La Fondation de l'Hermitage présente l'exposition Le Canada et l'impressionnisme. Nouveaux horizons. A voir à Lausanne à partir du 24 janvier 2020.
L'exposition Le Canada et l'impressionnisme. Nouveaux horizons est l'occasion de découvrir ou redécouvrir un certain nombre d'artistes canadiens qui ont diffusé le mouvement impressionniste au Canada.
Couvrant près de cinq décennies, l'exposition rassemble environ 100 peintures de quelque 35 artistes canadiens, qui proviennent d'importants musées, principalement canadiens, et de collections particulières.
Rarement montrées en Europe, les œuvres de cette exposition sont regroupées en huit sections retraçant le parcours des artistes canadiens, depuis leur initiation à l'impressionnisme jusqu'à leur réinterprétation du mouvement, qui permet l'émergence d'une avant-garde nationale.
En route pour Paris !
Habité depuis des temps immémoriaux par les peuples autochtones et colonisé, à partir du XVIe siècle, par les Français puis les Anglais, le Canada devient une confédération dotée d’un gouvernement autonome en 1867. Initialement constitué de quatre provinces orientales (trois anglophones et une francophone), le pays s’étend ensuite vers le Pacifique à l’ouest et jusqu’à l’Arctique au nord. Comprenant aujourd’hui dix provinces et trois territoires, le Canada reste marqué par l’histoire de la colonisation et de l’immigration.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la jeune confédération offre peu d’institutions où les artistes peuvent recevoir une formation. À Montréal (Québec) et à Toronto (Ontario), les premiers établissements artistiques naissent et se développent progressivement. Mais, pour qui aspire à une carrière de peintre et dispose de ressources financières suffisantes pour un voyage à l’étranger, étudier à Paris, le centre artistique international, reste un parcours de choix. La prestigieuse École des beaux-arts et les académies privées Julian et Colarossi, qui avaient ouvert leurs portes aux femmes, permettent d’être formé par des artistes français de renom, comme Jean-Léon Gérôme, William Bouguereau et Léon Bonnat. Ce cursus offre non seulement un solide bagage technique et artistique aux étudiants canadiens, mais leur ouvre aussi la voie à des carrières artistiques, à l’étranger comme dans leur pays d’origine.
Impressions de France
Venus se former à Paris à la fin des années 1870 et dans les années 1880, les jeunes artistes canadiens, comme Paul Peel, Maurice Cullen, James MacDonald Barnsley, William Blair Bruce et William Brymner, y sont confrontés à une scène artistique foisonnante, marquée ces années-là par la révolution impressionniste que Claude Monet et ses compagnons ont initiée en 1874.
Bien que les académies françaises proposent une formation principalement basée sur le rendu de la figure humaine, des artistes tels que Bruce et Brymner se tournent vers la peinture de paysage. Ils suivent d’abord la tradition de l’École de Barbizon, un groupe de peintres paysagistes qui, de 1825 aux années 1860-1870, travaille en plein air dans la forêt de Fontainebleau, près de Paris. Les tons feutrés et sombres de leurs paysages, de même que leur simplicité, en témoignent.
En 1887, avec plusieurs collègues américains, Bruce fonde une colonie d’artistes à Giverny, où vit Monet. Là, son style évolue : ses coups de pinceau deviennent plus lâches et ses couleurs plus vives, capturant le changement des saisons, les variations de la lumière et les reflets à la surface de l’eau. Bruce devient le premier Canadien à peindre dans le style impressionniste.
À l’instar des impressionnistes français, les artistes canadiens sont nombreux à explorer la campagne de l’Île-de-France, installant leur chevalet au bord de la Seine et du Loing. Captant la finesse de la lumière et les miroitements des rivières, ils offrent des vues paisibles, qui invitent à la contemplation du lent passage des péniches ou du travail des lavandières affairées sur la berge.
Lieu de formation privilégié des Canadiens aspirant à devenir peintres – et ce, malgré le pouvoir d’attraction de Londres, notamment auprès des anglophones – Paris sera assez peu représenté par les artistes Canadiens. À l’exception de James Wilson Morrice et, plus occasionnellement de William Blair Bruce, de Maurice Cullen et de Clarence Gagnon, rares sont ceux qui s’intéressent à la ville et à la modernité de la vie urbaine. Il faut dire qu’à cette époque, la fascination des artistes pour les transformations profondes apportées à la ville sous le baron Haussmann, au milieu du siècle, s’est déjà quelque peu estompée.
