L'exposition Christian Louboutin : l'Exhibition[Niste], qui a été interrompue par la crise sanitaire du coronavirus, est prolongée jusqu'au 3 janvier 2021.
Le Palais de la Porte Dorée organise la première grande exposition dédiée aux créations de Christian Louboutin à Paris. Intitulée "Christian Louboutin : l'Exhibition[Niste]", l'exposition parisienne couvre près de trente ans d'une activité prolifique, érudite et joyeuse.
Dès l'entrée de l'exposition Louboutin, le visiteur est accueilli par l'objet même qui donne la clé de cette exposition au Palais de la Porte Dorée : le panneau de signalétique interdisant de porter des talons dans les espaces de l'ancien Musée des Arts d'Afrique et d'Océanie, et qui a marqué le jeune Christian Louboutin, visiteur assidu et ébloui du musée.
"Le Palais de la Porte Dorée est un lieu qui m'est très cher.
J'ai grandi dans le 12e arrondissement, tout près d'ici. J'ai fréquenté les lycées Elisa Lemonnier et Paul Valéry juste derrière le Palais, je passais des heures dans les cinémas de l'avenue Daumesnil qui diffusaient à l'époque des films indiens et égyptiens. Régulièrement les weekends j'allais rêver à l'Aquarium Tropical, envouté par les couleurs et la brillance des poissons tropicaux, et au Musée des Arts d'Afrique et d'Océanie.
J'ai toujours été fasciné par la beauté architecturale et la richesse ornementale du Palais de la Porte Dorée qui a joué un rôle fondateur dans ma vie. C'est ici que j'ai découvert pour la première fois la diversité des arts décoratifs et des arts appliqués. J'étais fasciné par la délicatesse et la monumentalité des bas-reliefs d'Alfred Auguste Janniot, par les fresques grandioses de Ducos de la Haille et par le mobilier de Ruhlmann et Printz. C'est aussi ici que j'ai vu pour la première fois un dessin représentant un soulier.
Je me suis imprégné de tous ces motifs - abstraits ou figuratifs - qui sont venus constituer un répertoire inconscient de formes, de couleurs, de textures qui n'a cessé d'influencer mon imaginaire. Nourri d'une passion pour les voyages - réels ou rêvés - mon univers se compose d'une juxtaposition de références empruntées aux arts et cultures du monde, à la scène, à la littérature ou au cinéma.
Exposition Christian Louboutin, Palais de la Porte Dorée, Paris 2020
L'invitation du Palais à concevoir en ce lieu une exposition qui met en scène toutes ces inspirations a tout de suite fait sens pour moi. Olivier Gabet a imaginé ce moment dont il dit que c'est «une immersion qui présente les multiples facettes d'une expression protéiforme ». Il y a des moments incontournables parce que c'est aussi une partie de ma vie, mais c'est surtout un processus en perpétuelle évolution fait d'allers retours, de découvertes, de redécouvertes et - par-dessus tout - de rencontres.
Cette immersion met en scène ces rencontres précieuses qui ont jalonné mon parcours au travers de réalisations d'artisans aux savoir-faire uniques et de collaborations avec des artistes qui me sont chers.
L'exposition se clôture par un espace qui constitue tout à la fois mon « Musée Imaginaire » et un lieu de tous les possibles, ancré dans le présent et tourné vers l'avenir. On y retrouve des inspirations plus ou moins évidentes mais aussi, plus simplement, des œuvres auxquelles je tiens et qui m'accompagnent parfois depuis plusieurs décennies.
Cette exposition est pour moi l'occasion de rendre hommage à ce Palais qui a vu naître ma vocation et qui n'a cessé de m'inspirer dès lors."
Christian Louboutin
Divisé en une dizaine de chapitres, le parcours de l'exposition Louboutin au Palais de la Porte Dorée de Paris couvre près de trente ans de création de Christian Louboutin et met en avant les différentes sources d'inspirations et procédés créatifs qui composent la démarche du créateur.
Antichambre
Dès l'entrée de l'exposition "Christian Louboutin : l'Exhibition[Niste]", le visiteur est accueilli par l'objet même qui donne la clé de cette exposition au Palais de la Porte Dorée : le panneau de signalétique interdisant de porter des talons dans les espaces de l'ancien Musée des Arts d'Afrique et d'Océanie, et qui a marqué le jeune Christian Louboutin, visiteur assidu et ébloui du musée, passionné fervent des collections qu'il abritait alors, au point qu'il le dessine et le redessine dès l'âge de 11 ans. Cette image première sera plus tard l'inspiration du soulier Pigalle, un des plus connus de son corpus qui en compte aujourd'hui des milliers.
