Josef Koudelka. Ruines
Article mis à jour le 05/07/20 00:52
BnF, François-Mitterrand, galerie 2, Paris
Exposition du 15 septembre 2020 au 16 décembre 2020
"Les Grecs et les Romains ont été les plus grands paysagistes de l'Histoire et dès lors, pour moi, photographier le paysage, c'était donner à voir cette admirable science de l'espace, de la lumière et des formes. J'ai trouvé ce qui m'est désormais le plus précieux, le mariage de la beauté et du temps." Josef Koudelka, extrait de Rencontre, texte de Bernard Latarjet dans le catalogue de l'exposition Ruines.
La BnF consacre une exposition au photographe français d'origine tchèque Josef Koudelka. L'exposition Josef Koudelka est à voir à partir du 15 septembre 2020 à Paris.
Pendant près de 30 ans, Josef Koudelka a sillonné 200 sites archéologiques du pourtour méditerranéen, dont il a tiré des centaines de photographies panoramiques en noir et blanc. De ce projet singulier, la Bibliothèque nationale de France présente 110 tirages exceptionnels : un ensemble inédit intitulé Ruines, qui révèle toute la force et la beauté du lexique visuel de Koudelka. La BnF met ainsi à l'honneur l'un des derniers grands maîtres de la photographie moderne, un photographe à l'œuvre monumentale, qu'Henri Cartier-Bresson considérait comme son "frère" en photographie et dont il avait décelé l' "œil de peintre".
A la faveur de l'exposition "Josef Koudelka. Ruines" le photographe offre au département des Estampes et de la photographie une collection de près de 170 tirages, matrice inestimable de ce projet hors-norme.
Projet sans équivalent dans l'histoire de la photographie, la série Ruines est le résultat d'un travail personnel de trente années durant lesquelles Josef Koudelka a parcouru 21 pays du pourtour méditerranéen pour photographier les ruines de tous les hauts lieux de la culture grecque et latine, berceaux de notre civilisation. Si certaines images ont pu être exposées et publiées auparavant - Periplanissis (1997), Chaos (1999), Rome, théâtre du temps (2003), Vestiges (2013) – la série Ruines forme un ensemble de 110 tirages qui n'a jamais été montré.
"Chaque exposition est pour Josef Koudelka l’occasion de livrer une nouvelle et singulière interprétation de son œuvre avec une scansion toujours pensée pour un espace et un moment particuliers : ici, l’espace de la grande galerie de la BnF I Mitterrand, à un moment qui pourrait être perçu comme l’ultime étape de son périple." Héloïse Conésa, conservatrice au département des Estampes et de la photographie, commissaire de l’exposition Ruines.
De la France à la Syrie, en passant par le Maroc, la Sicile, la Grèce ou la Turquie, ce sont 110 immenses photographies panoramiques en noir et blanc qui livrent le regard de Koudelka sur la beauté chaotique des ruines, vestiges de monuments transformés par le temps, la nature, la main de l'homme et les désastres de l'Histoire.
Au fil du temps, le panorama est devenu la signature des paysages de Josef Koudelka. Il offre le moyen de se projeter en imagination sur les lieux mêmes qui sont représentés pour rejouer l'expérience du paysage et inviter le spectateur au voyage. Mais par l'usage singulier qu'en fait le photographe, le panorama, fragmentaire et bouleversé, est aussi à même de restituer l'image ambivalente de la ruine. Ces images à fleur de sol, en plongée ou en contre plongée, guident le spectateur sur des sites maintes fois reproduits et réfutent l'impression de déjà vu par le regard inédit du photographe. Alternance de vues lointaines et de gros plans, de fragments, de jeux d'ombres et d'étagement des plans, les photographies de Koudelka témoignent d'une vision subjective et éclatée du paysage antique, qui pose la série Ruines comme une vaste allégorie du monde.
Koudelka ne souhaite pas immortaliser les ruines antiques, les figer dans une vision romantique mais bien au contraire revenir encore et toujours sur les mêmes lieux pour en enregistrer les évolutions liées au passage destructeur du temps et des hommes, de la nature qui reprend ses droits. Chez Koudelka, l'art et plus précisément la beauté réaffirment leur présence au cœur de ce qui fait et défait le monde. Pour le photographe, la répétition en tant que méthode et non en tant que motif est aussi justement ce qui lui permet d'atteindre la bonne photographie, ce qu'il nomme son "maximum" : répéter les mêmes gestes en accueillant à chaque fois une différence qui inscrit son œuvre non dans le passé mais dans un devenir.
"Ainsi, Koudelka revient sur les sites archéologiques à plusieurs années d’intervalle pour s’affranchir de la fascination ressentie la première fois et proposer de ces ruines que l’on croit éternelles, une image à chaque fois différente qui en approfondira le sens. Durant les mois d’hiver où il ne voyage pas, il fait et défait son œuvre, constamment accroche ou décroche du mur de son atelier ses épreuves, en revoit l’agencement afin de poursuivre sa quête de la photographie atemporelle, celle qui résistera à son regard implacable." Une odyssée panoramique. Extrait du texte d’Héloïse Conésa dans le catalogue de l'exposition Ruines.
Dans les photographies de Koudelka, la somptuosité des levers et des couchers de soleil qui embrasent les pavements, les colonnes, les sculptures des bas-reliefs soulignent avec justesse la merveilleuse géométrie des sites. Le choix du cadre étiré complexifie la composition et confère aux ruines un caractère grandiose. Cette œuvre, digne d'un Sisyphe, est servie par toute une grammaire visuelle faite de vues basculées, fragmentées, de panoramas sans horizons, sublimés par un noir et blanc puissant qui révèle les jeux d'ombres et de lumière.
Ces paysages sont une ode aux ruines de la Mare Nostrum et nous interpellent sur la nécessité de sauvegarder l'héritage de cette civilisation - dont certaines des traces photographiées par Koudelka ont aujourd'hui disparu, détruites par les guerres et le terrorisme, comme à Palmyre. Le photographe valorise ainsi un territoire, aux origines de nos cultures d'Europe, riche des circulations qui l'ont façonné et des archipels qui le peuplent. Ce qui anime ici Koudelka comme dans l'ensemble de ses travaux antérieurs, c'est la recherche de la beauté, une beauté qui peut se nicher au cœur de la destruction mais qui, à l'instar de celle des ruines antiques, résiste.
"C’est le chemin ardu que parcourt, avec son objectif, J. Koudelka par sa maîtrise des champs de prise de vue et de la tectonique des monuments. Il combine les vues d’ensemble et les vues rapprochées, les cadrages horizontaux et verticaux. Ce n’est ni la facture du monument, ni le plan de la ville qui l’intéressent mais le jeu complexe des éléments architecturaux dans leur rapport avec la lumière. Il renoue ainsi avec les premiers dessinateurs des ruines, avant le déferlement des images, pour qui chaque esquisse était une aventure." Les ruines émancipées, une généalogie du regard sur le passé. Extrait du texte d’Alain Schnapp, dans le catalogue de l'exposition Ruines.