Cette salle présente, à côté de l´autoportrait du peintre, quelques-unes parmi les premières œuvres que Sorolla expose au Salon de Paris.
« Fils de Goya, petit-fils de Velázquez ». Sorolla et la tradition espagnole
Tous les critiques de son époque ont reconnu en Sorolla l'un des meilleurs héritiers de Velázquez, par la subtilité de sa touche et la clarté de ses compositions.
« Petit fils de Velázquez, fils de Goya » est le titre d'un article sur l'artiste que l'écrivain Vicente Blasco Ibáñez publie en 1907. Sorolla admire beaucoup l'œuvre des deux artistes, qu'il commence à étudier et à copier dès son premier voyage à Madrid, en 1881. Tout au long de sa vie, il retourne souvent au musée du Prado cherchant une nouvelle inspiration auprès de ses maîtres. Le tableau La famille est un hommage explicite à l'œuvre Les Ménines de Velázquez, conservée dans ce musée.
Mais le grand mérite de Sorolla est d'avoir tiré de l'œuvre de Velázquez tous les apports essentiels à la peinture moderne, regardant le maître avec les yeux de Manet, Degas, Whistler ou Sargent, tel qu'on peut le voir dans les portraits de ses filles María et Elena, avec des grands chapeaux, ou dans l'effigie du prix Nobel Santiago Ramón y Cajal (Portrait de Santiago Ramón et Cajal).
Ses portraits aux couleurs sobres puisent dans la palette traditionnelle de la peinture espagnole, faite de blancs, de noirs et d'ocres. Mais Sorolla y introduit des nuances subtiles, inspirées notamment de l'œuvre du peintre américain James Whistler, telles qu'on peut les admirer dans les portraits comme Clotilde en robe grise ou Portrait d'Antonio García, beau-père du peintre.
Entre naturalisme et instantanée. La recherche de la spontanéité
Les œuvres que Sorolla présente aux salons et aux expositions internationales s'adaptent aux grands formats demandés dans ces concours officiels et reprennent en partie les compositions élaborées du style académique. Cependant, elles introduisent les nouveautés stylistiques que Sorolla observe dans les courants artistiques plus modernes. À partir du naturalisme de Bastien-Lepage, Sorolla s'approprie la nouvelle approche de Degas, inspirée par la photographie et l'estampe japonaise. Lui-même possédait une belle collection d´estampes et toute sa famille s'intéressait à la photographie, son beau-père, Antonio García, étant un photographe réputé à Valence.
À l'instar des Impressionnistes, il expérimente l'instantanée et la recherche d'une nouvelle luminosité et spontanéité de la touche.
C'est notamment dans les portraits de ses enfants que Sorolla articule avec grande habileté l'héritage de Velázquez et la spontanéité de la peinture en plein air. La solidité de ses compositions, digne des grands maîtres du passé, s'accorde avec sa touche légère, brillante et riche de nuances.
Peindre en plein air sur les plages du Nord
Les œuvres de Sorolla qui obtiennent le plus grand succès dans les expositions internationales ont comme sujets principaux la Méditerranée et le Golfe de Gascogne. Ses œuvres liées au monde du travail montrent une claire prédilection pour les activités des marins sur les plages de Valence.
Dans ses esquisses réalisées à San Sebastián ou à Biarritz, où Sorolla se rend pour la première fois en 1906, le peintre travaille plutôt l'immédiateté du regard dans des œuvres de petit format. La lumière du Nord de l´Espagne, plus changeante qu´à Valence, empêche de s'attarder sur des grandes œuvres de composition. De plus, les motifs offerts par l'ambiance vivante et cosmopolite que l'artiste trouve dans les plages du Nord exigent cette immédiateté, décrite par les critiques de l´époque, comme Mauricio López Roberts : « Parmi la multitude d'échoppes, de parasols, de parapluies enflés, rougeâtres, qui se gonflent convexes sur la Grand Plage, Sorolla flâne, à l'affût des impressions. Et les yeux du peintre - yeux grands ouverts, décidés, qui regardent franchement, les yeux de marin ou d'explorateur, qui voient loin et qui voient tout - s'émeuvent devant le spectacle lumineux et fluctuant des vagues, des ombres fortes et énergiques qui noircissent le voile doré de la plage. »
À côté des esquisses, qui lui permettent d'étudier l'ambiance qu'il traduira en peinture, Sorolla peint aussi, directement en plein air, des œuvres d'envergure comme Sur le sable, Plage de Zarautz, María sur la plage de Biarritz et María à Zarautz.
