Anne et Patrick Poirier. Anima mundi
Article mis à jour le 17/09/20 18:01
Abbaye du Thoronet
Exposition prévue en 2021
Initialement prévue du 20 mai 2020 au 27 septembre 2020, l'exposition "Anne et Patrick Poirier. Anima mundi" à l’abbaye du Thoronet est reportée en 2021 en raison de la crise sanitaire du coronavirus.
Le Centre des monuments nationaux invite Anne et Patrick Poirier à présenter à l’abbaye du Thoronet l’exposition « Anima mundi », qui s’inscrira dans la continuité de leur œuvre centrée sur la mémoire des architectures. À l’abbaye du Thoronet, chef-d’œuvre de l’architecture cistercienne, les deux artistes viendront réveiller la mémoire des lieux par le biais d’œuvres et d’installations faisant appel aux sens. Disposées tout au long du parcours de visite, ces quinze créations originales dialogueront avec le monument, son histoire et la fonction de ses espaces.
L’abbaye du Thoronet, édifiée entre 1160 et 1190, a abrité une trentaine de moines à partir du XIIIe siècle. Pendant plus d’une centaine d’années, le monument conserve en ses murs le souvenir des passages, des rituels, des gestes et des prières de ces hommes jusqu’à son déclin, qui se confirme lors de la Révolution française. Les travaux de restauration entamés à partir du XIXe siècle permettront à l’abbaye de retrouver son apparence d’origine, après avoir été transformé en exploitation agricole.
Passionnés d’architecture et d’histoire, Anne et Patrick Poirier ont une longue pratique d’intervention dans des édifices religieux, depuis celle dans la Chapelle de la Salpêtrière à Paris en 1983 jusqu’à leur exposition au Couvent de la Tourette à Eveux en 2013. Leur intervention à l’abbaye du Thoronet donnera l’occasion aux visiteurs de redécouvrir les vestiges de l’abbaye, où jadis la vie monacale était rythmée par la prière, le labeur, la lecture et la méditation dans le silence.
« Notre projet offre au visiteur de ce haut lieu d’architecture et de spiritualité un certain nombre de travaux et d’installations disséminés à l’extérieur et à l’intérieur de l’abbaye. Nous voulons ces interventions discrètes, sans ostentation ni démesure, respectueuse de ce lieu d’âme et de mémoire. Elles font appel à la fois aux sens – ouïe, vue odorat -, à la mémoire ainsi qu’à l’esprit du visiteur, et s’inspirent du genius loci ». Anne et Patrick Poirier, Lourmarin, 25 août 2019
Conçues spécialement pour l’abbaye du Thoronet, la quinzaine d’œuvres proposées par Anne et Patrick Poirier dessineront un parcours subtil entre réminiscence, évocation et métaphore, qui accompagne le visiteur dans sa découverte de l’abbaye cistercienne.
Le public évoluera entre espaces intérieurs et extérieurs, en commençant par le chemin piétonnier qui mène à l’ancienne porterie, le long duquel le visiteur sera accueilli par l’œuvre La voix des vents, faite des légers tintements de clochettes en bronze éparses et suspendues aux arbres. Cette installation, qui se répète dans l’enceinte de l’abbaye, puise sa source dans les souvenirs de voyages du couple au Népal où « la tradition bouddhique attribue à ces sons le pouvoir d’éloigner les démons et de remercier les dieux ». Le visiteur retrouvera, à l’entrée de l’abbatiale, ces tintements, émanant d’une multitude de clochettes accrochées dans le micocoulier. Aléatoires dans leur occurrence et intensité, leurs échos qui varient selon la puissance des éléments, créent un espace sonore, une frontière invisible avec le monde extérieur.
Dans l’enclos jouxtant l’ancienne grange dîmière, des fioles de verre de l’installation L’arbre aux larmes renvoient par leur forme aux lacrymatoires en usage dans les rituels funéraires romains. Elles miroitent aux branches du majestueux chêne-vert sous le regard du visiteur venu s’asseoir à l’abri de sa frondaison tandis que quelques clochettes de bronze résonnent au gré du vent.
Avant de rejoindre l’église abbatiale, le visiteur découvrira, au fond de la fontaine encastrée en bas de l’escalier de pierre à double volée menant à l’emplacement des anciennes vignes, des yeux surdimensionnés, tels des yeux de géants, qui semblent le suivre du regard. Il croisera, à plusieurs étapes du parcours, ce leitmotiv de l’œil nommé Du regard des statues, témoin anonyme du temps et de l’histoire, observateur de la nature et des hommes, gardien mutique de la mémoire et de l’oubli, omniprésent dans le travail du couple.
