant plus faire d’efforts. Ils terminent, comme des hommes ordinaires, une existence dont le commencement avait fait espérer beaucoup ». Partant de cette virulente critique on a longtemps cru qu’il avait vécu solitaire, loin de la communauté artistique française de Rome. Brisant le mythe suranné de l’artiste maudit, les recherches de ces dernières années attestent qu’il n’en est rien. S’il reste en marge, ce n’est pas socialement mais bien par sa vision si personnelle de l’Italie et par des qualités de peintre et de dessinateur sans équivalent chez ses contemporains. Après un séjour à Naples en compagnie de quelques pensionnaires de la Villa Médicis (avril-mai 1817), Géricault s’apprête à quitter Rome avant l’échéance qu’il s’était fixé. Rappelé par son vieux père (ou par la femme qu’il aime), il part sans attendre son ami Dedreux-Dorcy venu pourtant l’y rejoindre. Il repasse par Florence (octobre 1817) et obtient l’autorisation de faire quelques dessins dans la Galerie des Offices. Il y rencontre Gabriel de Fontenay, un ancien Mousquetaire du Roi, chargé d’affaires de France en Toscane. De retour à Paris, loin de la « terre sacrée », il réalise enfin la synthèse esthétique de son séjour italien. Le Marché aux boeufs (Cambridge, Fogg Art Museum) est un véritable carnage sadique de l’animal bouc émissaire, où la pulsion de meurtre règne en maître. Cette toile magistrale est en quelque sorte la parfaite antithèse de sa célèbre série des course des chevaux libres où l’homme et l’animal luttent noblement. Le portrait des enfants Dedreux (collection particulière) est une effigie de l’enfance monstrueuse, perverse et mélancolique. Un résumé, en quelque sorte, de l’amour sadique et de l’amour tendre. Dans ses trois grands paysages d’Italie Géricault y étudie enfin quelques nuances atmosphériques mais aussi et surtout d’étranges architectures (la thématique du pont y est essentiel) qui font de ces toiles complexes, lugubres et lumineuses, une possible allégorie de la régénération physique et morale de l’Homme. En janvier 1818, deux mois à peine après son retour, Géricault noue (ou renoue) une relation avec sa tante (la future baronne Alexandrine-Modeste Caruel de Saint-Martin). La future naissance de Georges-Hippolyte, leur fils illégitime, au mois d’août de cette même année, atteste avec certitude cette liaison adultérine et quasi incestueuse (qui ne fut révélée qu’en 1976). Dès lors il devenait facile – sans doute un peu trop – de rapprocher cet élément biographique avec la genèse du Radeau de la Méduse. Dès le 24 février Géricault achète en effet « une toile de 22 pieds sur 15 » qui lui servira à peindre sa toile monumental. Géricault s’empare alors d’un fait divers qui occupe la vie politique française depuis plusieurs mois. La célèbre histoire commence le 17 juin 1816, date à laquelle la frégate royale La Méduse quitte Rochefort avec deux autres vaisseaux afin de récupérer le Sénégal, un ancien comptoir africain qui, avant 1789, comptait dans ses activités la sinistre traite des Noirs. Cette expédition avait été confiée par le gouvernement de Louis XVIII à Hugues Duroy de Chaumareys, un ancien émigré alors âgé de 53 ans qui n’avait pas navigué depuis 1795, c’est à dire depuis plus de 20 ans. Le 2 juillet 1816, suite à sa totale incompétence, la frégate qu’il commandait s’échoua sur le banc d’Arguin, au large de l’actuelle Mauritanie. Tous les efforts de remise à flot furent vains, aussi fut-il décidé de quitter La Méduse. Le nombre restreint des chaloupes fut la cause de la construction d’un vaste radeau de 20 mètres sur 7 sur lequel allaient s’entasser près de 147 personnes. Chaumareys s’était engagé à tirer la lourde machine jusqu’à la côté. Très vite, il s’avéra impossible de remorquer un tel radeau et l’ordre fut donné de couper l’amarre qui le reliait aux chaloupes. C’était le début d’une atroce odyssée qui devait durer 13 jours. Dès le deuxième jour, les naufragés du radeau commencèrent à s’entre-tuer. Aux mêlées sauvages à l’arme blanche et aux combats nocturnes, succédèrent rapidement la faim et les premiers actes de cannibalisme. Le 11 juillet, on jeta à la mer les bouches inutiles, les malades et les mourants, les armes