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Claudine Nougaret, dégager l'écoute

Le son dans le cinéma de Raymond Depardon

BnF - François-Mitterrand, Galerie des donateurs, Paris

Exposition du 14 janvier 2020 au 15 mars 2020

On associe l'œuvre de Raymond Depardon à la photographie et au cinéma. L'attention aux images ferait oublier qu'il y a aussi la production d'un portrait sonore des lieux. C'est précisément le son dans le cinéma de Raymond Depardon qu'explore cette exposition.

L'exposition "Claudine Nougaret, dégager l'écoute. Le son dans le cinéma de Raymond Depardon" de la Bibliothèque nationale de France est née suite à la rencontre de Claudine Nougaret avec Gabriel Bergounioux, sociolinguiste, directeur du Laboratoire Ligérien de Linguistique (LLL), qui voit dans la bande son du film Les Habitants (2016) un formidable sujet pour l'étude du français parlé.

Les films de Claudine Nougaret et Raymond Depardon constituent une matière exceptionnelle pour la recherche sociolinguistique. Désormais conservés à la BnF, le son, les langues, la parole et les voix fixés dans les films documentaires des deux auteurs sont autant d'éléments d'un patrimoine précieux à étudier.

Le son

L'évolution des matériels et des supports a transformé les conditions de saisie et de restitution du son et de la parole, au cinéma comme dans les laboratoires. En particulier, l'apparition du magnétophone a permis de faire des enregistrements de terrain qui ont fait évoluer la connaissance des pratiques linguistiques. Aujourd'hui, les enregistreurs numériques ont encore changé notre relation à la mémoire sonore.

La parole est une forme très spécifique de signal sonore. Lien social, représentation symbolique du monde, expression des affects et des pensées, elle partage les mêmes propriétés physiques que tous les bruits que capte notre oreille. En tant que signal, elle résulte de trois paramètres :

- une fréquence qui fait qu'un son est grave ou aigu (mesurable en Hertz),

- une intensité, selon que le son est faible ou fort (en décibels),

- une durée, en secondes.

Dans le cadre de l'exposition, Olivier Baude et Guykaiser montrent les évolutions de ces paramètres dans un dispositif vidéo accompagnant le film tourné pour l'occasion. Sur un écran, le visiteur pourra identifier le temps indiqué par le défilement continu, l'intensité par la différence des couleurs et la hauteur par l'étagement vertical.
Les langues

Raymond Depardon et Claudine Nougaret ont fixé le témoignage de quelques langues, en Amazonie par exemple, mais c'est surtout leur observation des pratiques langagières en France qui a retenu l'attention des chercheurs du LLL, y compris le contexte de langues aujourd'hui menacées. Lors des échanges recueillis en Lozère, l'occitan est présent en arrière-plan et rappelé au cours du dialogue autour de la table, dans la cuisine de la ferme.

Recueillir ces propos, c'est aussi comprendre ce qu'ils disent d'une situation dans laquelle les locuteurs assistent à l'effacement de leur langue, avec son poids d'histoire et de culture.

L'image du français est largement déterminée par sa représentation écrite. L'école joue dans ce domaine un rôle capital. Le cinéma restitue à la parole sa dimension vivante : le son des voix, les intonations, les accents, les variations de registre sont présents et ils participent de l'échange, de la communication, de la relation sociale. Cette diversité des conduites et des réalisations est une richesse.

Les sociolinguistes du LLL tentent d'en saisir des échantillons. Le film Les Habitants de Raymond Depardon en offre un instantané. L'efficacité avec laquelle ont été recueillis des propos au quotidien, entre des personnes qui se connaissent, constitue une mémoire d'une relation sociale mise en mots, qui est venue occuper une place singulière dans la collecte de données.
La parole

Il y a les langues que l'on parle et les paroles que l'on dit. Dans l'expression des locuteurs, qui met en œuvre les ressources d'une langue, dans ce qu'en reçoivent les auditeurs, un échange se construit qui aboutit à un répertoire d'emplois où se retrouvent les mots à la mode et les locutions désuètes (qui a encore aujourd'hui recours à des proverbes ?), les allusions et les invectives…

Mais il est aussi des paroles que tout le monde entend, que véhiculent les médias, qui émanent de la sphère publique, tenues par des personnes autorisées à être présentes sur les ondes, dont on rapporte les faits et les paroles. Comme dans Reporters où se donne à voir le mécanisme de fabrication d'un discours autorisé.

Entre les interactions quotidiennes et les médias, il y a ce qui se dit au sein des institutions. Les films tournés au tribunal, dans les commissariats, les hôpitaux, les établissements psychiatriques, mettent en évidence la distance qui sépare la considération portée par les organismes chargés de rendre la justice ou de suivre les patients et ce qu'en disent ceux qui sont pris en charge par ces institutions.

Cette parole en souffrance se matérialise dans une façon de dire et de se dire, dans un usage spécifique des pronoms personnels… ou l'importance du silence, dans ce qu'en peut saisir une observation de la forme sonore, du lexique, de l'emploi des temps et des modes, des enchaînements…
La voix

Dans un film, la voix superpose le propos et l'image du locuteur. Ce n'est plus la représentation désincarnée que donne l'écriture dans une transcription mais la personne elle-même, avec son histoire, ses gestes, ses inflexions qui s'impose. A une notation conventionnelle, orthographique des propos, il est possible d'ajouter toutes les indications du spectrogramme et une écriture plus proche de l'énoncé réel, une transcription phonétique – en Alphabet Phonétique International (A.P.I.) le plus souvent – pour en saisir certaines propriétés.

La fiabilité des analyses dépend en grande partie de la qualité du son saisi au moment où le locuteur s'exprime. L'ingénieur du son est seul à même de pondérer le signal, de sélectionner dans l'élément acoustique les formes sonores déterminantes pour la compréhension, de « dégager la parole ».

Chaque voix est singulière, caractéristique d'un locuteur et d'un seul. Ou d'une locutrice, et d'une seule. Chacun a un certain usage de la langue selon l'endroit où il a vécu et où il vit, selon son milieu social, son état au moment où il prend la parole, la qualité de son auditeur. La voix est plastique, variable, sociale et intimement personnelle.

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