Né à Montréal et arrivé en 1890 à Paris, Morrice fait figure d’exception. En effet, pour le jeune artiste formé dans l’atelier d’Henri Harpignies, peintre de l’École de Barbizon, la ville sera un véritable atelier à ciel ouvert. Tout au long de sa carrière, observant ses lieux historiques et ses rues pittoresques, Morrice livre une riche chronique de la vie parisienne, dans un style intimiste et coloré reconnaissable entre tous. Même s’il fut influencé par l’impressionnisme, Morrice ne se sent pas contraint par la lumière et ne ressent pas l’urgence de saisir ses valeurs changeantes. Au contraire, lorsqu’il restitue le spectacle de rue ou un paysage en quelques notations simples et justes, il cherche à capter la scène et à la rendre éternelle. Son usage faussement naïf de la couleur et son économie du détail ne sont pas sans rappeler la peinture des nabis, qui marquent la scène artistique française à la toute fin du XIXe siècle.
Sur les côtes françaises
À la fin du XIXe siècle, les artistes français portent un nouveau regard sur le paysage côtier: au lieu de sublimer la force naturelle de la mer, ils la peignent «apprivoisée». En écho au développement du tourisme balnéaire lié au déploiement du réseau ferroviaire vers la Manche, pêcheurs et marins cèdent ainsi la place à des citadins se promenant sur le rivage ou assistant à des régates.
Ces scènes inspirent également les artistes canadiens, qui se rendent dès le tournant du XXe siècle dans les stations balnéaires prisées de Bretagne et de Normandie. Leurs œuvres montrent des plages fort fréquentées, inondées de lumière, où les vacanciers se délassent dans un monde insouciant. Les scènes de plage réalisées par James Wilson Morrice, Clarence Gagnon ou encore Helen McNicoll reflètent la vie sociale des bords de mer plutôt que la nature côtière.
Jeunesse et soleil
À la fin du XIXe siècle, le thème de l’enfance occupe, en Occident, une place centrale dans les réflexions philosophiques et dans les discussions littéraires et artistiques. Avec la popularité croissante des portraits d’enfants, les peintres impressionnistes produisent un corpus d’œuvres remarquable représentant des enfants de familles aisées, dans des scènes domestiques intimistes ou dans des représentations plus animées de jeux en extérieur. Les scènes rurales sont également fréquentes, ce qui contraste fortement avec l’industrialisation et l’urbanisation rapides de l’époque.
Avec leurs évocations puissantes et intemporelles de l’enfance, les impressionnistes canadiens mettent à l’honneur ce sujet longtemps négligé. Helen McNicoll et Laura Muntz se sont fait remarquer pour leurs tableaux montrant des enfants absorbés dans leurs activités. Ces artistes profitent des nouvelles possibilités qu’offre l’impressionnisme pour représenter les figures: dans leurs compositions, elles utilisent la lumière et la couleur pour exprimer l’innocence et la joie de vivre de leurs jeunes modèles, offrant de subtiles méditations sur la fugacité de l’enfance.
À la campagne
Avant même d’arriver en Europe, de nombreux artistes canadiens sont déjà familiers avec la peinture en plein air, grâce à la formation qu’ils ont reçue en Amérique du Nord. Cependant, la découverte des différents courants artistiques qui prévalent en France bouscule leur manière d’appréhender la campagne. Le credo des impressionnistes français – représenter non le paysage, mais la sensation qu’il produit – influence les scènes d’extérieur des artistes canadiens. En captant sur le motif les changements de lumière et d’atmosphère, ils font de la nature leur nouvel atelier, et modifient leurs sujets et leur méthodologie. La lumière elle-même devient un thème pictural, et ne sert plus simplement à définir l’espace et le volume.
