Otto Dix
Biographie Otto Dix
"La peinture n'est pas un soulagement. La raison pour laquelle je peins est le désir de créer. Je dois le faire ! J'ai vu ça, je peux encore m'en souvenir, je dois le peindre." Otto Dix.
L'artiste peintre allemand Otto Dix (Wilhelm Heinrich Otto Dix), naît le 2 décembre 1891 à Untermhaus près de Gera. C'est le deuxième fils de Ernst Franz Dix, fondeur, et de Pauline Louise Dix, couturière. Il décède 25 juillet 1969 d'une congestion cérébrale à l'hôpital de Singen.
Au cours de son enfance, Otto Dix séjourne souvent à Naumburg, chez le peintre Fritz Amann.
De 1897 à 1906, il fréquente l'école primaire de Untermhaus, où il est encouragé par son professeur de dessin, Ernst Schunke. De 1906 à 1910, il suit un apprentissage de peintre-décorateur à Gera, chez Carl Senff et prend des leçons de dessin le soir, à l'école de Untermhaus.
Otto Dix (à droite) - Deutsches Bundesarchiv - Photo Zimontkowski
Otto Dix entre à l'école des Arts décoratifs de Dresde en 1910, auprès des professeurs Richard Mebert, Paul Naumann et Richard Guhr. En 1911, il lit les oeuvres de Friedrich Nietzsche : Fröhliche Wissenschaft (Gai savoir), Zarathustra, Menschliches-Allzumenschliches (Humain-trop humain). En 1914, il modèlera le buste du philosophe. Otto Dix découvre Van Gogh à la galerie Arnold en 1912, les futuristes italiens en 1913 lors de l'exposition "Les futuristes italiens de la galerie Sturm" et les expressionnistes allemands en 1914 lors de l'exposition "La nouvelle peinture. Exposition expressionniste" à la galerie Arnold.
Lors de la première guerre mondiale, après avoir été formé comme mitrailleur à Bautzen, Otto Dix est envoyé au front, en France, en Flandre, puis en Russie et de nouveau en France. Il envoie alors des dessins, très modernes, sur la guerre et en 1916, il participe pour la première fois à une exposition officielle organisée par la galerie Arnold à Dresde intitulée "Deuxième exposition des artistes de Dresde appelés au front", présentant 16 dessins de guerre, envoyés dans des lettres adressées à Helene Jakob.
Otto Dix
Dans ses oeuvres, Otto Dix ne fait preuve d'aucun respect pour les combattants, ses anciens camarades. Loin d'exalter l'héroïsme, il dénonce la sauvagerie destructrice. L'artiste ne cesse de témoigner des effets de la guerre sur l'homme, la nature et le patrimoine.
En 1919, le conflit terminé, Otto Dix s'inscrit à l'académie des Beaux-Arts de Dresde où il est l'élève des peintres Max Feldbauer et Otto Gussmann. Le 29 janvier, il participe à la fondation du groupe "Sécession de Dresde – Groupe 19" avec Conrad Felixmüller et Lasar Segall. La première exposition du groupe se tient à Dresde en avril 1919, à la galerie Emil Richter.
En 1920, il peint "Erinnerung an die Spiegelsäle von Brüssel". Il participe à la première foire internationale Dada à la galerie Dr. Otto Burchard à Berlin et à une "Dadaistische Soirée" à Dresde. En 1921, poussé par Conrad Felixmüller, Otto Dix s'initie à la gravure et à la lithographie. Il établit un premier contact avec le groupe Junges Rheinland (Jeune Rhénanie) à Düsseldorf, fondé en 1919 par les peintres Gert Wollheim et Otto Pankok.
En 1922, après un séjour à Hambourg, il se rend à Düsseldorf, invité par Johanna Ey. Il participe à la première exposition internationale de Düsseldorf au grand magasin Tietz. Il s'installe à Düsseldorf, où il suit les cours de Heinrich Nauen et de Wilhelm Herberholz à l'Académie, fréquentant le milieu des artistes de la galerie Johanna Ey et du groupe Junges Rheinland. À Berlin, un procès lui est intenté, à la suite de la présentation du tableau "Mädchen im Spiegel" (1921), représentant une vieille prostituée. Après les interventions des peintres Carl Hofer et Lovis Corinth, il est acquitté.
