Initialement prévue du 24 mars 2020 au 26 juillet 2020, l'exposition Picasso et la bande dessinée se déroulera du 21 juillet 2020 au 3 janvier 2021 en raison de la crise sanitaire du coronavirus.
Le Musée national Picasso-Paris consacre une exposition à Pablo Picasso afin de mettre en lumière les liens entre l'oeuvre de l'artiste et la bande dessinée.
Dessins de jeunesse
Autour de 1900, certains dessins de Picasso témoignent du contact de l’artiste avec l’univers de la bande dessinée. En 1894, alors qu’il va avoir treize ans, Picasso produit lui-même de petits journaux illustrés, où se mêlent textes et images. Dans les dessins réalisés à Barcelone, comme dans ceux qu’il produit à son arrivée à Paris, il n’est pas rare de rencontrer des bulles ou une construction d’images en séquences pour introduire un fil narratif. L’artiste saisit la voix d’une mendiante ou invente un monde peuplé d’animaux doués de parole. En 1903, dans une planche gravée organisée en sept cases commentées, Picasso imagine l’apothéose bouffonne de son ami le poète Max Jacob. En 1904, il relate, en plusieurs images légendées, son voyage en train de Barcelone à Paris, accompagné de son ami Junyer-Vidal. Ces expérimentations, en apparence potaches, participent à l’entreprise de subversion des formes académiques à laquelle l’artiste se livre au tournant du siècle.
Écrivaine et collectionneuse de la première heure, Gertrude Stein, dans son Autobiographie d’Alice Toklas publiée en 1933, livre un témoignage rare du véritable engouement de Picasso pour les comics américains. On y apprend notamment qu’à Paris, l’artiste dévore The Katzenjammer Kids, dont les héros sont deux enfants turbulents vivant sur l’île imaginaire de Bongo. Cette passion, Picasso la cultive : en août 1906, il se fait envoyer à Gósol, petit village catalan où il séjourne tout l’été, les aventures de Little Jimmy. Les premières bandes dessinées américaines paraissent alors chaque semaine dans les journaux, transportant leurs lecteurs dans le monde féérique de Little Nemo ou dans l’univers gaguesque de Krazy Kat. En France, Les Pieds Nickelés font leur apparition en 1908 dans la revue L’Épatant, dont on trouve plusieurs exemplaires dans la bibliothèque personnelle de l’artiste. Le journal, motif récurrent dans l’œuvre de Picasso, est aussi au début du XXe siècle le vecteur d’une culture populaire et enfantine qui nourrit l’imaginaire du jeune peintre.
Songe et mensonge de Franco
Songe et mensonge de Franco, série de gravures réalisée par Pablo Picasso au cours de l’année 1937, met en scène la figure monstrueuse du dictateur qui vient de s’emparer du pouvoir dans l’Espagne natale de l’artiste. La structure en deux planches et dix-huit cases juxtapose la bouffonnerie menaçante de Franco et l’iconographie des désastres de la guerre, dans la lignée des gravures dénonciatrices de Goya. La bande dessinée sert ici un combat politique, à l’image des vignettes antifranquistes qui paraissent à la même époque dans L’Humanité ou, dans les années 1970, des caricatures de Reiser en couverture de Charlie Hebdo. Les œuvres de Picasso de la fin des années 1930 nourrissent l’imaginaire de nombreux auteurs de bande dessinée, reprises et détournées par Art Spiegelman dans Ace Hole Midget Detective (1974) ou Edgar P. Jacobs, qui, dans Le Piège diabolique (1960-1961), insère des fragments du Guernica de Picasso (1937) dans un paysage post-apocalyptique.
Le mystère du dessin
En 1955, dans Le Mystère Picasso, l’œil de la caméra d’Henri-Georges Clouzot saisit Picasso au travail. Le spectateur assiste, fasciné, à la naissance et au devenir des formes. Dans une série de photographies pour Paris Match en 1966, Hergé se met en scène dessinant Tintin sur une vitre, dans un dispositif comparable à celui du film de Clouzot. L’émission de télévision Tac au tac, au tournant des années 1960 et 1970, filme deux équipes de dessinateurs qui rivalisent sur un thème imposé. Une parodie délirante de Gotlib imagine d’ailleurs la participation de Picasso à cette émission. Dans ces différentes images du dessinateur au travail, les gestes se répondent. Au-delà ou en deçà des hiérarchies établies, elles font apparaître un territoire commun où Picasso dialogue avec Hergé, Reiser ou Guido Crepax.
Pablo Picasso, personnage de bande dessinée
De La Vie imagée de Pablo Picasso en 1951 dont le scénario est signé Benjamin Péret et André Breton aux albums de Nick Bertozzi (2007), Julie Birmant et Clément Oubrerie (2012-2014) ou encore Daniel Torres (2018), en passant par les dessins de Maurice Henry des années 1940 et 1950 et les œuvres de Philippe Geluck, Pablo Picasso est devenu en quelques décennies un personnage récurrent de la bande dessinée mondiale. À ce point familier, qu’une simple marinière suffit à l’évoquer. Documentées ou fantastiques, théoriques ou absurdes, humoristiques ou émouvantes, et parfois tout cela à la fois, ces bandes dessinées témoignent de la puissance du mythe Picasso dans l’imaginaire contemporain et des multiples visages d’une figure qui ne cesse d’être réinventée.
Les oeuvres phares de l’exposition Picasso et la bande dessinée
Pablo Picasso, Histoire claire et simple de Max Jacob
Esquissée en quelques traits rapides, cette œuvre évoquant une planche de bande dessinée montre l’apothéose fantasmée et burlesque du poète Max Jacob. Les quatre premières scènes dévoilent progressivement le personnage principal, d’abord vu de trois-quarts dos en guenilles, puis de profil et de trois-quarts chez l’éditeur et enfin triomphant de face, tandis que les cases se rétrécissent comme pour précipiter l’action.
Edgar P. Jacobs : Les Aventures de Blake et Mortimer tome 9 – « Le Piège diabolique » : planche encrée n°31
Piégé par son ennemi mortel, Miloch, le professeur Mortimer monte à bord d’une machine à voyager dans le temps. Arrivé dans un futur lointain, il entre dans une immense salle ravagée par des guerres successives. Dans ce décor post-apocalyptique, Edgar P. Jacobs choisit de reprendre des fragments de Guernica (1937), dont il modifie en partie la composition. Le tableau de Picasso devient ici le symbole des conflits et des massacres qui ont conduit la civilisation à sa perte.
Pablo Picasso, Songe et mensonge de Franco
Réalisé au cours de l’année 1937 et exposé avec Guernica lors de l’Exposition internationale de Paris, Songe et mensonge de Franco met en scène, en deux planches de neuf vignettes chacune, la figure monstrueuse du dictateur, proche du personnage Ubu d’Alfred Jarry. Franco à cheval, en mantille ou priant, apparaît en bouffon sanguinaire, tandis qu’en contrechamp, Picasso figure les désastres de la guerre dans la tradition de Jacques Callot et Francisco de Goya.
Pablo Picasso, Portrait-charge de Jaime Sabartés
Dans les années 1950, Picasso multiplie les caricatures de Jaime Sabartès, écrivain catalan, ami de jeunesse et secrétaire particulier de l’artiste à partir de 1935. Celui-ci devient ainsi un personnage récurrent, immédiatement reconnaissable à ses lunettes et à son crâne dégarni. Qu’il le représente nu faisant la cour à sa voisine ou ici, en ivrogne bedonnant, l’artiste invente, en quelques traits, un personnage à la fois naïf et concupiscent.