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Edi Dubien. L'homme aux mille natures

Article mis à jour le 26/08/20 18:55

Musée d’art contemporain de Lyon

Exposition du 7 octobre 2020 au 3 janvier 2021

Le Musée d'art contemporain de Lyon présente "L'homme aux mille natures" la première exposition monographique muséale d'Edi Dubien.


"L’exposition est conçue comme un chant d’amour dédié à la nature célébrée à travers une narration bucolique et poétique. "L’homme aux mille natures" réunit des sculptures, en regard de plusieurs centaines de dessins et, ce qui est nouveau dans sa pratique, de peintures de grand format, unies dans une scénographie qui évoque cette relation fusionnelle que son œuvre entretient avec la nature.

Dans cet ensemble inédit composé par l’artiste, le visiteur retrouve plusieurs constantes de ses réalisations antérieures dont les figures du jeune homme et de l’enfant, esquissées à la fois avec force et légèreté, au regard souvent absent et qui pourtant s’imprègne du monde. Ces jeunes garçons, parfois inspirés de photographies, évoquent des centaines de visages qui ont pu exister et qui apparaissent comme figés dans le temps. Sans s’intéresser aux adultes qu’ils deviendront, ils semblent dans l’attente. Ces êtres en formation paraissent s’interroger eux-mêmes, interpellant le spectateur. Tantôt contemplatifs, tantôt joueurs, ils pourraient simplement renvoyer au petit garçon que l’artiste se savait être, mais des éléments parfois curieux rendent ces figures plus complexes encore.

D’autres accessoires, dont des chaussures ou du maquillage, semblent renvoyer aux diktats du genre que la société impose dès le plus jeune âge. Si Edi Dubien joue avec ces codes en ornant ces jeunes garçons et ces animaux de boucles d’oreilles extravagantes faites de branchages ou d’insectes surdimensionnés, c’est qu’il les fait agir comme autant d’attributs brouillant la question de l’identité. L’enfance est un moment décisif pour le développement et l’affirmation de soi, à mesure notamment que le corps se forme. Cette adéquation entre l’enveloppe corporelle et l’esprit n’est pas une chose évidente. La catégorisation même du genre est une convention culturelle. Comme l’écrit Teresa de Lauretis dans Technologies of Gender « la construction du genre se fait aussi par sa déconstruction ». C’est précisément pour cette raison que la force de l’œuvre d’Edi Dubien repose bien plus dans l’expérience et l’intuition que dans l’élaboration d’un langage militant, laissant place à l’émotion, au doute et surtout à la bienveillance et à la tendresse.

Quelques objets allégoriques, tels qu’un tipi endommagé par le feu, surmonté de ce que l’artiste appelle de petits « renards et oiseaux trans », pourraient rappeler un terrain de jeu, mais les branches noircies évoquent en réalité l’enfance en danger. L’abri prend place dans un environnement essentiellement naturel, comme au milieu d’un jardin composé de feuilles d’arbres, de branchages – plus rarement de fl eurs – et surtout, d’animaux. L’univers de l’enfance, en particulier dans son rapport à la nature, est au cœur de l’exposition et si chacune des œuvres contient une charge biographique palpable, c’est que la question de sa relation à l’écosystème végétal et animal est chez l’artiste absolument essentielle dans son développement personnel et la définition de sa propre identité. Dans certains dessins, la feuille de fougère peut tout aussi bien évoquer une cicatrice comme se substituer à la cage thoracique et par là même, à la structure du corps en construction.

Dans l’exposition, les canons pointent sur des dos mâtinés de végétal et le lustre à pampilles effondré contribue à évacuer toute naïveté du récit. Ils constituent la dialectique d’une nature et d’une culture qui s’opposeraient de façon non dissimulée.

La formation de la personnalité de l’enfant, les violences physiques et psychologiques qui peuvent surgir dans son entourage, sont les éléments essentiels d’une histoire personnelle sous-jacente dans l’ensemble du projet artistique d’Edi Dubien. Et si, sur certains dessins, au visage de l’enfant se substituent la gueule menaçante d’un chien ou un paysage hivernal composé d’arbres nus, c’est que l’histoire est bien plus complexe qu’elle n’y paraît et qu’elle est aussi question de survie. L’artiste partage une histoire puissante qui dépasse sa seule personne. Il donne une visibilité et des visages à celles et ceux qui luttent contre un déterminisme imposé par une adéquation artificielle entre le corps et l’esprit.

Si ses modèles semblent muets, c’est parce qu'Edi Dubien considère que le langage est un outil culturel et conventionnel. L'article, le pronom, l'adjectif cristallisent des catégories et excluent avec brutalité celles et ceux qui refusent de s'y soumettre.

Edi Dubien développe un rapport singulier avec la nature, comme une échappatoire au conditionnement normatif. À l'opposé de ce monde binaire et segmenté, la nature représente pour l'artiste un absolu et une évidence indiscutable, l'impératif de la survie certes, mais surtout la liberté d'être soi-même. L'ennemi est donc identifié et il s'agit de la culture (en tant qu'ordre conventionnel et social qui impose ses normes à l'individu), cette superposition de codes artificiels qui s'affirme par l'étiquetage et la cartographie des corps.

À ce titre, le lustre qui est au cœur de l'une de ses installations évoque selon l'artiste « la lumière des humains qui se brise ».

Si Edi Dubien évoque une exposition dans laquelle « tout parle de chaos, d'enfance, de genre, de nature, de résilience et d'amour... », c'est qu'il conçoit son art comme un espace de conquête et de liberté, mais aussi et surtout comme une urgence : celle de s'affranchir de la société, de son regard et de tout ce qui relève de la catégorisation, afin de ne plus avoir à négocier son rapport au monde.

Edi Dubien parle d'amour et de nature. Par la puissance de ses symboles et la force de ses œuvres, ce jardin de l'homme aux mille natures s'annonce moins comme un terrain de jeu que comme un champ de bataille."

Matthieu Lelièvre, commissaire



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