Early years
Dans la prolongation de l'introduction, la salle des vitraux fonctionne comme l'antichambre des salles suivantes, pour reprendre le vocabulaire architectural et palatial des lieux.
Salle soulignant les premières influences, l'apprentissage du métier, l'univers de l'appartement-studio de création du IXe arrondissement de Paris, cette évocation des débuts du créateur est construite autour de quelques incunables, les Louboutin d'avant la semelle rouge – aujourd'hui devenue iconique – jusqu'aux modèles du début des années 2000. Le créateur dessine, imagine des formes, entreprend de sculpter luimême certains modèles, et expérimente avec des matériaux inédits ou très rarement utilisés : bois de palmier, peaux de poissons, cuir de Cordoue, etc.
Parmi les trois cents premiers modèles dessinés par Christian Louboutin, de nombreux souliers sont présentés, entourés de ses premiers dessins, croquis, travaux, moodboards et dossiers réunis en vue de proposer ses créations à des couturiers, tels Azzedine Alaïa, dont le travail et l'exigence le fascinent, sans qu'il n'aille jamais les solliciter.
Les vitraux de cette salle spécialement dessinés pour l'exposition "Christian Louboutin : l'Exhibition[Niste]" et réalisés par la Maison du Vitrail à Paris sous la direction du maître verrier Emmanuelle Andrieux, déclinent les huit éléments constitutifs du travail du créateur : la Parisienne, le Spectacle, la Couture, l'Art, le Voyage, l'Artisanat, la Sexualité et l'Innovation. Ces vitraux réaffirment aussi son attachement originel aux arts décoratifs et aux métiers d'art, tout en mettant en abîme cette forme d'adoration du soulier, qui au-delà du simple fétichisme, traverse l'histoire de la mode, non plus accessoire mais véritable objet d'art.
Salle des trésors
Véritable salle des trésors, cette rotonde réunit les créations les plus emblématiques de Christian Louboutin, choisies dans un corpus qui se compte aujourd'hui en milliers de modèles, certains uniques, d'autres matrices de séries continues depuis bientôt trente ans. Chaque soulier incarne une forme d'accomplissement, de par la forme imaginée, l'utilisation de certains matériaux ou du contexte original, voire historique, de la commande ou de l'idée qui l'ont inspiré. Les souliers exposés s'articulent autour de thématiques révélatrices de l'éclectisme de Christian Louboutin : la couture, les voyages, les extrêmes de la fantaisie et de l'innovation technique. Ils s'inscrivent chacun dans les références artistiques fortes qui irriguent avec régularité le travail du chausseur : l'histoire de la mode avec les clins d'oeil enturbannés et plissés à Madame Grès, ou le soulier au graphisme élégant de l'YSL de Cassandre pour le dernier défilé de Haute Couture d'Yves Saint Laurent en 2002 ; les Arts premiers nourris de sa fascination pour l'Afrique, l'Océanie et les Amériques, poupées Kachina et masques Hopi ; l'architecture et le design avec Oscar Niemeyer et Isek Kingelez ; l'art moderne sous le prisme du Warhol des Pensées.
Dans cette salle, dégagée de toute référence d'ordre religieux, et au-delà du simple accessoire ou de l'objet fétiche, un soulier de cristal réalisé en partie à Paris par Stéphane Gérard, artiste sculpteur, trône sur un palanquin d'argent fabriqué par l'Orfebreria Villareal de Séville et décoré de riches broderies réalisées à Calcutta en Inde, dans les ateliers du couturier Sabyasachi Mukherjee. Tout est dessiné par Christian Louboutin qui affirme ainsi sa complicité et son respect pour les artisans du monde entier avec lesquels il a pris l'habitude depuis longtemps d'inventer ses collections.
La Salle des trésors présente également une œuvre de l'artiste pakistanais Imran Qureshi spécialement conçue pour l'exposition "Christian Louboutin : l'Exhibition[Niste]".
Initiée en 2013, la série des Nudes est aujourd'hui considérée dans le domaine de la mode comme un acte créatif et sociétal puissant, et là encore pionnier. En imaginant un soulier couleur chair pour affirmer une forme de transparence et donner à voir une sorte de prolongation comme infinie de la jambe, Christian Louboutin joue de l'effet visuel qui naît d'une unité chromatique entre le pied chaussé et la jambe, comme on le voit notamment dans un portrait ancien d'un membre de la famille de Beauvau en Lorraine, attribué au peintre François Quesnel (1543-1619).