Un nouveau procès lui est fait à Darmstadt en 1923, lorsqu'il expose "Salon II". Otto Dix est de nouveau acquitté. Otto Dix se marie avec Martha Koch. De cette union naît une fille : Nelly. En 1924, il voyage en Italie (Florence, Rome, Naples, Sicile). Il fait paraître le portfolio de gravures Kriegsmappe (La Guerre) chez Karl Nierendorf, galeriste et éditeur à Cologne et Berlin. Nierendorf est son marchand de 1922 à 1927, puis de 1932 à 1936.
En 1925, suivant la suggestion de Nierendorf, il s'installe à Berlin, se lie avec le peintre Georg Grosz et l'acteur Heinrich George. Il peint une suite de grands portraits représentatifs de la Nouvelle Objectivité : la danseuse Anita Berber, le poète Iwar von Lücken, le marchand Alfred Flechtheim et la journaliste Sylvia von Harden. Il participe à l'exposition "Nouvelle Objectivité" à la Kunsthalle Mannheim, organisée par Gustav F. Hartlaub.
En 1926, sa première exposition personnelle a lieu à la galerie Neumann-Nierendorf à Berlin, puis à la galerie Thannhäuser à Munich.
Il prend part aux expositions "Internationale Kunstausstellung Dresden" et "Grosse Aquarellausstellung" au palais des Expositions à Dresde. La Nationalgalerie de Berlin achète le Portrait du philosophe Max Scheler de 1926.
Timbre postal de 1991 d'après "Bildnis der Tänzerin Anita Berber" (1925) par Otto Dix, Kunstmuseum Suttgart.
En 1927, naît Ursus, son premier fils. La même année, Otto Dix est nommé professeur à l'Académie des beaux-arts de Dresde. Il devient l'ami du collectionneur Fritz Bienert, qui sera d'un grand soutien pour lui après 1933. Il participe à l'exposition "Art européen contemporain" au sein de la Société d'amis des arts de Hambourg.
Son second fils, Jan, naît en 1928. Otto Dix expose des tableaux à la "16. Biennale" à Venise, puis à l'Exposition internationale d'art moderne à New York. En 1929, à Paris, il participe à l'"Exposition des peintres-graveurs allemands contemporains" à la Bibliothèque nationale. De 1929 à 1932 il exécute le triptyque Der Krieg (La Guerre).
En 1930, Otto Dix voyage à Paris et à Vienne. En 1931, il est nommé membre de l'Académie prussienne des arts à Berlin. En 1932, il réalise pour l'Hygienemuseum de Dresde une peinture murale qui sera détruite en 1934.
En 1933, il est destitué de son poste de professeur par le Reichskommisar Killinger et est exclu de l'Académie prussienne des arts. Ses oeuvres Schützengraben (Tranchée) et Kriegskrüppel (Invalides de guerre) sont exhibées lors de l'exposition "Spiegelbilder des Verfalls" (Reflets de la décadence) à l'hôtel de ville de Dresde, manifestation prémonitoire de l'exposition "Entartete Kunst" (Art dégénéré) en 1937 à Munich. Il quitte Dresde et s'installe avec sa famille au château de Randegg, au bord du lac de Constance chez le Dr Hans Koch, le premier mari de sa femme, devenu son beau-frère en épousant la soeur de sa femme.
En 1935, la galerie Nierendorf à Berlin organise l'exposition "Deux peintres allemands" avec Otto Dix et Franz Lenk. En 1936, il s'installe dans une maison qu'il a fait construire à Hemmenhofen, au bord du lac de Constance. En 1937, huit peintures de Dix sont désignées à l'opprobre public dans l'exposition "Entartete Kunst" à Munich – au total 260 de ses oeuvres sont retirées des musées allemands. Otto Dix participe en 1938 à une exposition à la galerie Wolfsberg de Zurich. Il reconnaît Katharina, fille de Käthe König, à Dresde.
En 1945, à l'âge de 54 ans, il est mobilisé dans le Volkssturm (troupe territoriale) et fait prisonnier. Il passe sa captivité à Colmar.
En 1946, Otto Dix revient à Hemmenhofen. Il participe à la première grande exposition de l'après-guerre dans la halle de la Ville de Dresde. Il commence des visites régulières à Dresde en 1947, où il dessine des lithographies dans l'atelier d'Alfred et Roland Ehrhardt.
Otto-Dix-Haus und St. Marienkirche in Gera-Untermhaus. photo Zacke82
En 1955, Otto Dix participe à l'exposition "Dokumenta" de Kassel. Il est nommé membre de l'Académie des arts à Berlin-Ouest. Il devient membre correspondant de l'Académie allemande des arts à Berlin-Est en 1956.
Otto Dix a une première attaque en 1967 et reste paralysé de la main gauche.