enfin. Des 147 naufragés, il n’en restait qu’une quinzaine. Le 17 juillet au matin ces moribonds aperçurent la voile L’Argus, un brick parti à leur recherche. Son commandant fit de sa sinistre découverte le rapport suivant : « J’ai trouvé sur ce radeau quinze personnes qui m’ont dit être le reste de cent-quarante-sept qui y avait été mises lors de l’échouage de la frégate la Méduse. […]. Ceux que j’ai sauvés s’étaient nourris de chair humaine depuis plusieurs jours, et au moment où je les ai trouvés les cordes qui servaient d’étai au mât étaient pleines de morceaux de cette viande qu’ils avaient mise à sécher ». L’un des rescapés, Savigny, allait être à l’origine de la transformation de ce sinistre fait divers en un drame politico-maritime. Rentré l’un des premiers à Paris, Savigny adressa au ministre de la Marine un rapport circonstancié de leurs malheurs. Ce rapport – on ne sait comment – fut capté par Decazes, alors ministre de la police et publié en partie dans le Journal des débats du 13 septembre 1816. L’opération du ministre de la police était claire : elle visait à fustiger l’incompétence des émigrés et à discréditer auprès de l’opinion publique, Dubouchage, le ministre de la Marine et ses collègues ultras. Par ultras, il faut entendre l’aile droite des royalistes, ceux-là mêmes qui compromettaient la politique de réconciliation nationale menée par Louis XVIII. Decazes triompha, mais l’affaire de La Méduse lui échappa. A son retour en France, à peine remis de ses blessures, Corréard retrouva Savigny à Paris et tous deux décidèrent d’éditer le récit de leurs malheurs. L’ouvrage sortit le 1er novembre 1817 et connut un immense succès. Quelques jours plus tard, Théodore Géricault rentrait d’Italie. Il lut le récit de Corréard et Savigny, les rencontra – on ne sait trop comment – et finit par les peindre dans leur propre rôle. Après un an et demi de labeur, laps de temps nécessaire à la réalisation de ses très nombreuses études préparatoires (dessinées, peintes et sculptée), Géricault présente son grand tableau (4, 91 x 7, 16 m) au Salon de 1819 – inauguré le 25 août, jour de la fête du roi. Pour des raisons politiques, le titre a été censuré : il est inscrit au livret officiel sous la simple nomination de Scène de naufrage. Cette grossière censure ne fait naturellement qu’attiser la curiosité et la toile monopolise l’attention de la foule et de la presse : « L’une des grandes machines qui frappent d’abord tous les regards représente les horreurs d’un naufrage, dont les désastres de la Méduse ont sans doute fourni l’effroyable idée », écrit le Journal de Paris le jour de l’inauguration. Visitant le Salon Louis XVIII aurait adressé au peintre le compliment suivant : « Monsieur Géricault vous venez de faire un naufrage qui n’en est pas un pour vous ! ». Le Radeau de la Méduse attise encore la curiosité des critiques d’art qui ne savent pas vraiment comment aborder cette toile monumentale qui met à bas certains dogmes de la peinture d’histoire et du beau idéal. Aucun, par exemple, n’ose écrire cet évidence: c’est un Noir qui occupe la place principale de ce naufrage, c’est à dire celle du héros. Toile d’avant-garde, synthèse des approches picturales et politiques de David et de Gros, le Radeau de la Méduse – faut-il s’en étonner – ne fut pas acquis par le gouvernement à l’issue du Salon. Si, de son vivant, Géricault ne put vendre sa grande toile au musée du Louvre, il reçut néanmoins deux commandes qui attestent qu’il était désormais reconnue par l’administration comme un interlocuteur susceptible de remplir les obligations qui lient un peintre d’histoire à l’Etat. Une reconnaissance officielle dont il décida toutefois de ses passer en renonçant à ses commandes. L’une d’elle sera honoré par le jeune Delacroix, alors à court d’argent (La Vierge du Sacré-Coeur, cathédrale d’Ajaccio), la seconde par Horace Vernet. Cultivant l’indépendance financière et politique (une lettre à son ami Horace Vernet rédigée à la mi-mars 1820 est un véritable brûlot politique qui le classe du côté des ultras libéraux, c’est à dire l’extrême gauche de l’époque) Géricault décide alors d’exposer son Radeau de la Méduse à Londres. Le 10 avril, avec son ami le lithographe Charlet, il s’embarque à Calais à destination de Londres. A son arrivée, il visite l’exposition de la British Institution. Vingt jours plus tard, le 1er mai il assiste peut-être à la pendaison des cinq auteurs d’un complot politique connu sous le nom de Cato Sreet (il en réalise tout au moins le dessin, conservé au musée des Beaux-Arts de Rouen). Le 6 mai, enthousiasmé par sa visite de l’exposition de la Royal Academy il le signifie ainsi à Horace Vernet : « Je disais, il y a quelque jours, à mon père qu’il ne manquait qu’une chose à votre talent, c’était d’être trempé à l’école anglaise [...]