Parcours de l'exposition Gabrielle Chanel. Manifeste de mode
Article publié le 01/09/20 18:11
Palais Galliera. Musée de la mode de la Ville de Paris
Exposition du 1er octobre 2020 au 14 mars 2021
"Chanel travaille des dix doigts, de l’ongle, du tranchant de la main, de la paume, de l’épingle et des ciseaux, à même le vêtement, qui est une vapeur blanche à longs plis, éclaboussée de cristal émietté." Colette
Le Palais Galliera présente Gabrielle Chanel. Manifeste de mode, première rétrospective dédiée à la créatrice organisée à Paris.
- VERS UNE NOUVELLE ÉLÉGANCE
Dès le début de sa carrière, Gabrielle Chanel s’inscrit en totale opposition avec la mode de son époque soumise au passage des tendances et à une expression stéréotypée de la féminité.
Première à porter ce qu’elle crée, ses choix reflètent ses propres goûts. Dans les années 1910, ils sont aussi inspirés par l’esprit de liberté qui caractérise la vie mondaine à Deauville, où elle ouvre une boutique en 1912, puis Biarritz où elle installe sa maison de couture en 1915. Première aussi à percevoir les évolutions qui se font jour au sortir de la Première Guerre mondiale, elle s’inscrit contre tout ce qui entrave le mouvement et déséquilibre la ligne. Rejetant tout ornement superflu, elle propose des formes simples empreintes de naturel, des vêtements souples et fluides qui respectent le corps des femmes et leur accordent la capacité à se mouvoir avec aisance. Cette conception caractérisée par un étonnant mélange de dépouillement et de précision, pose les bases d’une élégance nouvelle qu’elle défendra tout au long de sa carrière. Chacune de ses créations, vêtement, accessoire, bijou, parfum, appartient à cette même vision s’inscrivant bien au-delà d’un phénomène de mode éphémère.
- LA NAISSANCE D’UN STYLE
"C’est la matière qui fait la robe et non les ornements que l’on peut y ajouter." Gabrielle Chanel
Si dans les années 1920 et 1930, Chanel accompagne l’évolution de la silhouette, elle confirme ses choix esthétiques et sa conception personnelle de la mode. D’une élégance épurée, les modèles sont nets et sobres, les matières souples et le plus souvent monochromes. Sa palette est subtile et nuancée, et si les blancs et les beiges dominent, elle inclut aussi des notes plus intenses de bleu nuit et de rouge ardent.
Dans sa recherche de simplicité, Gabrielle Chanel ne participe qu’à de rares exceptions et de façon très mesurée, aux courants inspirés par l’historicisme et l’exotisme. Qu’ils soient imprimés ou brodés, elle fait aussi un usage parcimonieux et maîtrisé des décors et des motifs. Les fleurs, exception à la règle, participent par leur traitement et par la fraîcheur de leurs coloris à transmettre une idée de jeunesse et de naturel.
Tout à la fois pratiques et élégants, ses vêtements s’inspirent des tenues de sport et empruntent certains codes à l’élégance masculine et au dandysme. Détournant techniques et matériaux jusqu’alors étrangers à l’univers de la haute couture, elle associe l’ordinaire et le luxe, fait avec la maille ou le tweed, ces étoffes communes, des tenues à l’allure désinvolte dont la coupe et les proportions cultivent raffinement et distinction. De cet équilibre, Chanel a fait un style identifiable entre tous.
L’utilisation du noir, parfois à peine éclairé de blanc, lui permet d’affirmer sa vision stricte et minimaliste de la mode. La pureté des lignes est plus tangible encore, le vêtement s’efface au profit d’une conception radicalement moderne du chic.
- LE N° 5
Créé en 1921, le N° 5, premier parfum composé, est, comme Gabrielle Chanel l’a voulu,
radicalement différent. Contrairement aux fragrances proposées à l’époque, il ne renvoie
à aucune senteur précise, c’est un parfum construit, comme l’étaient ses robes, une senteur
abstraite et mystérieuse. Le parfumeur Ernest Beaux a choisi pas moins de quatre-vingts
composants pour son assemblage. L’alliance de fleurs rares dont l’ylang-ylang,
le jasmin de Grasse ou la rose de mai, de notes boisées et épicées, démultipliée par des
aldéhydes – matières de synthèse – utilisées pour la première fois en surdosage,
rend la formule indéfinissable.