Comme leurs collègues français, les artistes canadiens fréquentent la campagne – que ce soit celle des environs de Paris, de l’arrière-pays normand et breton, ou encore des autres pays qu’ils visitent, créant ainsi un impressionnant corpus d’œuvres consacrées au paysage. Ils le représentent cultivé et aménagé par l’homme. Ils s’intéressent également à la population rurale, souvent montrée dans ses activités quotidiennes. À d’autres occasions, la nature apparaît comme un espace de détente pour la bourgeoisie, qui vient s’y retirer à l’écart de l’agitation de la métropole. Pour le public canadien, les paysages peints en France et en Europe sont une ouverture vers un monde en grande partie inconnu, qui suscite l’intérêt et la curiosité.
Les femmes et leurs loisirs
Au XIXe siècle, la représentation des activités domestiques des femmes et des enfants intéresse tout particulièrement les artistes femmes, qui réagissent ainsi directement à la séparation des sphères masculine et féminine de l’époque victorienne. Avec les débats contemporains sur le progrès industriel, l’égalité des sexes ou le suffrage des femmes au Canada, les peintres – hommes et femmes – observent de près les nouveaux courants qui, en Europe, revisitent le rôle de la femme.
Nourris par l’impressionnisme, les artistes canadiens explorent les qualités de la lumière et l’atmosphère de leur environnement immédiat, tout en cherchant à révéler l’intemporalité et l’universalité du modèle féminin, qu’il soit nu ou habillé. Alors que les nus féminins n’étaient pas communs au Canada à cette période, les artistes Marc-Aurèle de FoySuzor-Coté ou Arthur Dominique Rozaire contribuent significativement au développement de ce genre.
Nouveaux horizons
Au tournant du XXe siècle, les artistes canadiens poursuivent leurs recherches audelà des frontières françaises, à la recherche de nouveaux sujets et de nouvelles lumières. Des voyages en Italie, en Espagne, en Afrique du Nord et aux Caraïbes enrichissent leurs connaissances artistiques et leur ouvrent de nouveaux horizons. Venise, perçue comme la «Porte de l’Orient», est la destination favorite en Méditerranée. Les artistes sont fascinés par le charme et l’atmosphère uniques de cette ville, et en particulier par les miroitements de la lumière sur l’eau et les reflets qui animent les façades.
La Première Guerre mondiale, qui éclate en 1914, paralyse les trajets transatlantiques et empêche les artistes canadiens de continuer à parcourir l’Europe. Plusieurs d’entre eux se tournent vers les Caraïbes, qui deviennent rapidement une destination de choix. Ces vues de terres lointaines, dont ils peignent différents sites, révèlent une fascination pour les lieux et les coutumes qui leur sont étrangères.
Retour au Canada
Si certains peintres comme James Wilson Morrice, Helen McNicoll et William Blair Bruce restent en Europe, de nombreux artistes canadiens rentrent chez eux après avoir parachevé leur formation à l’étranger. Cette première génération d’impressionnistes canadiens se confronte à la topographie très spécifique de leur pays, à la légèreté de l’air et à la pureté de la lumière du Nord – ce qui exige de nouvelles stratégies picturales. L’hiver, la saison la plus inhospitalière pour le travail en plein air, inspire certaines des peintures de paysage les plus emblématiques du Canada. Ces vues exécutées à la manière impressionniste viennent détrôner les œuvres de l’école de Barbizon et de l’école de La Haye, qui séduisaient jusqu’alors les collectionneurs d’art canadien.
La plupart des paysages rassemblés ici ont été réalisés dans la province de Québec. Ils ont en commun de montrer la nature habitée et cultivée par l’homme, bien loin d’un idéal de nature «sauvage» et intacte. Fermes, clôtures et traîneaux racontent la présence humaine dans un environnement à la fois grandiose et domestiqué, dans des scènes québécoises évoquant les modes de vie traditionnels, la ruralité et le régionalisme.
La vie urbaine
La glorification de la vie rurale est une réaction face à l’industrialisation et l’urbanisation galopantes. Au début du XXe siècle, Montréal et Toronto sont devenus des centres économiques et culturels qui attirent à eux une grande partie de la population paysanne. Les paysages urbains présentés ici montrent la vie hivernale dans les villes, que ce soit Montréal, Québec, Ottawa ou Saint-Jean de Terre-Neuve. Ils montrent la tension entre modernité et tradition: gares ferroviaires, bateaux à vapeur, cheminées d’usines et éclairages électriques témoignent des innovations technologiques, tandis que l’omniprésence des véhicules tirés par des chevaux évoque un mode de vie ancestral.