. L’Exposition qui vient de s’ouvrir, m’a plus confirmé encore qu’ici seulement on connaît ou l’on sent la couleur de l’effet. Vous ne pouvez pas vous faire une idée des beaux portraits de cette année et d’un grand nombre de paysages et de tableaux de genre, des animaux peints par Ward et par Landseer, âgé de dix-huit ans : les maîtres n’ont rien produit de mieux en ce genre ; il ne faut point rougir de retourner à l’école ; [...] Je ne crains pas que vous me taxiez d’anglomanie ; vous savez comme moi ce que nous avons de bon et ce qui nous manque ». Le 10 juin 1820 est enfin la date du vernissage à l’Egyptian Hall de l’exposition du Radeau de la Méduse. Ouverte au public le 12 juin, elle fermera le 30 novembre suivant après avoir connu un très vif succès et accueilli entre 40.000 et 50.000 visiteurs. Neuf jours après l’inauguration Géricault débarque à Dieppe et se dirige vers Paris. Les six derniers mois de l’année 1820 demeurent encore mystérieux à ses biographes. C’est peut-être l’époque pendant laquelle il peint la célèbre série des portraits de fous (des monomanes) dont cinq sont aujourd’hui connus. Il exécute enfin les célèbres dessins de la Traite des Noirs et de la Libération des prisonniers de l’Inquisition, des sujets tirés de l’actualité politique du moment et dont il entend probablement faire les pendants de son Radeau de la Méduse. On sait encore qu’il revoit Victor Schnetz, un ancien camarade de son séjour romain, et, surtout, qu’il se rend à Bruxelles début novembre, avec Horace Vernet. Les deux amis vont y saluer Louis David, exilé par Louis XVIII pour avoir voté la mort de Louis XVI en 1793 et s’être rallié à Napoléon pendant les Cent Jours. Le 16 novembre Géricault et Vernet font leurs adieux à David qui s’avoue « ravi de joie par leur présence ». Vernet rentre à Paris, sans doute seul. Géricault, lui, se rend peut-être en Ecosse d’où il aurait rejoint Londres en janvier 1821. Le second séjour à Londres dure un an. Dès le 1er février 1821, grâce à L’imprimeur Charles Hullmandel, il commence la publication de ses lithographies connues sous le nom de Various Subjects Drawn from Life and on Stone by J. Gericault. La série qui comprendra treize pièces est considérée comme l’un des chefs-d’oeuvre de cette toute nouvelle technique. Géricault y alterne des scènes de la vie du cheval avec des scènes de la misère londonienne. C’est l’un des premiers regard critique sur les conséquences désastreuse de la révolution industrielle (les effets en sont encore inconnus en France). Pendant qu’il réalise sa série de lithographies, le Radeau de la Méduse est exposé en Irlande, à la Rotunda de Dublin (du 5 février au 21 mars). Les cercles londoniens de Géricault sont encore peu connus, mais on sait qu’il fréquente la famille d’Elmore (un marchand de chevaux) et voit (en compagnie du peintre francais Auguste) l’architecte Charles-Robert Cockerell. Le 5 mai, à l’invitation toute officielle du peintre Thomas Lawrence, il se rend au dîner de la Royal Academy. Le lendemain, visitant l’exposition de la Royal Academy, il y remarque un paysage de John Constable. Son second séjour anglais s’achève le 14 décembre. Géricault s’embarque à Douvres pour Calais. Deux jours plus tard, l’architecte Cockerell dresse de lui ce très rare et précieux profil psychologique : « 16 décembre 1821 (pour toute la semaine précédente) ai fait mes adieux à Gericault Mardi. grande admiration pour son talent. sa modestie tellement inhabituelle et remarquable pour un Français son profond sentiment de pitié, son pathétique [sic]. à la fois la vigueur, le feu et la