El Greco incarne dans sa peinture l'une des évolutions les plus complexes que nous puissions rencontrer à travers l'histoire de l'art. Né en Orient, dans un environnement culturel marqué par l'ancien Empire Byzantin, où la peinture est avant tout synonyme de l'art des icônes, il va progressivement s'affranchir de cet héritage. Il va non seulement conquérir toutes les techniques figuratives propres à l'Occident de manière magistrale (la perspective, la volumétrie des silhouettes, la psychologie des personnages, tout ceci n'existant pas dans la peinture des icônes byzantines), mais il va aussi parvenir, dans sa plénitude, à créer un style personnel et inimitable.
Parvenu à l'âge mûr (à partir de 1595), il poussera jusqu'au bout ces différentes caractéristiques formelles. Sa peinture n'est plus alors composée que d'ébauches colorées et coups de brosse qui montrent une liberté créative rarement atteinte dans l'histoire de l'art. El Greco, de par ce style abouti, va devenir le fondateur de l'école picturale espagnole, révélant ses priorités : une peinture où la tache de couleur prime sur la ligne (la peinture par rapport au tracé), une mise en avant de l'essentiel dans la composition et une austérité chromatique qui va même parfois jusqu'à la monochromie. Cet esprit hispanique (paradoxalement établi par un grec) deviendra l'héritage de Vélasquez, Goya, Sorolla, Tàpies, Saura, Antonio López, Manolo Valdés...