Avec Philippe Noiret, Françoise Brion, Marlène Jobert et Kaly le chien
Un film d'Yves Robert, 1968, 1h 40m
Et si le bonheur résidait tout simplement dans l'art de ne rien faire ?
Alexandre (interprété par Philippe Noiret) travaille sans relâche dans sa ferme sous l'autorité implacable de son épouse tyrannique, "la Grande" (Françoise Brion), qui ne lui accorde aucun instant de répit. Chaque jour elle lui dresse une liste de tâches à accomplir longue comme un jour sans pain : passer à la coopérative prendre de l'engrais, biner les haricots, pincer les potirons, laver le tracteur, amorcer la pompe, rentrer le foin... pour finalement à la nuit tombée, après cette journée éreintante, l'inviter à la rejoindre au lit où elle l'attend voluptueusement. Alexandre, lui, ne songe qu'à regarder l'eau qui coule sous le pont, jouer au billard, fort bien d'ailleurs, avec ses amis Colibert (Pierre Richard) et la Fringale (Jean Carmet) ou encore écouter les oiseaux qui chantent. Il connait mieux que quiconque le chant et le nom des différentes espèces. Ainsi, lorsqu'il regarde à la télévision un jeu animé par Pierre Bellemare (qui joue son propre rôle), Alexandre répond aux questions bien plus rapidement et correctement que le malheureux candidat du jeu télévisé, Monsieur Tondeur (Marc Dudicourt), allant même jusqu'à lui souffler les bonnes réponses.
La vie d'Alexandre est ainsi rythmée par les corvées journalières, sous l'étroite surveillance de la Grande, qui lui donne ses directives à l'aide d'un talkie-walkie. A part flâner et se reposer enfin, le seul désir d'Alexandre serait d'avoir un des chiots que la chienne de son voisin Sanguin (Paul Le Person) a mis bas. Sanguin accède à sa requête mais Alexandre n'ose pas affronter la Grande et ramener son chiot chez lui. Le temps passe, un an, deux ans... le chien grandit et Alexandre n'ose toujours par le prendre. Sanguin, excédé par l'inaction de son ami, le traite alors de couille-molle, ce qui provoque la colère d'Alexandre qui se décide finalement à emmener son chien (Kaly) chez lui. Bien entendu, la Grande ne veut pas entendre parler du chien et surtout pas dans la chambre. Cependant au moment du coucher, le chien s'introduit dans la pièce, bondit sur le lit et atterit sans ménagement en plein sur la Grande qui hurle de peur... la pauvre. Puis subrepticement, lors d'une seconde tentative, il s'introduit sous les couvertures. C'en est trop, Alexandre doit choisir entre son chien et son épouse et il finit par aller dormir dans une autre pièce avec son chien.
La vie de forçat d'Alexandre continue jusqu'à ce qu'un jour, sa femme, ainsi que sa belle-mère (Marie Marc) et son beau-père (François Vibert), trouvent la mort dans un accident de voiture. Alexandre, désormais libre, décide alors de mener l'existence dont il rêve depuis toujours : ne rien faire, ne rien faire, ne rien faire... Il commence alors par libérer tous les animaux de la ferme puis va se coucher, passant alors tout son temps au lit, y mangeant même et y jouant de son instrument de musique préféré. Pour se nourrir il envoie son inséparable ami le chien lui rapporter les provisions que lui sert Agathe (Marlène Jobert), une jolie jeune femme rousse, arrivée récemment au village et travaillant, le moins possible, dans l'épicerie tenue par la peu amène Madame veuve Bouillot (Tsilla Chelton). La nonchalante Agathe, curieuse de rencontrer Alexandre dont elle partage les valeurs, se rend à la ferme pour le ravitailler elle-même. Restant derrière la porte de la chambre, ils échangent leurs photos respectives en les glissant sous la porte.
"Alexandre ! Où vas-tu ?" "Je vais voir."