En 1968, le triptyque Der Krieg (La Guerre) est acheté par les Collections nationales d'art de Dresde. Otto Dix fait don d'un ensemble de dessins au cabinet des Estampes de Dresde en 1969. Le 25 juillet, Otto Dix succombe à une deuxième congestion cérébrale.
En 1972 se déroule l'exposition "Otto Dix – peintures, aquarelles, gouaches, dessins et gravures du cycle de La Guerre" au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris.
En 1991, lors du centenaire de sa naissance, de grandes expositions rétrospectives de son oeuvre sont organisées à Dresde, à Stuttgart et à Londres.
"Le tableau [Der Krieg (La Guerre) NDLR] a été réalisé dix ans après la première guerre mondiale. J'avais, durant ces années, effectué de nombreuses études afin de réaliser ensuite un tableau traitant de cet événement. En 1928, je me suis senti prêt à aborder ce grand sujet dont l'exécution me préoccupa durant plusieurs années. A cette époque d'ailleurs, durant la République de Weimar, de nombreux livres prônaient à nouveau librement l'héroïsme et une conception du héros qui avaient été poussés à l'absurde dans les tranchées de la première guerre. Les gens commençaient à oublier déjà ce que la guerre avait apporté de souffrances atroces. C'est de cette situation-là qu'est né le triptyque." Otto Dix
Citations Otto Dix
"Lorsque je dis à quelqu'un que j'aimerais le peindre, j'ai déjà en moi son portrait. La personne qui ne m'intéresse pas, je ne la peins pas."
"Il me fallait cette expérience : comment quelqu'un situé juste à côté de moi pouvait tomber tout à coup et disparaître. Il me fallait l'expérimenter dans les moindres détails. Je le désirais. Je ne suis pas un pacifiste ou le suis-je ? Juste quelqu'un qui se pose des questions. Je voulais tout voir de mes yeux. Je suis un réaliste qui doit voir par lui-même pour avoir confirmation que cela se passe comme cela. Je dois expérimenter tous les abysses de la vie : c'est pour cela que je me suis engagé comme volontaire."
"Les trous d'obus dans les villages expriment une rage élémentaire. Tout ce qui est à proximité semble subir la dynamique de ces trous symétriques et formidables. Ce sont les orbites de la terre ; autour d'eux tournoient des lignes follement douloureuses, fantastiques. Ce ne sont plus des maisons, nul ne peut prétendre. Ce sont des créatures vivantes d'un genre particulier avec leurs propres lois et modes de vie. Ce sont des trous, sans rien d'autre que des pierres ou des squelettes. Il y a là une beauté singulière et rare qui nous parle."
"J'ai bien étudié la guerre. Il faut la
représenter d'une manière réaliste pour qu'elle soit comprise. L'artiste travaillera pour que les
autres voient comment une chose pareille a existé. J'ai avant tout représenté les suites terrifiantes de
la guerre. Je crois que personne d'autre n'a vu comme moi la réalité de cette guerre, les
déchirements, les blessures, la douleur."
"C'est que la guerre est quelque chose de bestial : la faim, les poux, la boue, tous ces bruits déments. C'est que c'est tout autre chose. Tenez, avant mes premiers tableaux, j'ai eu l'impression que tout un aspect de la réalité n'avait pas encore été peint : l'aspect hideux. La guerre, c'était une chose horrible, et pourtant sublime. Il me fallait y être à tous prix. Il faut avoir vu l'homme dans cet état déchaîné pour le connaître un peu."
"... Peut-être avez-vous su qu'au cours des douze dernières années, on m'a fait continuellement des problèmes, qu'on a fouillé ma maison, que la Gestapo m'a emprisonné et que pour couronner le tout, on m'a recruté dans le Volkssturm et que j'ai été prisonnier de guerre en France durant un an. Vous savez probablement que je n'ai pu exposer tout ce temps. Mais que ces salauds considéraient mes œuvres dignes de sortir des musées et d'être vendues à l'encan en Suisse." Otto Dix à Hugo Simons. Hemmenhofen, 1946.
"Au lieu de courber l'échine et de regarder anxieusement autour de moi, j'aurais peut-être mieux fait de m'exiler. Mais émigrer n'est pas mon affaire. Voyez ce qui est advenu de Georg Grosz. Dès le début, j'ai su qu'il devrait se reconvertir. Là-bas [aux États-Unis, NDLR], il ne pouvait pas, comme en Allemagne, caricaturer les petits-bourgeois. Qu'à force de me soumettre, je me sois aussi laissé influencer intérieurement, c'est une chose certaine : mon élan était retenu – freiné. En 1939, je me suis complètement fermé. Je me réfugiais dans la campagne et je peignais et peignais. Je ne voulais rien savoir de la guerre […]. Aujourd'hui, je vois que j'ai bien fait. Fuir est toujours une erreur"
"Après avoir essayé toutes sortes de techniques chez Herberholz, j'ai été emballé par celle de la gravure. J'avais beaucoup de choses à dire, j'avais un sujet."
