Initialement prévue jusqu'au 5 juillet 2020, l'exposition Cézanne, qui a été interrompue par la crise sanitaire du coronavirus, est prolongée jusqu'au 3 janvier 2021.
L'exposition Cézanne et les maîtres. Rêve d'Italie présente le travail de Paul Cézanne en regard de chefs-d'œuvre des grands maîtres italiens du XVIe au XXe siècle. L'exposition Cézanne est à voir à Paris au musée Marmottan Monet à partir du 27 février 2020.
Les tableaux de Cézanne sont présentés à la lumière de chefs-d'œuvre italiens des XVIe et XVIIe siècles. Les liens qui unissent le peintre aux maîtres anciens établis à Venise, Naples et Rome apparaissent ainsi très nettement. Mais l'Aixois a lui aussi été source d'inspiration pour les jeunes générations issues du Novecento : la confrontation de leurs toiles avec les siennes l'atteste incontestablement. L'interprétation des artistes de la péninsule Italienne diffère profondément de celle des cubistes parisiens et s'ancre dans l'« italianité » qui a nourri Cézanne. À l'éclatement des formes voulu par les cubistes, les Italiens préfèrent la lignée métaphysique, silencieuse et classique de l'œuvre ultime du peintre d'Aix.
La première partie de l'exposition Cézanne et les maîtres. Rêve d'Italie est consacrée au dialogue que Paul Cézanne entretient avec les maîtres italiens des XVIe et XVIIe siècles tout au long de sa vie. Lecteur de Virgile, d'Ovide et de Lucrèce dans le texte, visiteur infatigable des musées du Louvre et d'Aix-en-Provence, Paul Cézanne – qui ne fera jamais le voyage en Italie – se tourne dès ses débuts vers les maîtres de ce pays.
L'influence de Venise est déterminante. Son hommage au plus célèbre élève du Titien, le Greco, dont il réinterprète La Femme à l'hermine (collection particulière), y fait référence. Pour autant, Paul Cézanne ne verse jamais dans la simple copie. Au contraire, Cézanne assimilant l'art des musées, crée une œuvre qui lui est propre. Il en dégage l'esprit et le modernise. Des peintres de la lagune, Cézanne étudie la touche. Le Portrait d'Antonio da Ponte d'après Bassano (Paris, musée du Louvre) et sa Tête de vieillard (Paris, musée d'Orsay) témoignent d'une même approche de la couleur. À Venise et à Aix, elle est l'élément clé dont émergent tout à la fois la forme, le volume et la lumière. Elle est la pierre angulaire de leur art. En ce sens, la couleur prime sur le dessin, elle le contient. Cézanne capte également l'emphase, voire le tragique d'un Tintoret. Ses toiles les plus violentes, exécutées à ses débuts, s'inscrivent dans ce sillon. Son Meurtre (Liverpool, Walker Art Gallery) a l'impulsion de la Déploration (Nancy, musée des Beaux-Arts) de Tintoret, sa Femme étranglée (Paris, musée d'Orsay) reprend, en l'inversant, le mouvement du corps du Christ de la Descente de Croix du même artiste (Strasbourg, musée des Beaux-Arts).
Le modèle napolitain l'inspire également. Les toiles sont plus silencieuses, empreintes de mystère, comme le montre le voisinage du Prophète en buste lisant du Maître de l'Annonce aux bergers (Bordeaux, musée des Beaux-Arts) et du Portrait de la mère de l'artiste (Saint Louis Art Museum). Toutefois, c'est à travers le modèle romain et Nicolas Poussin que Paul Cézanne élabore l'œuvre de la maturité. Dorénavant l'Aixois ne quitte plus le Midi, il embrasse le point de vue des classiques, leur modèle est le même : la nature et la lumière méditerranéennes. La Montagne Sainte-Victoire (Paris, musée d'Orsay) fait alors écho à la silhouette des monts Albains que Francisque Millet place dans son Paysage classique (Marseille, musée des Beaux-Arts). Château Noir (Paris, musée Picasso) et la carrière de Bibemus dialoguent avec les éperons rocheux du Latium tels qu'ils apparaissent dans le Paysage avec Agar et l'ange de Poussin (Rome, Galleria Nazionale, Palazzo Barberini). De fait, Cézanne partage avec Poussin le même désir de permanence; il veut «faire du Poussin sur nature». Ainsi les nymphes du Paysage de Bacchus et Cérès (Liverpool, Walker Art Gallery) et les figures du Moïse sauvé des eaux (Paris, musée du Louvre) préfigurent-elles les baigneuses sans que celles-ci les copient jamais. Empreintes du même équilibre classique, ces baigneuses résument la démarche de Paul Cézanne : «faire de l'impressionnisme quelque chose de solide et durable comme l'art des musées».
