Le Musée d'Art Moderne de Paris consacre une exposition à Hans Hartung intitulée "Hans Hartung. La fabrique du geste".
1904 – 1939 : Vers l'abstraction
À partir des années 1920, alors qu'il est encore lycéen, Hans Hartung expérimente divers supports et techniques. Dans ses premières séries d'aquarelles abstraites de 1922, qu'il décrit comme des « taches », les couleurs fluides se heurtent et se mêlent. En 1924, les fusains et les sanguines sur papier affirment un trait sobre et vigoureux. Ces recherches témoignent de sa connaissance de l'expressionnisme allemand et participent de son orientation vers l'abstraction, alors que cette nouvelle tendance picturale se diffuse en Europe.
Le jeune peintre admire par ailleurs Rembrandt et Goya, qu'il copie tout en simplifiant le motif. La découverte du cubisme et l'usage du nombre d'or nourrissent les différentes voies qu'il explore. Pour des raisons économiques autant que picturales, il utilise dès 1932- 1933 la mise au carreau et le report de certains pastels ou dessins, qu'il agrandit sur la toile. Dès cette période, Hans Hartung pose les jalons d'une méthode de travail fondée sur la série ; c'est aussi dans la répétition que s'ancre la liberté de son geste.
Au début des années 1930, sur l'île de Minorque (Espagne), où il s'est retiré avec Anna-Eva Bergman, puis à son retour à Paris en 1935, Hans Hartung s'affranchit des styles qu'il avait explorés pour définir sa propre voie. Ses compositions tendent à l'équilibre, jouant sur les interactions entre aplats colorés, fonds et signes graphiques. Dès cette période, ses toiles traduisent une force, une rigueur et une tension qui s'expriment par un vocabulaire plastique fait de grilles, de barreaux noirs et d'éléments calligraphiques.
1940 – 1956 : Peindre à tout prix
Hans Hartung peint peu pendant la guerre ; il est alors confronté à d'importantes difficultés matérielles. Son engagement dans la Légion étrangère fin 1939 le contraint à réduire considérablement son activité. Quelques oeuvres sur papier témoignent de sa précarité mais aussi de son obstination à travailler. Une série de « têtes » représentées de profil, inspirées de la sculpture de Julio González et du tableau Guernica de Pablo Picasso (1937), incarnent l'effroi de l'artiste face à la violence d'une époque et à l'angoisse de tout perdre.
De retour à Paris, invalide de guerre, Hans Hartung travaille dans un grand dénuement dans l'atelier de Julio González, décédé en 1942. Il poursuit ses recherches d'avant 1939 en reprenant le principe du report et en s'appuyant sur ses dessins antérieurs. Ses nouvelles oeuvres se caractérisent par un agrandissement du format, un style calligraphique plus ample et un emploi accru du signe noir sur fond coloré.
Hans Hartung adapte sa manière de peindre aux contraintes physiques liées à la perte de sa jambe droite. Il exécute désormais des oeuvres directement sur de petits formats. Les centaines d'oeuvres sur papier réalisées à l'encre au milieu des années 1950 jouent un rôle fondamental : grandes comme la main, elles constituent un véritable laboratoire de formes, dont quelques-unes sont reportées sur toile, composant les peintures dites des « palmes ».
1957 – 1970 : Agir sur la toile
À la fin des années 1950, Hans Hartung travaille principalement sur papier, réalisant quantité de pastels selon une gestualité rapide et nerveuse, annonciatrice des grattages des années 1960. Les peintures, peu nombreuses, sont les dernières exécutées à l'huile et selon la technique du report. L'artiste agit désormais plus librement sur la toile et parvient spontanément à la forme recherchée, sur de grands formats. À partir de 1960, il expérimente la pulvérisation avec des outils aussi divers que l'aérosol, le spray ou encore un pistolet de carrossier à air comprimé. Ces instruments, qui amplifient le geste, constituent le prolongement de son corps. Afin d'optimiser la collaboration avec les assistants, cette panoplie d'outils est ordonnée, classée, numérotée. Elle est également photographiée, archivée, dans un souci de documenter toutes les étapes du processus de travail.
La gamme colorée, restreinte, joue sur des tons froids, presque acides : le bleu, le vert turquoise très clair, le jaune citron, le brun foncé presque noir ou tirant sur le vert. La superposition des couleurs permet un travail sur la surface picturale par grattage. Cette technique consistant à enlever de la matière fait écho à la xylogravure et à la lithographie, qu'il pratique par ailleurs. Hans Hartung fait dialoguer les différents procédés. On retrouve les incisions et signes graphiques inspirés de la gravure dans les photographies de ciels striés par des éclats de lumière ; celles-ci servent à leur tour de source d'inspiration pour les tableaux aux effets de halo nuageux.
1971 – 1989 : Le geste libéré
Au début des années 1970, la palette de Hartung prend des accents inattendus en osant des associations de couleurs qui semblent se mettre au diapason d'une époque marquée par l'esthétique pop et le psychédélisme. L'année 1973 s'avère très prolifique, avec 142 peintures, 591 œuvres sur papier, 121 estampes. Si une partie de cette production est réalisée à Paris, dans l'atelier de la rue Gauguet, l'essentiel voit le jour dans la nouvelle propriété d'Antibes, où Hans Hartung et Anna-Eva Bergman s'installent au cours de l'été. L'expérimentation se déploie alors dans deux grands ateliers, dont un à ciel ouvert. Le peintre s'entoure d'une équipe hébergée dans la propriété. L'organisation du travail et le rythme de production ne sont pas sans évoquer une factory à la façon d'Andy Warhol...
Les peintures sur carton témoignent de l'amplification de la production (14 cartons réalisés dans la journée du 29 mars 1977). Hans Hartung se sert de larges rouleaux de lithographie pour peindre des tableaux de grand format et emploie le carton baryté, support utilisé en photographie dont il exploite la brillance dans plusieurs séries.
De 1977 à 1986, Hartung réinvente ses outils. Le balai de branches de genêt trempées dans la peinture et frappées sur la toile, la serpette, la tyrolienne — utilisée dans le bâtiment pour les enduits — et le pulvérisateur à vigne sont quelques-uns des instruments trouvés ou fabriqués pour projeter, tracer, gratter, brosser, abraser, etc. De 1986 à 1989, très affaibli physiquement par un accident cardiovasculaire, le peintre intensifie pourtant son rythme de production de manière spectaculaire, dans une fureur de peindre qui s'exprime à travers de très grands formats allant jusqu'à 3 × 5 mètres.