"J'ai vu deux fois le Retable d'Issenheim, une oeuvre impressionnante, d'une témérité
et d'une liberté inouïes, au delà de toute « composition », de toute construction, et
inexplicablement mystérieuse dans les relations qu'elle entretient avec ses différents
éléments."
"Pour moi, il est pour ainsi dire impossible d'échapper à l'influence de Grünewald."
Expositions Otto Dix (sélection)
- 2016 : Otto Dix : le Retable d'Issenheim - Musée Unterlinden de Colmar
Avec plus de 100 oeuvres issues des plus grandes collections publiques et privées, l'exposition montre comment Otto Dix s'est inspiré du chef d'oeuvre du Musée Unterlinden, peint par Grünewald, le Retable d'Issenheim (1512-1516). A noter, dans le cadre de cette manifestation, le mise en place de journées d'études consacrées à l'oeuvre d'Otto Dix. Les interventions ont pour thème :
- "Maldadadix – Otto Dix et le dadaïsme" par Birgit Schwarz.
- "Les femmes d'Otto Dix : entre universalité et individualité. Au-delà du type (1920-1933)" par Mathilde des Bois.
- "Des chasseurs et des saints. Les dessins d'Otto Dix dans le livre d'or d'Otto Köhler à Chemnitz au début des années trente" par Gitta Ho.
- "La maestria illustrée d'Otto Dix" par James A. van Dyke.
- "Les livres pour enfants d'Otto Dix" par Marie Gispert.
- "Tradition comme option – la peinture de paysage d'Otto Dix (1933–1945)" par Ina Jessen.
- "Un peintre dionysiaque. L'influence de Friedrich Nietzsche sur l'oeuvre d'Otto Dix" par Flavien le Bouter.
- "La frayeur : les peintures de la Nouvelle Objectivité d'Otto Dix et El Greco" par Sarah Leinweber.
- "Dix et la tradition classiciste. La recherche de traces entre le style des anciens maîtres et la réception romantique" par Christian Drobe.
- "La restauration du portrait de Julius Bahle et la comparaison de
la technique picturale de cette oeuvre avec celle de la « Madone
aux barbelés » " par Carole Drake-Juillet.
- "Comparaison n'est pas raison. De Grünewald à Otto Dix en passant par la lecture de Max Doerner ; une précision sur la technique mixte et son
histoire" par Daniel Schlier.
- 2010 : ROUGE CABARET : le monde effroyable et beau d'Otto Dix - Musée des beaux-arts de Montréal
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'Allemagne connut une créativité artistique inégalée en Europe. Cette période de festivités joyeuses et débridées, celle des Années folles, fut aussi marquée par la violence, la pauvreté et la décadence générées par une situation politique et économique désastreuse dont Otto Dix fut l'implacable témoin. Les œuvres de l'artiste illustrent l'horreur des combats, gueules cassées d'anciens soldats réduits à la mendicité, misère morale des prostituées, victimes d'un ordre social déboussolé, et ses saisissants portraits d'inconnus, de la bohème et de l'intelligentsia sont d'un réalisme brutal qui dérange autant qu'il fascine.
- 2009 : Fauves et Expressionnistes. De Van Dongen à Otto Dix. Chefs-d'oeuvre du musée Von der Heydt -
Musée Marmottan Monet, Paris
Les bouleversements artistiques que connut l'Allemagne entre les années 20 et les turbulences de la Seconde Guerre mondiale sont illustrés par les oeuvres des expressionnistes révolutionnaires de la deuxième génération, de Felixmüller et Otto Dix jusqu'à Max Beckmann, grand solitaire au sein du courant de la Nouvelle Objectivité.
- 2003 : Otto Dix - D'une guerre à l'autre - Centre Pompidou, Paris
L'exposition "Otto Dix - D'une guerre à l'autre" commence en 1919 avec des dessins de guerre, des exercices d'atelier, des aquarelles autonomes illustrant la période des filles de joie, des matelots et des crimes sadiques, ainsi que des autoportraits et des dessins intimes. L'accrochage se poursuit avec les dessins préparatoires et les cartons à l'échelle des tableaux, et se termine par une sélection de paysages, d'arbres et de végétaux.