Pour mettre en scène cette série, Christian Louboutin a invité le duo d'artistes anglais Whitaker et Malem à réaliser neuf scultpures gainées de cuir déclinées selon les neuf couleurs de la collection des Nudes. Leur maîtrise dans l'art de couper et de coudre le cuir est totale. Whitaker et Malem se sont spécialisés à partir de 1995 dans cette technique innovante de sculpture. C'est aussi leur longue collaboration avec l'artiste Allen Jones qui a enthousiasmé Christian Louboutin qui a travaillé avec eux en détail sur ces sculptures de chair.
L'atelier
Jamais limité à l'apparence de l'objet fini, le soulier est le fruit de près d'une centaine d'étapes qui concourent toutes à sa conception et d'autant de gestes qui permettent sa fabrication. Plus que jamais, la mode est le lieu privilégié de l'expression des métiers d'art, alliant activité ancestrale de la main et recours aux techniques des plus traditionnelles aux plus innovantes. Ici, un certain nombre d'objets incarnent le processus créatif (pieds, formes, matières, outils) tandis qu'une suite de petits films permet de visualiser avec clarté et de manière vivante les étapes de la fabrication d'un soulier, chacune, répondant à une définition précise, « patronage », « piquage »...
Suggestions & projections
Déjà sensible dans les salles précédentes de l'exposition Louboutin, l'exploration de l'imaginaire et du système de représentation, dans lesquels le soulier évolue, continue dans cet espace qui, de prime abord, se présente comme un inoffensif salon digne d'une granny anglaise, malicieuse mais conservatrice. En composant cet intérieur comme le ferait un ensemblier, Christian Louboutin se joue de l'art décoratif et de l'ornement : de loin semblent se déployer des répertoires relativement abstraits, nourri du vocabulaire floral ou végétal ou d'une calligraphie délicate, le tout dégageant une sérénité joyeuse. De près, la réalité est toute autre : chacun de ces éléments décoratifs est en réalité formé de combinaisons de corps transformés, celui du photographe Pierre Molinier (1900-1976) qui se transformait en femme hypersexualisée. Cette period-room audacieuse montre combien l'idée que l'on se fait du soulier se pétrit de projections et de suggestions souvent très loin de la réalité, réagençant des formes nouvelles à partir de jambes, de pieds chaussés de soulier à talons, bas et collants de soie, visages offerts ou mains dardées. Lorsqu'il présente ses spikes, souliers recouverts de pointes ou de clous inversés, Christian Louboutin rappelle d'abord que, pour lui, l'alliance du cuir et des clous a toujours évoqué, avant tout autre chose, ce que les amateurs d'art et les historiens nomment la « Haute époque », période allant du Moyen Âge au début du XVIIe siècle, une tonalité médiévale fleurant bon les armures et le mobilier garni de cuir de Cordoue.
C'est ensuite que l'on y a plaqué, commentateurs et usagers, une connotation toute différente, mêlant sexualité et domination, sado-masochisme ou références au hard ou metal rock, qui sont loin de son idée initiale. Pour lui, c'est l'aspect décoratif, intimement attaché à l'histoire des styles, qui a inspiré ce type de créations, mais à l'évidence ces dernières montrent combien la projection fantasmée et la suggestion peuvent remodeler la vision initiale de ces séries de souliers.
Théâtre bhoutanais
Clin d'œil à sa passion pour le Bhoutan, Christian Louboutin évoque ici un aspect important de son travail et de sa carrière, ses créations pour le monde du spectacle sous toutes ses formes, sous l'apparence d'un théâtre bhoutanais aux gigantesques colonnes de bois sculpté.
Très tôt, Christian Louboutin s'est inspiré de la scène, une scène protéiforme qui invite autant le cinéma que le théâtre, le cabaret que le cirque, jusqu'au monde des sportifs et des athlètes, qui expriment dans notre monde contemporain une société du spectacle à son paroxysme.
Dans ce théâtre, un spectacle prend place autour de deux hologrammes originaux, celui de l'effeuilleuse et danseuse Dita Von Teese, et de l'équilibriste du ballon Iya Traoré. Deux évocations, chorégraphique et gymnastique (voire athlétique), pour lesquelles la présence du soulier ancre la pesanteur des corps et la souplesse du mouvement dans l'espace. Dans cette même salle, sont exposés les modèles les plus emblématiques des créations de Christian Louboutin dans le domaine du spectacle, autant des commandes spéciales (Tina Turner, Michael Jackson) que des pièces conçues avec cet esprit en tête (Grand Rex, Lola Montès).