Dans l’abbatiale, Oblio (Oubli) invitera le visiteur à écrire un mot, un nom, une pensée, un rêve, une prière sur des fragments de papier d’hostie disposés dans une des deux vasques en cuivre doré à la feuille qui encadre une petite table circulaire, puis à les déposer dans une seconde, remplie d’eau. Symbole de purification, l’eau devient ici le réceptacle éphémère d’une multitude de pensées dont la mémoire disparaît avec la dissolution de leur fragile support. Au sol, dans l’axe du chœur, Memoria mundi (Mémoire du monde) renvoie aussi à la notion de mémoire, centrale chez les artistes et incarnée dans le motif récurrent d’un cerveau schématisé. Le tapis, en forme d’ellipse, est bordé de mots latins recensant les thématiques sans relâche abordées par Anne et Patrick Poirier : memoria, natura, anima, archeologia, utopia… Son tissage de laine, de soie et de fibre de bambou, matériaux qui absorbent différemment la lumière, offre une image changeante de l’œuvre et, ce faisant, en souligne la dimension métaphorique.
En résonnance avec Memoria mundi, Reflets de l’âme, est un cerveau éclairé de l’intérieur en pâte de verre. Il repose, dans l’axe du maître-autel, sur un miroir elliptique gravé dans lequel l’éclat de ses nuances bleues, roses et blanches varient à l’instar des pensées et sentiments humains. Dans le même esprit, Les vibrations de l’âme propose une allégorie sonore des émotions dont la musicalité de deux grands gongs en cuivre, placés de chaque côté du transept, se fait, de temps à autre, l’envoûtant écho que sublime l’acoustique de l’abbatiale.
Tout en continuant son chemin, le visiteur découvrira la chambre de l’abbé, devenue La chambre des rêves et de l’oubli, une œuvre invitant à la contemplation et à la méditation. Devant l’unique petite fenêtre, une tenture en taffetas de soie rouge sur laquelle est brodée Sparire nel silenzio (Disparaître dans le silence) tombe jusqu’au sol et tamise la lumière de cet espace intime et austère. Du sol tapissé de plumes blanches, émerge une table rustique sur laquelle sont posés divers objets, livres, oiseaux naturalisés, crâne… évoquant les attributs de Saint-François d’Assise et Saint-Jérôme ainsi que leur amour et leur curiosité pour la nature. C’est ensuite dans le dortoir des moines que chacun pourra observer de grands dessins, disposés sur des pupitres, au niveau de chacune des vingt fenêtres, qui rappellent les manuscrits et les antiphonaires patiemment élaborés et exécutés par les moines, en particulier aux « très riches heures » du Moyen Âge. Le contraste entre la vivacité colorée des motifs et la teneur sombre, sinon dramatique des mots, révèlent, à quiconque sait regarder et en prendre le temps, la pertinence des questionnements et des craintes qui habitent Les chants du désespoir, l’œuvre aux accents visionnaires d’Anne et Patrick Poirier.
Une fois dehors, un grand cerveau schématisé disposé au centre du cloître, constitué de cailloux en marbre blanc de Carrare, renvoie à ceux présentés dans l’église abbatiale. Visible aussi bien depuis la promenade supérieure qu’au niveau des galeries du cloître, l’installation Anima mundi (L’âme du monde) frappe par sa monumentalité et sa parfaite insertion dans l’espace bordé de buis, les contours du cerveau dessinant un lumineux parterre minéral. Proche de la sacristie, posé à même le sol de l’Armarium où étaient conservés les livres, un bloc de pierre doré à la feuille, trouvé dans l’ancien ruisseau qui coulait au pied de l’abbaye, est surmonté d’une sphère en lazurite suggérant la pupille d’un œil géant. Cette sculpture aux formes contrastées et à la préciosité affirmée, qui a pour titre Cosmos (L’univers), fait allusion au mystère et à la richesse du monde.
Les visiteurs continueront de voyager dans le temps avec Archè (L’origine), qui donne à voir un œil de marbre. Émergeant d’un épais tapis de végétaux, ramassés au pied des arbres de la forêt avoisinante, et comme exhumé d’un chantier de fouilles, il convoque l’idée d’un passé lointain, oublié dont les Poirier seraient les archéologues. En parcourant les espaces du cloître, le visiteur retrouvera le Regard des statues, dans le lavabo où les moines faisaient leurs ablutions, comme s’il suivait l’un des invisibles fils rouges du parcours imaginé par les artistes. Du fond de la vasque, dans le murmure cristallin de la fontaine, les immenses yeux donnent l’impression de le poursuivre comme pour lui transmettre des messages muets. C’est en retournant au sein du monument, dans le cellier, que le visiteur découvrira une dernière installation, olfactive, Le chant de la terre, qui rappelle par son odeur de vendanges, de raisin écrasé, la fonction première du lieu tout en évoquant la symbolique du vin dans la religion chrétienne.
Cette exposition fera l’objet d’une publication aux Éditions du patrimoine dans la collection « Un artiste, un monument ».
Une performance d’Anne et Patrick Poirier sur une composition pour gongs et violoncelle d’Éric Tanguy accompagnera le vernissage.