Les peintres canadiens bénéficient de la croissance de l’infrastructure artistique dans les villes, qui joue un rôle considérable dans leur succès. Les marchands d’art et les collectionneurs ont ainsi participé à la promotion et à la diffusion de l’impressionnisme au Canada, en particulier à Montréal. De même, les artistes ont pu plus facilement exposer leurs œuvres et bénéficier du soutien d’organisations, telles que l’Art Association of Montreal, l’Ontario Society of Artists à Toronto et la Royal Canadian Academy.
De l’impressionnisme au modernisme
Après avoir assisté, et parfois participé, au premier conflit mondial qui a laissé l’Europe en lambeaux, les peintres canadiens se retrouvent, sur la scène artistique de leur pays, face à deux voies divergentes au début des années 1920. L’une, dominante, prône l’académisme et l’autre promeut l’émergence d’une nouvelle esthétique moderniste, à même de restituer l’originalité de leur jeune nation. Au-delà de ce clivage, certains impressionnistes canadiens comme Maurice Cullen et Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté poursuivent dans leur voie. Par la liberté esthétique qu’ils cultivent, ces artistes contribuent à remettre en question les conventions officielles de l’art canadien, et fournissent un terreau qui nourrira les peintres de la génération suivante.
Travaillant de manière novatrice en assimilant des éléments du néo-impressionnisme, du fauvisme, de l’Art nouveau et des autres courants postimpressionnistes, les jeunes peintres canadiens créent des expressions artistiques originales, notamment autour de deux groupes fondés en 1920: le Groupe des Sept à Toronto et le Groupe de Beaver Hall à Montréal. Les membres du Groupe des Sept, convaincus par leur expérience de la guerre que l’art est au service de la nation, considèrent que la peinture de paysage est le genre le plus représentatif du Canada. Le Groupe de Beaver Hall – du nom de la rue Beaver Hall à Montréal où se situaient son atelier et son espace d’exposition – aborde quant à lui un large éventail de sujets, allant des scènes de la vie urbaine aux portraits. Sans défendre une idéologie ou une esthétique collective, les peintres de ce groupe montréalais sont des pionniers de la peinture moderniste figurative canadienne. Alors que le Groupe des Sept ne comprend que des hommes, le Groupe de Beaver Hall réunit un nombre important de femmes.
Le Groupe des Sept
Le Groupe des Sept voit le jour à Toronto en 1920 et, avec le Groupe de Beaver Hall de Montréal, il marquera considérablement la peinture canadienne des décennies suivantes. Les jeunes artistes qui le forment se sont rencontrés à Toronto dans les années 1910 et ils cherchent à développer un art typiquement canadien, enraciné dans le paysage. Ils découvrent rapidement que la touche audacieuse et épaisse, la couleur soutenue et les motifs décoratifs hérités du postimpressionnisme sont essentiels au développement d’une peinture nouvelle, permettant d’exprimer une identité nationale. Ensemble, ils voyagent au nord de Toronto, notamment dans la baie Georgienne, le parc Algonquin, puis dans la région d’Algoma et du lac Supérieur. Ils en célèbrent les paysages sauvages, optant délibérément pour des vues vides de toute présence humaine et de toute trace d’industrialisation.
Les œuvres de ces artistes au nationalisme revendiqué, en particulier Tom Thomson, le précurseur du Groupe des Sept qui se noie en 1917, et Lawren Harris, s’inscrivent pleinement dans l’histoire de l’art du Canada. Avec J.E.H. MacDonald, A.Y. Jackson, Arthur Lismer, Frederick H. Varley, Franklin Carmichael et Franz Johnston, ils sont à l’origine de la création de la première école de peinture nationale au Canada. L’émergence de ce groupe artistique résolument canadien n’aurait pu avoir lieu sans l’impulsion cosmopolite rapportée d’Europe par les impressionnistes canadiens au tournant du XXe siècle.