Son contenant et sa présentation sont tout aussi innovants. Aux fioles ornées des Années
folles, Chanel oppose un flacon carré aux lignes sobres et anguleuses. Aux titres fleuris et
imagés, elle répond par l’abstraction d’un numéro, d’un chiffre porte-bonheur. L’étui en carton
blanc surligné de noir est quant à lui minimaliste et le graphisme d’une pureté révolutionnaire
pour l’époque.
La radicalité de ces choix est la même que celle dont elle fait preuve à l’égard de la mode.
Pensé comme prolongement du vêtement et répondant point par point à sa vision de la
modernité, Chanel fait du N° 5 une signature pour sa maison.
Devenu le parfum le plus vendu au monde, une phrase, sorte de confession intime livrée
par Marilyn Monroe, lui apporte, s’il en était besoin, un supplément d’âme et le fait entrer
à jamais dans la légende.
- L’EXPRESSION D’UN LUXE AUSTÈRE
Dans les années 1930, son sens de la ligne s’exprime au plus haut point. Les robes précisent
le corps sans excès. L’harmonie des proportions, la cohérence entre matériaux et formes,
révèlent une fois encore sa recherche de la simplicité.
Pour le soir, elle accomplit un subtil dosage d’invention et de classicisme, combinant les
matériaux les plus légers, les dentelles noires ou blanches et le tulle. Elle fait des robes de
mousseline d’une incroyable simplicité, des robes floues dont les décors incrustés s’intègrent
à la coupe pour mieux souligner les formes. Sans jamais déséquilibrer la ligne, elle joue avec
l’asymétrie, les mouvements enveloppants et les longueurs inégales. Avec elle, le vocabulaire
de la mode féminine fait preuve de retenue, les volants ne sont froncés que très légèrement,
les drapés à peine esquissés, les pans se font légers et flottants.
Chanel fait aussi un usage très personnel des techniques de décor : elle recouvre
entièrement la surface des tissus légers de perles, de paillettes ou de franges qui se fondent
en une matière brillante et mouvante. À l’excès d’excentricité, elle oppose la monochromie
des matières et la simplicité de la ligne.
- « BIJOUX DE DIAMANTS »
En 1932, alors qu’elle prône l’usage des bijoux fantaisie, Gabrielle Chanel, crée une collection
de haute joaillerie uniquement composée de diamants montés sur platine.
Commanditée par l’International Diamond Corporation de Londres, cette collection est
exposée du 7 au 19 novembre, non pas dans la boutique de Mademoiselle Chanel mais chez
elle, dans les salons de son hôtel particulier, au 29 rue du Faubourg-Saint-Honoré et fait courir
le tout-Paris.
S’écartant des codes habituels de présentation, les parures de pierres précieuses sont mises
en scène sur des mannequins de cire réalistes et expressifs. Tout aussi originale pour l’époque,
leur facture est à l’image des vêtements qu’elle crée, sobre et graphique. Leurs montures,
légères, précisent la ligne. Leurs dessins, qu’elle confie à différents illustrateurs dont Paul Iribe,
et les thèmes qu’elle choisit évoquent la légèreté, la souplesse des étoffes ou le caractère
aérien et cristallin des corps célestes. Comètes, plumes, franges et rubans soulignent,
avec délicatesse, un décolleté, une nuque ou un poignet. Elle conçoit des bijoux modulables :
le motif étoilé d’un collier peut se porter en broche ou en centre de bracelet.
- LE TAILLEUR OU LES FORMES DE LA LIBERTÉ
"Chaque tailleur recèle les secrets du luxe de Chanel. Et ce luxe tient à des détails".
Vogue, septembre 1959
En 1954, dans un contexte encore marqué par l’esprit du New Look caractérisé par le retour
à une silhouette exaltant les anciens canons de la féminité, Mademoiselle Chanel, à plus
de soixante-dix ans, relance sa maison de couture, et plus que jamais, se positionne contre
la mode du moment.
Synthèse des grands principes qui ont fait sa particularité et son succès, l’extrême
dépouillement de son tailleur, est à lui seul, un véritable manifeste exprimant sa vision de la
femme moderne. Tous les aspects de sa construction sont pensés dans le respect de l’anatomie,
le juste équilibre de la silhouette et une conception de l’élégance alliant simplicité et naturel.
La veste s’apparente ainsi davantage à une sorte de cardigan tant elle est souple et légère.
La jupe quant à elle, n’enserre pas la taille mais repose sur la pointe des petites hanches ;
légèrement basculée vers l’arrière et d’une longueur s’arrêtant sous le genou, elle est
confortable, mobile et laisse toute liberté au mouvement. Les ganses de couleurs contrastées
qui font aussi sa singularité soulignent et structurent visuellement la silhouette tout en lui
conservant sa souplesse. La précision et le raffinement des finitions, tout aussi essentiels,
deviennent une signature. Ce vêtement, devenu un archétype, est encore aujourd’hui une
référence en matière de mode féminine.