Joaquín Sorolla, Bain à la plage, 1908, huile sur toile, 77 x 105, Museo de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando, Madrid
La peinture à fleur de peau
Le caractère vital et insouciant du jeu des enfants en train de se baigner ou de courir sur la plage est l'un des motifs privilégiés de Sorolla. Ces scènes lui permettent de mettre en œuvre ses meilleures habilités de peintre. Elles lui offrent la possibilité de s'attarder sur les détails de la peau mouillée, les reflets sur le sable humide et sous les transparences de l'eau, qui dématérialise les corps. Bain à la plage représente l'une des œuvres les plus spectaculaires, combinant l'aspect brillant de la peau du bébé et la fraicheur de l'écume de la mer.
Cette préoccupation pour l'aspect corporel des figures, face à la fluidité changeant de la mer, se manifeste avec une maîtrise particulière dans Nageurs, Xàbia et, de manière plus esquissée, dans Enfants baignant entre les rochers. L'artiste libère ses touches de pinceau pour les transformer en taches de peinture pure, dans lesquelles tous les effets de l'eau, sa brillance et ses transparences, se confondent avec le corps enfantin.
La vitalité irrésistible des enfants sur la plage représente aussi un chant salutaire face à la décadence fin-de-siècle. Comme le critique Rafael Domenech l'a écrit en 1910, ces tableaux produisent chez les contemporains « une sensation d'énergie et de grandeur, de santé et d'équilibre, par les thèmes et par les moyens expressifs de son art ».
Du vent et des voiles. Peindre l'instant présent
« Rien n'est immobile, dans ce qui nous entoure, écrit Sorolla. La mer se crispe à chaque moment, les nuages se déforment, en se déplaçant ; la corde suspendue à ce bateau oscille lentement ; cet enfant saute ; cet arbre plie ses branches et les soulève à nouveau… mais même si tout était pétrifié et fixe, il suffirait que le soleil bouge, comme il fait sans cesse, pour donner un effet différent aux choses… il faut peindre vite, pour ne rien perdre de ce qu'il y a de fugace, qu'on ne retrouvera plus ! »
Capter la vision immédiate, la sensation passagère, devient une véritable obsession pour Sorolla. Afin de transmettre la rapidité d'une voile gonflée par le vent, il tâche de transposer sur la toile la sensation que l'œil perçoit lors d'un premier regard. Il réalise une infinité de dessins de voiles enflées par le vent, mais aussi recueillies ou partiellement repliées, explorant toutes les possibilités plastiques du motif. Ses esquisses lui permettent, par la suite, d'aborder ses toiles avec la même fraîcheur que ces petites études.
Ombre et lumière, éléments de composition
Chaque œuvre de Sorolla présente une étude approfondie de la composition qui dynamise le motif représenté et qui combine les textures et les couleurs complémentaires pour en accentuer la luminosité.
Sorolla compose par la lumière avec une audace de plus en plus extrême. Il force les ombres, réunissant les couleurs complémentaires, selon la loi du contraste simultanée des couleurs, énoncée par le chimiste Michel-Eugène Chevreul en 1839.
La lumière et les ombres sont les véritables protagonistes des tableaux exposés dans cette salle, parmi ses plus grands succès internationaux. Ainsi, dans ces tableaux et dans les portraits de pêcheuses valenciennes, l'ombre représente tantôt l'espace par lequel le spectateur peut s'introduire dans l'œuvre, tantôt le contrepoint qui donne son équilibre à la composition.
La couleur ravie à la nature
À partir de 1904-1905, la peinture de Sorolla prend ses distances du naturalisme, dans l'effort de mettre encore plus en relief les couleurs. Sa campagne à Xàbia, au sud de Valence, pendant l'été 1905 donne vie à quelques-unes des œuvres les plus importantes qui composent sa première exposition personnelle à la galerie Georges Petit, en 1906.
En regardant la mer de Xàbia, il trouve cette combinaison de couleurs complémentaires dans la nature. L'écrivain Vicente Blasco Ibáñez dira à ce propos : « Ceci n'est pas peindre, c'est ravir à la nature la lumière et la couleur ».
Sorolla réduit et brise sa touche de pinceau, afin de transmettre les plans de couleur multiples que produit la rencontre de lumière et de l'eau. Les œuvres de ce type, centrées exclusivement sur les aspects plastiques, privilégient un point de vue en plongée, qui apparaît très moderne, suggéré, entre-autres, par l'influence de la photographie et de l'estampe japonaise.