vitalité de son oeuvre – le tetro [sic] solennel à la fois profond et mélancolique. sensible. vie singulière – comme celle des sauvages américains dont on parle dans les livres. baignant dans la torpeur pendant des jours & des semaines puis se livrant à des actions violentes. chevauchant se précipitant se lançant s'exposant à la chaleur au froid toutes sortes de violences. – est venu en Angleterre surtout pour se soustraire à l'oisiveté & se retirer du monde. la compagnie – crains qu'il aille mal. – a souvent dit que l'Angleterre était le meilleur endroit qu'il connaisse pour étudier l'air y fait beaucoup ainsi que la façon de vivre des gens. – Gericault n'a même pas présenté 10 oeuvres au public. pourtant sa réputation est grande ». Trois chutes de cheval compromettent gravement la santé de Géricault. Il passe plusieurs mois de convalescence chez son ami Dedreux-Dorcy et en profite pour y dessiner plusieurs lithographies. Lors de sa visite du Salon de 1822 (auquel il n’a pas pris part), Géricault remarque la Barque de Dante, premier et brillant essai du jeune Eugène Delacroix. Il remarque encore le tableau d’un autre débutant, celui de Paul Delaroche, Joas dérobé du milieu des morts par Josabeth (Troyes, musée des Beaux-Arts). Au même moment Géricault cherche à vendre son Radeau de la Méduse au gouvernement. Il bénéficie d’un appui précieux en la personne du comte de Forbin, directeur du musée du Louvre. Ce dernier, dans un rapport adressé à sa hiérarchie le 3 février et le 17 mai 1822, essaie – en vain – de faire acquérir la grande toile. Une troisième tentative (le 27 mai 1823) se solde par un nouvel échec. Le tableau, à l’évidence, est indésirable. Conscient de la difficulté Forbin a pourtant bien manoeuvré en rapprochant l’oeuvre de Géricault de celle de Michel-Ange. Il a surtout occulté toutes les allusions politiques que la grande toile était susceptible d’évoquer. Forbin (qui n’est pas dupe) affirme ainsi dans ses rapports qu’il s’agit avant tout d’une allégorie de la souffrance humaine (de là est née la lecture dépolitisée du Radeau de la Méduse). Début 1823, rétabli de ses chutes de cheval, Géricault se remet au travail. Le 4 avril, Le Miroir des Spectacles (un journal d’opposition) consacre un article à ses nouvelles lithographies. Le 14 mai, Delacroix mentionne dans son Journal la visite de son aîné : « Géricault est venu me voir [...] J’ai été ému à son abord : sottise ! ». Le 6 juillet il expose au Salon de Douai un tableau de Postillon faisant rafraîchir ses chevaux (musée du Louvre). Le 11 août la faillite de son ami l’agent de change Félix Mussard entraîne sa ruine. Son état de santé s’aggrave. Il s’alite et doit subir plusieurs opérations chirurgicales. Le 30 novembre il rédige son testament et institue son père légataire universel. Le 2 décembre le père de Géricault rédige à son tour son testament. Le petit Georges-Hippolyte, alors âgé de 5 ans, devient son légataire universel. Auguste Brunet et Dedreux-Dorcy deviennent les exécuteurs testamentaires. Gros – de retour de Bruxelles où il était allé rendre visite à son maître David – se rend chez Géricault à la mi-décembre. Quinze jours plus tard Delacroix en reviendra bouleversé.
Géricault est opéré une dernière fois les 17-18 janvier 1824. Ary Scheffer dessine le visage de son ami (collection particulière). Le 26 janvier Géricault meurt à six heures du matin, à l’âge de 32 ans et 4 mois. La messe d’enterrement a lieu deux jours plus tard à Notre-Dame-de-Lorette. L’inhumation se fait au cimetière du Père-Lachaise où son corps est provisoirement déposé dans le caveau de la famille du peintre Jean-Baptiste Isabey. Le 15 août, en hommage posthume, deux tableaux de Géricault, Une forge de village et Un enfant donnant à manger à un cheval, sont exposés au Salon de 1824 par l’intermédiaire de ses amis. Les 2 et 3 novembre a lieu la vente de son atelier à l’Hôtel de Bullion. La dispersion est un grand succès et rapporte la somme importante de 51.792 francs. Grâce à l’intermédiaire de Dedreux-Dorcy et du comte de Forbin l’Etat achète enfin le Radeau de la Méduse pour 6.005 francs. Le mythe "géricaldien" peut commencer.
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