- LES CODES DE CHANEL
Élément essentiel à l’harmonie de la silhouette, l’accessoire pour Chanel répond
aussi à sa vision pragmatique de la mode tout en participant à la codification et à l’unité
de son style.
Lancé en février 1955, le sac 2.55 identifiable entre tous par sa forme, son rabat,
ses surpiqûres créant un effet matelassé et son fermoir à tourniquet a été pensé pour être avant
tout pratique. Sa bandoulière, une chaîne bijou ou entrelacée d’un lien en cuir pour éviter le
cliquetis du métal, devenue elle-même emblématique, permet de le porter à la main ou
à l’épaule. L’intérieur est doublé de cuir ou de gros-grain rouge et comporte de nombreuses
poches permettant de mieux en retrouver le contenu, notamment le rouge à lèvres auquel
un compartiment est dédié. Réalisé en agneau, en jersey ou en satin de soie, le 2.55 est aussi
décliné en trois tailles pour répondre aux différentes activités et circonstances de la journée.
À partir de 1957, le soulier bicolore parachève la silhouette définie par Chanel
et apporte une note supplémentaire à l’élégance de son style. Après plusieurs essais avec
différents bottiers, elle adopte le modèle réalisé par Raymond Massaro. Parfait accord entre
l’usage et la forme, il est réalisé dans une peau beige pour allonger la jambe, tandis que son bout
noir le protège des marques du temps et fait paraître le pied plus petit. La bride asymétrique et
le talon, d’une hauteur mesurée, garantissent confort et liberté de mouvement.
- ÉLOGE DE LA PARURE
Dès les années 1920, le bijou tient une place essentielle dans les créations de Gabrielle Chanel
et, en contrepoint à la simplicité de ses vêtements, devient un véritable marqueur de son style.
Accumulant rangs de perles, sautoirs, ras-du-cou, boucles d’oreilles, broches et bracelets, elle
se joue du vrai et du faux, mêle la joaillerie et les bijoux fantaisie. Mademoiselle Chanel prend
également des libertés avec la position du bijou sur le vêtement et n’hésite pas à placer
une broche au revers d’une manche, sur la hanche ou sur l’épaule, ou encore sur la calotte
d’un chapeau.
Ses bijoux sont créés en étroite collaboration avec les paruriers Étienne de Beaumont,
Fulco di Verdura, François Hugo, Gripoix ou Robert Goossens. Aux inspirations historiques
ou exotiques, viennent s’ajouter les décors floraux ou ceux plus personnels composés à partir
de son propre répertoire symbolique : le lion, l’épi de blé, l’étoile, le soleil ou la croix. Tous
témoignent d’un goût certain pour l’opulence et la profusion, en totale opposition avec le style
dépouillé des vêtements.
- L’ALLURE RENOUVELÉE
Si, à partir de 1954, Mademoiselle Chanel fait du tailleur la pièce emblématique
de ses collections, elle fait aussi de la robe du soir un exercice de style.
Alors que la plupart des grands couturiers font appel aux brodeurs pour orner
de pierreries et de paillettes leurs tenues de soirée, Chanel donne une version discrète
et raffinée de la mode habillée.
Sans jamais dévier de la ligne qu’elle s’est fixée, elle reprend chacun des fondements qui
président à son esthétique et ont jalonné son parcours. Pour le cocktail, elle décline les robes
noires toutes simples dans les matériaux les plus divers, des classiques dentelles, velours
et voiles de soie aux tissus en nylon et autres matières synthétiques. Aux plus austères, elle
accorde la préciosité d’une ceinture ou d’un bijou en métal doré, illuminés de pierres colorées.
Les broderies de paillettes, semblables à celles des années 1930, sont monochromes.
La mousseline dans son élégante simplicité, la gaze dans toute sa légèreté, revisitent l’art
du flou et la liberté de mouvement. Fidèle à la gamme de couleurs qui est une de ses signatures,
elle choisit des tissus où le blanc cassé et l’or s’unissent. Pour les mousselines, le rouge
apporte du piquant, le noir le chic.
Jusqu’à la collection printemps-été 1971, sa dernière, Mademoiselle Chanel n’a de cesse
de réinterpréter, d’actualiser, de parfaire ses règles et principes. Des créations les plus
emblématiques à celles aujourd’hui oubliées, toutes témoignent de la permanence
de son style.
Article de référence :