Paul Cézanne – Madame Cézanne accoudée
La seconde partie de l'exposition Cézanne et les maîtres. Rêve d'Italie est dédiée à l'influence de Paul Cézanne sur les peintres du Novecento. Soffici, Carrà, Boccioni, Morandi, Pirandello découvrent l'Aixois soit à Paris à l'occasion de la rétrospective posthume de 1907, soit en Italie où il est exposé dès 1908 et recherché des amateurs Egisto Paolo Fabbri et Charles Loeser, installés à Florence. Tous reconnaissent en Cézanne le passeur d'une certaine idée classique, un peintre de la permanence, et établissent un lien entre la solidité des primitifs italiens et le Français. Les Italiens rompent définitivement avec la peinture religieuse ou mythologique des anciens ; ils privilégient le dépouillement et la simplicité des thèmes cézanniens : paysages, figures et natures mortes. Le portrait d'enfant de Boccioni (collection particulière) fait écho à celui de Mme Cézanne (collection particulière). Cabanes sur la plage de Carrà (Turin, Galleria Civica d'Arte Moderna) et Paysage de Morandi (Aix-en-Provence, musée Granet) partagent l'atmosphère silencieuse, voire mystique de l'ultime chef-d'œuvre de Paul Cézanne, Le Cabanon de Jourdan (Rome, Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea). Les Cinq Baigneurs (Paris, musée d'Orsay) de l'Aixois offrent à Morandi en 1915 et à Pirandello en 1955 la matrice de leurs toiles sur le même thème. Enfin, les natures mortes de Morandi mises en regard de Nature morte, poire et pommes vertes (Paris, musée de l'Orangerie) résument à elles seules la portée métaphysique et silencieuse qui réunit l'œuvre de Paul Cézanne et celles des maîtres italiens du Novecento.
Pour réunir, auprès des Cézanne, les toiles les toiles de maitres, tels le Tintoret, Bassano, le Greco, Poussin, Rosa, Munari, Boccioni, Carrà, Rosai, Sironi, Soffici, Pirandello ou Morandi, il aura fallu solliciter des prêts dans le monde entier. Quarante-trois prêteurs, collectionneurs particuliers et musées français, italiens, canadien, américains, suisses, allemands, anglais, écossais, espagnol, japonais, ont permis de rassembler une soixantaine de toiles.
Parcours de l'exposition Cézanne et les maîtres. Rêve d'Italie
Le peintre ne s'est jamais rendu en Italie. Cependant, sa peinture, dans cette part majeure dédiée à la Provence natale, apparait dans la plénitude d'une inspiration antique toujours vive car ce pays est dans la conquête des espaces mythiques qui fût la sienne; figures, paysages, natures mortes, une autre Italie. Cézanne, par sa culture de la civilisation latine, puise très tôt la mystique constructrice de sa peinture dans les foyers vénitien, chez J. Tintoret, napolitain, chez J. Ribera et L. Giordano – nourris de ce réalisme transcendé cher à l'Espagne –, romain, chez N. Poussin qui inscrivit l'ordonnance française au sein de la poésie élégiaque baroque.
Plus secrètement, Cézanne est aussi sensible à la violence exacerbée des compositions de S. Rosa. Indéfiniment le peintre visitera le musée du Louvre comme celui d'Aix. L'aide-mémoire lui permet d'asseoir dans la permanence sa vision du Monde ancrée dans la fresque et la statuaire antiques. L'imprégnation fut aussi celle de la philosophie stoïcienne, épicurienne, de la poésie virgilienne et ovidienne.
De ces influences d'une peinture ancienne, progressivement dégagées de l'interprétation, surgit le désir de permanence. Le peintre soumet les apparences visuelles à la solidité des formes. L'expérimentation continue ouvre le chemin d'une logique de la sensation visuelle et permet la mise à l'épreuve d'une poétique de la nature autonome, considérée sous toutes ses formes, humaine, minérale ou végétale. Autant de tableaux désormais construits organiquement après la clôture de l'épisode impressionniste et parisien, dans l'espace et le temps de la topographie méditerranéenne. L'esprit de synthèse dans la peinture de Cézanne a reçu de cette culture gréco-latine mais il a aussi donné abondamment aux artistes italiens de la première moitié du XXe siècle, ceux qui ont voulu comprendre la structure intérieure de la plastique cézanienne : A. Soffici, U. Boccioni, C. Carrà, O. Rosai, M. Sironi, G. Morandi, F. Pirandello ont pratiqué la séparation des plans et des masses colorées dans l'absorption du dessin.
Entre modèles inspirés et modèles inspirateurs la peinture de Cézanne est au centre d'un continuum italien. Ainsi, Venise, Naples Rome évoquent en une vingtaine de tableaux les influences reçues. Treize autres évoquent la réception de Cézanne dans le Novecento italien tandis que trente-et-un tableaux du maitre se font l'écho précis de ce double jeu.