Otto Dix, La Guerre - Der Krieg
Otto Dix réalise La Guerre entre 1929 et 1932, c'est-à-dire plus de dix ans après l'armistice.
Sous la République de Weimar, les idées nationalistes s'affirment en Allemagne. C'est dans
ce contexte particulier que le peintre réalise cette oeuvre, afin de rappeler les souffrances de
la guerre, la brutalité des combats et le traumatisme du conflit. Dix a composé son oeuvre sur
le modèle d'un retable (décor peint ou sculpté, surmontant la table d'autel dans une église)
de la Renaissance. Cette oeuvre, composée de trois panneaux principaux et d'une prédelle,
est appelée "triptyque". La technique de la tempera sur bois est un procédé de peinture
utilisant le jaune d'oeuf pour lier les pigments.
Sur le panneau de gauche, des soldats en armes tournent le dos au spectateur et marchent
dans la brume sous un ciel tourmenté. Masse aveugle, les soldats avancent d'un même pas
et suivent le long défilé militaire vers le front. L'artiste parvient à donner un effet de
profondeur et d'éloignement malgré l'étroitesse du format de ce panneau. Deux soldats de
trois quarts nous entraînent dans la marche et nous dirigent vers l'intérieur du tableau
comme une invitation à découvrir la barbarie et l'inhumanité des combats.
Le panneau central est occupé par des ruines : maisons détruites, paysages dévastés par
les bombardements. Au premier plan, la tranchée est représentée dans toute son horreur :
amoncellement de corps déchiquetés, éviscérés et criblés de balles. C'est l'enfer. Au-dessus
de cet amas de cadavres et de corps flotte un squelette qui désigne de son doigt la mort et la
barbarie qui s'entassent plus bas. L'artiste exprime la déshumanisation des combats et la bestialité de la mort. A gauche de l'image, l'unique survivant assiste à la scène, dissimulé
sous un masque à gaz.
Sur le panneau de droite, un personnage se distingue de tous les soldats représentés dans
le triptyque : il avance vers le premier plan, sans casque, sans uniforme, sans masque, sans
armes. Figure fantomatique, il secourt un soldat blessé, la tête ensanglantée. Le regard fixe,
il scrute le spectateur. Otto Dix souligne le sentiment de fraternité qui unissait les soldats.
Sur le panneau inférieur au format rectangle, la prédelle, des soldats, morts ou endormis,
sont allongés. Les visages et les corps semblent apaisés.
Aucune ligne ne permet de trouver le point de fuite. Tout n'est que désordre, débris de chair
et cadavres. C'est une vision d'épouvante. L'espace de la toile est traversé par des lignes
horizontales, verticales et courbes qui se coupent et se croisent. Même le ciel semble
inquiétant : des nuées, des tourbillons rougeâtres menacent et évoquent la violence des
champs de bataille. La stabilité de la prédelle renvoie à une tranquillité qui contraste avec
l'atmosphère insupportable du panneau central.
Otto Dix utilise une gamme chromatique alliant des nuances de rouge, symbolisant le sang,
et de brun, révélant la terre des tranchées. Le rouge est utilisé pour représenter tour à tour le
ciel tourmenté sous lequel les soldats partent au front (panneau de gauche), l'amas de
viscères ensanglanté (panneau central) et le feu du champ de bataille (panneau de droite).
Les trois panneaux principaux sont éclairés d'une lumière blafarde. Elle provient du coin
supérieur gauche de la partie centrale et atteint les deux panneaux extérieurs, créant ainsi
un lien entre les trois moments de la guerre.
La succession des panneaux marque le cycle d'une journée : la marche vers le front le
matin, les combats la journée, les survivants blessés le soir, enfin le repos. L'espace formé
par les éléments décrit une boucle infernale. Il s'agit d'un éternel recommencement : des
soldats combattent et meurent, d'autres reviennent, se reposent, puis repartent. Otto Dix
exprime la vision cauchemardesque de la Première Guerre mondiale et les pertes humaines.
La Guerre d'Otto Dix est une oeuvre engagée : l'artiste dénonce les horreurs de la guerre. Ce
triptyque est un constat d'un saisissant et violent réalisme sur les ravages de la guerre, la
déshumanisation des combats et la barbarie. Il y montre les réalités du champ de bataille et
y exprime le traumatisme du conflit. Otto Dix réalise une oeuvre d'une rare intensité
exprimant sa vision désabusée et révoltée de la guerre.