« Les monuments égyptiens du musée d’Aix suffisent parfaitement pour donner une idée exacte des diverses phases de l’art pharaonique ». L’avant-propos d’Honoré Gibert, conservateur du musée, dans son catalogue de 1882 comprenant les Monuments archéologiques, les sculptures et les objets de curiosité séduisaient déjà le lecteur.
Car si les plus de 150 pièces répertoriées pour la civilisation égyptienne – reliefs, stèles, vases, figurines, amulettes et momies – peuvent sembler minces parmi les 13000 œuvres que comptent les collections du musée Granet, elles révèlent parfaitement le goût des érudits et collectionneurs pour l’Égypte, né au cœur de la redécouverte de l’Antiquité au XVIe siècle et amplifié au tournant du XIXe siècle par les recherches et expéditions menées notamment par le général Bonaparte.
La publication de la monumentale Description de l’Égypte en 10 volumes de textes et 13 volumes de planches entre 1809 et 1829 diffuse cet engouement et le succès ne s’en dément plus jusqu’à la dernière exposition Toutânkhamon en... 2019.
À Aix, le sarcophage peint de Ptahirdis et la momie qui y a été placée à l’époque moderne ont également eu leur heure de gloire auprès des visiteurs du musée, de génération en génération, et sont parmi les dernières pièces des fonds « historiques » a être entrées dans les collections du musée Granet.
Plusieurs fils se tissent entre les quatre principaux collectionneurs qui ont fait l’importance du fonds égyptien et l’histoire de l’égyptologie aixoise.
Les cabinets de curiosité
C’est également au XIXe siècle que la collection archéologique du cabinet des Fauris de Saint-Vincens, présidents à mortier au Parlement de Provence, fut acquise par la Ville d’Aix-en-Provence. En 1803, Louis-Aubin Millin, conservateur des médailles et antiques à la Bibliothèque Nationale, visite son ami Alexandre Jules Antoine de Fauris de Saint-Vincens et fait le récit par le menu de ce cabinet de curiosités de son hôtel du Cours dans le Voyage dans les départements du midi de la France publié en 1807.
Les deux splendides parois de mastaba y sont décrites et gravées en planche (tome 3, chapitre LXXXVIII, p.348 et planche XLV, n°2 et 3 de l’Atlas). Acquises au XVIIe siècle par Balthasar de Bonnecorse lorsqu’il était consul de France en Égypte et en Syrie et dont Fauris de Saint-Vincens avait acquis la campagne à Saint-Marcel à Marseille, elles devaient s’y trouver jusqu’à ce que Millin indique que l’une d’entre elles avait été placée dans le cabinet à Aix.
Ce sont ainsi quantité de bas-reliefs, vases canopes, figurines de bronze et ouchebtis, amulettes et bijoux, achetés par Fauris de Saint-Vincens père à des voyageurs parcourant le Levant et complétés par la collection de l’humaniste Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, dont Fauris fils hérite par son mariage, qui sont exposés à l’hôtel de ville (le musée d’Aix s’installe au prieuré de l’Ordre de Malte en 1838).
Par deux fois Champollion est venu à Aix
D’un collectionneur à l’autre, c’est François Sallier, amateur éclairé et maire d’Aix sous l’Empire, qui réalise l’inventaire du cabinet des Fauris, ayant lui-même constitué une des collections égyptiennes et d’antiquités les plus renommées. À tel point que son ami le Comte de Forbin, directeur des musées royaux, lui achète des œuvres en 1816 pour le musée du Louvre et qu’un illustre archéologue lui rend visite sur la route de l’Égypte, Jean-François Champollion. Par deux fois, en 1828 et en 1830, il étudia les papyrus de Sallier, que la ville ne parvint pas à conserver, au profit du British Museum où ils figurent parmi les documents majeurs du département égyptien.
Louis-Mathurin Clérian, premier directeur du musée d’Aix, acquiert auprès de Sextius Sallier huit stèles en 1832, puis en 1840 un ensemble de 53 œuvres parmi lesquelles de nombreuses stèles, vases canopes, objets de parure mais également l’étonnante momie de varan d’époque ptolémaïque.
Moins de dix ans après, le peintre éponyme du musée, François-Marius Granet, lègue à sa ville natale en 1849 l’ensemble de son fonds d’atelier et de ses collections rassemblées durant les presque 30 années où il réside à Rome. Notamment chargé par de grands collectionneurs tels que le cardinal Fesch, oncle de Napoléon, d’acquérir antiques et peintures, il conserve à son retour à Aix dans sa bastide de Chazelle ses propres collections. Trois stèles égyptiennes entrent au musée ainsi que l’important groupe sculpté du maire de Thèbes, vizir et grand prêtre de Ptah, Khâemouaset, connu pour avoir supervisé le procès des pilleurs des tombes royales de Ramsès IX que Granet place comme ornement dans son jardin, ce qui explique les traces d’érosion de la pierre.
Cercueils et momies d’animaux
Le nom des Bourguignon de Fabregoules figure parmi les donateurs principaux des collections du musée, dont le fils, héritier d’une des collections d’art les plus importantes de Provence, fait don à la Ville en 1860 puis sa veuve en 1863 d’un ensemble exceptionnel de centaines de peintures, dans le même temps que de très beaux objets égyptiens, parmi lesquels les cercueils et momies d’animaux (poissons et chats), celle de Ptahirdis et de son sarcophage ainsi que la belle statue thébaine d’Osiris en bronze avec sa coiffe en couronne.
Héritiers des cabinets de curiosités de la Renaissance, les érudits aixois du siècle des Lumières se conduisent en amateurs éclairés et collectent quantité d’objets et d’antiquités. Presque exactement deux siècles après l’achat du cabinet des Fauris de Saint-Vincens, on peut dire que c’est la collection égyptienne qui constitua le noyau du premier musée d’Aix !