"Le terme de résistance se décline selon deux modalités. La première renvoie à la présence même et à la force tirée d’une position stable. Resistere, de sistere, c’est se placer, s’arrêter, ne pas avancer, deux mots issus du latin stare : se manifester, être debout, être stable. La seconde acception désigne l’offensive dans une volonté de s’opposer aux menaces érigées contre les désirs ou les libertés. Ces deux positions désignent les curseurs entre lesquels se déploient les stratégies de résistance des artistes, depuis des œuvres impliquées dans un tissu social, parfois participatives, engagées dans des luttes à teneur socio-politique, jusqu’à des œuvres plus autonomes et plurivoques qui témoignent indirectement des temps présents, en passant par celles qui ouvrent la voie vers l’art comme alternative per se." Extrait de Stare ou l’artiste en résistance par Christine Macel
Le Centre Pompidou présente l'expostion Global(e) Resistance. L'expo Global(e) Resistance est à voir à partir du 29 juillet 2020 à Paris.
L'exposition Global(e) Resistance au Centre Pompidou de Paris dévoile les œuvres de plus d'une soixantaine d'artistes réunies au cours de la dernière décennie. Elle présente une majorité d'artistes issus des Suds (Afrique, Moyen-Orient, Asie, Amérique latine) et se donne pour ambition d'examiner les stratégies contemporaines de résistance. Global(e) Resistance soulève également des interrogations théoriques qui vont de l'articulation de l'esthétique et du politique au rapport même du musée au politique au sein des mondes de l'art.
Résister à travers une pratique à la fois artistique et politique, voire activiste, a souvent été l'apanage d'artistes vivant dans des situations d'oppression ou d'inégalités. La fin de la colonisation a fait jaillir de nombreuses voix qui se sont élevées pour entamer de nouveaux chemins de résistance, que ce soit sur un plan purement politique ou pour questionner les histoires, les mémoires trop tenaces ou menacées de délitement. La résistance s'est aussi organisée grâce à l'art lui-même, de manière poétique ou discursive.
Le projet fait la part belle à la place de la contestation politique à l'heure des décolonisations et de l'effondrement des idéologies communistes après 1989 tout en abordant les relectures actuelles de l'histoire à travers l'excavation et la mise en mémoire. Il prend pour point de départ deux œuvres fondatrices des années 1990 issues de la collection du Centre Pompidou : le film The couple in the cage (1993), dans lequel Coco Fusco et Guillermo Gomez-Peña questionnent la persistance contemporaine de réflexes coloniaux, ainsi que la vidéo Partially Buried (1996), de Renée Green qui révèle le rôle de la mémoire subjective dans l'écriture de l'histoire. Dans une époque de tumulte et d'urgence, il s'agit d'explorer la manière dont ces contestations participent à la transformation des systèmes de pensées tout en modifiant notre vision du monde.
Le visiteur de l'exposition Global(e) Resistance est accueilli dans le forum par la sculpture Rédemption de Barthélémy Toguo, exposée pour la première fois depuis son acquisition. L'œuvre évoque la rencontre Nord-Sud, le panafricanisme et la question de la rédemption et du salut des peuples. Le projet se déploie ensuite au quatrième étage des collections permanentes (Galerie du musée, Galerie d'art graphique et Galerie 0) sur près de 1500m2. Le parcours de l'exposition Global(e) Resistance est ponctué de slogans imprimés sur les murs, réalisés à partir d'œuvres de Barthélémy Toguo. Des œuvres-manifestes ouvrent l'exposition : Khalil Rabah évoque la situation palestinienne, Teresa Margolles la frontière mexicaine, Yin Xiuzhen les conflits armés et Nadia Kaabi-Linke l'errance des migrants et des sans-abris.
Inspirée par Robert Smithson, l'œuvre de Renée Green structure dans un premier temps une stratégie de résistance polysémique pensée à l'échelle du paysage comme du territoire, mais aussi rattachée à une mémoire intime. L'imaginaire complexe de certaines villes comme Braddock (LaToya Ruby Frazier), Johannesburg (Subotzsky et Waterhouse), Dakar (Cheikh Ndiaye), marquées par le déclin économique, la contestation socio-politique ou la recomposition urbaine, hantent plusieurs œuvres.
Parallèlement, les artistes accompagnent la ferveur et les inquiétudes surgies des décolonisations (Kiluanji Kia Henda, Abdoulaye Konaté) surtout en Afrique du Sud où persiste l'apartheid jusqu'en 1991 (Penny Siopis, Kemang Wa Lehulere, Sue Williamson). La mise en question de l'hypothèse communiste, abordée par The Propeller Group, et la progression d'un monde autoritaire, reflétée par l'installation de Pratchaya Phintong, sont le point de départ d'œuvres engagées qui tentent de réconcilier récits individuels et traumatismes collectifs. Les œuvres de Chim Pom et Yin Xiuzhen, elles, dénoncent la menace écologique. Dans une section plus contemplative, la littérature et la philosophie servent de réceptacles à une résistance plus souterraine comme dans le travail de Mohssin Harraki ou M'barek Bouhchichi ou dans l'œuvre emblématique Facing the Wall de Song Dong mêlant zen et combat spirituel.
Dans un second temps, dans la lignée de la mascarade amérindienne de Fusco et Gómez-Peña, certains résidus du monde colonial, en attente d'une recomposition multiculturelle, sont mis en lumière : le "cirque" ethnographique du "bon nègre" au Brésil (Jonathas de Andrade) est mis en négociation dans un monde qui ploie sous le poids des cicatrices (Otobong Nkanga). Plus loin, l'exposition envisage la question de la mobilité au cœur du système capitaliste contemporain : les migrations (Younès Rahmoun, Halil Altindere), le corps en tant qu'outil de résistance (Evelyn Taocheng Wang, Ming Wong) nourrissent une série d'œuvres pensées comme des traversées. Les luttes féministes sont enfin activées dans le travail de Susan Hefuna et de Marcia Kure, tout autant que de nouveaux questionnements sur les questions de genre.
Afin de rendre compte des engagements et stratégies des artistes, un Salon et des vitrines documentaires conçus comme un espace discursif accueillent le visiteur à l'entrée du niveau 4 du Musée. Ils valorisent également les engagements de certains "lieux" de l'activisme basés en France.
Un catalogue est réalisé avec des essais de Christine Macel, Alicia Knock et Yung Ma autour des problématiques de la relation entre esthétique et politique, à partir des œuvres de la collection.
Cette exposition est réalisée grâce au soutien des amis du Centre Pompidou qui ont fait don au Centre Pompidou des œuvres de trente-six artistes montrées dans Global(e) Resistance.
"Mais une problématique propre au musée apparaît à la suite de ces prémices. N’y aurait-il pas un risque d’annulation de cet art de résistance dans une institution, qui, ainsi, contiendrait les discours radicaux ? Comment conserver non pas seulement l’œuvre, mais aussi la vigueur de ses signifiés ? Et enfin, comment rendre compte des positionnements les plus activistes, surtout lorsqu’ils ne se manifestent pas par une œuvre collectionnable ? C’est pour répondre en partie à ces interrogations que nous avons voulu mettre en place dans « Global(e) Resistance » un espace discursif invitant les artistes ainsi que des «lieux» physiques ou intellectuels à faire des propositions au-delà des œuvres, dont une partie pourra ainsi rejoindre la partie documentaire et archivistique de la collection." Extrait de Stare ou l’artiste en résistance par Christine Macel