A reverie
Pour évoquer les moments forts de sa vie, ceux qui éclairaient aussi les étapes de sa carrière professionnelle, Christian Louboutin a choisi de faire appel à l'artiste néo-zélandaise d'origine maorie, Lisa Reihana. Il l'a remarquée grâce à son travail de vidéaste lors de la Biennale de Venise de 2017 où lui fut confié le pavillon de son pays, mais aussi lors de la grande exposition Oceania, entre Londres et Paris, avec son œuvre phare in Pursuit of Venus [infected], où les papiers peints panoramiques de Dufour du début du XIXe siècle, Les Sauvages de la mer du Pacifique, deviennent le champ libre de ses visions et réflexions sur l'identité et l'altérité. Avec cette nouvelle œuvre A reverie, Lisa Reihana invite à une promenade dans les songes où se meuvent des œuvres de la collection personnelle de Christian Louboutin et les lieux qui lui sont chers.
Le pop corridor
Le Pop Corridor n'est pas une salle de l'exposition mais un passage entre deux mondes. En ordre aléatoire, y sont réunis les portraits d'une famille rêvée, celle de Christian Louboutin, célébrités de la musique et du cinéma, personnalités amies. Chacun raconte une histoire, un moment, autour d'un soulier, témoin d'un souvenir musical ou médiatique. Images prises sur le vif, moments de la pop culture, universelle et vibrante, anecdoctes amusantes, on y trouve Naomi Campbell, Lady Gaga ou Rihanna, le regretté Kobe Bryant et la divine Sridevi, les stars de Bollywood et d'Hollywood. Couvertures de magazines du monde entier et extraits d'émissions télévisées et de clips musicaux, chaque illustration animée ou immobile de ce Corridor rappelle combien le travail de Christian Louboutin, après s'être nourri de la culture populaire, inspire les créateurs de notre époque, faisant du nom même de Louboutin un mot commun du vocabulaire contemporain.
Fetish
Collaboration entre Christian Louboutin et le cinéaste et photographe David Lynch, dévoilée au public pour la première fois en 2007, l'idée de cette salle est de montrer à nouveau l'ensemble formé de ces souliers imaginés pour ne pas marcher et les photographies que Lynch en a données. Le soulier devient une manière exacerbée de raconter d'autres histoires, invoquant la question du fétichisme et de la sexualité. Plusieurs souliers ainsi conçus rappellent, dans leur utilisation scénographique et photographique, que c'est moins le talon que la cambrure du pied qui est objet de fétichisme et de fantasme, la ligne de la jambe qui s'en dégage naturellement ou de manière artificielle. La série des souliers exposés exprime les différentes formes d'attachement fétichiste, semelles en voile qui imposent ne pouvoir marcher mais d'être allongée ou assise, talons siamois des relations fusionnelles, pointe au sens chorégraphique comme un élancement irréalisable de torture et de grâce absolue, pointe au sens littéral du terme avec ces pointes dardées à même la semelle intérieure rendant impossible le fait de porter le soulier, le soulier devenant un objet sans usage que la valeur artistique transforme un objet d'art ou une sculpture.
Un musée imaginaire
Le "Musée imaginaire" est conçu comme un hommage aux artistes et aux œuvres qui n'ont cessé d'accompagner Christian Louboutin depuis son adolescence. Cette déambulation rappelle combien le Palais de la Porte Dorée de Paris a agi sur lui comme un lieu de mémoire et d'inspiration, quand il était encore Musée des Arts d'Afrique et d'Océanie, lieu des premières émotions esthétiques, déclencheur des voyages à venir. Curieux et sensible à toutes les cultures, sans hiérarchie ni distinction, Christian Louboutin aime l'éclectisme, celui qui façonne son travail depuis près de trente ans : on retrouve ici des moments de mode, le prisme de la peinture, les figures iconiques de son Panthéon personnel et amical, la culture queer, l'art Gandhara, l'art africain contemporain, la photographie et une brassée d'objets d'art, croix précieuses, couronne royale du Bhoutan, porcelaine de Wedgwood, joyaux multiples, art populaire, céramiques vernaculaires, des coquillages et des plumes. De ce musée de partis pris, Christian Louboutin donne les clés, commentant chaque œuvre choisie, comme si les inspirations devenaient ainsi de nouveaux points de départ.