Pendant ce temps Sanguin tente par tous les moyens de faire lever son ami. Il organise une fanfare qui joue toute la nuit sous l'orage devant la ferme d'Alexandre. Peine perdue, ce dernier reste couché. Et les musiciens exténués sont trempés... Le comportement d'Alexandre commence à poser problème et à faire des émules. Ainsi, Pinton (Jean Saudray) après avoir pris la pluie sous l'orage, décide d'imiter Alexandre et d'aller se coucher. Vive Alexandre ! Sanguin (Paul Le Person), craignant que l'oisiveté d'Alexandre ne devienne de plus en plus contagieuse, décide de lui cacher son chien pour lui faire quitter le lit. La ruse fonctionne, Alexandre se lève, parcourant tout le village pour retrouver son compagnon. Il renonce alors définitivement à l'oisiveté. Sanguin, imaginant qu'Alexandre va se remettre au travail, savoure sa victoire. Mais la réalité est tout autre. Pas question pour Alexandre de reprendre le travail ! Il passe désormais tout son temps avec son chien et ses amis à pêcher, cueillir des champignons, se baigner ou jouer au football avec les enfants. Finalement, Alexandre, définitivement tombé sous le charme de la jolie Agathe, décide de l'épouser. Mais, le jour du mariage, devant l'autel, lorsque le prêtre lui demande s'il veut épouser Agathe, qui curieusement commence à s'exprimer comme la Grande et à s'intéresser de plus en plus à la fortune de son futur époux, Alexandre se ravise, répond non et s'enfuit. À la question "Alexandre ! Où vas-tu ?" Il répond : "Je vais voir."
Alexandre le bienheureux : une comédie subversive sur l'art de vivre
Le film Alexandre le Bienheureux, réalisé par Yves Robert en 1968, est une comédie qui, tout en étant légère et pleine d'humour, propose une réflexion sur le sens de la vie, le travail, et la quête du bonheur. Avec un titre qui évoque d'emblée un héros positif et une destinée radieuse, le film se distingue par son regard critique sur la société de l’époque.
Le personnage principal, Alexandre, est un homme à la fois simple et attachant, marié à une femme autoritaire. Il vit une vie de labeur, accablé par un travail épuisant et une existence peu gratifiante. Alexandre, cependant, rêve de tranquillité, de paix et surtout de ne plus être submergé par les obligations quotidiennes.
Un jour, après un incident tragique – la mort accidentelle de sa femme – Alexandre se retrouve enfin seul, libre de toutes les contraintes domestiques et sociales. C’est dans cette situation que l’on découvre véritablement sa personnalité : Alexandre ne veut rien faire, il choisit d’adopter un mode de vie totalement détaché de la productivité et des attentes de la société. Ce n’est pas qu’il fuit la réalité, mais plutôt qu’il a trouvé un moyen de vivre pleinement, en accord avec ses désirs et sans se soucier des normes extérieures.
À travers ce personnage, Yves Robert nous livre une satire douce mais acerbe de la société de consommation et du culte du travail. La critique est double : elle touche à la fois la rigidité d’une vie ordinaire vouée à la performance, mais aussi les attentes sociales. Le film oppose le travail incessant et l’aliénation qu’il engendre à une recherche plus profonde du bonheur personnel, loin des obligations sociales.
La figure d'Alexandre incarne le rêve d'un autre mode de vie, un retour à une forme de simplicité. Alexandre n’a pas besoin d’être reconnu ou d'avoir une carrière brillante. Tout ce qu’il veut, c’est pouvoir se reposer, savourer la douceur de l’instant et vivre selon ses propres règles.
Alexandre le Bienheureux est un film de son époque. Réalisé à la fin des années 60, période marquée par des bouleversements sociaux et culturels, il s'inscrit dans une dynamique de remise en question des valeurs traditionnelles. Après Mai 1968, la société française, tout comme le reste du monde occidental, commençait à vivre un moment de rupture avec le conformisme des générations précédentes. Le film reflète cette époque de remise en cause des hiérarchies et de redéfinition du bonheur.
La liberté individuelle, la quête du bien-être personnel, et même la critique des institutions sont des thèmes qui résonnent profondément à une époque où les jeunes recherchent des alternatives au mode de vie capitaliste et consumériste. C’est un plaidoyer pour une existence plus sereine, dénuée de fardeaux inutiles, et pour une vie choisie plutôt qu'imposée.
Ce qui distingue Alexandre le Bienheureux des autres comédies de l’époque, c’est son humour fin et sa capacité à faire rire tout en suscitant une réflexion. Le personnage d’Alexandre, joué avec une grande simplicité et une forme de sagesse tranquille par Philippe Noiret, est drôle non pas par des gags exubérants mais par la douceur de son désengagement, par sa manière de déjouer les attentes des autres.
L’humour dans le film est aussi visuel, avec des scènes qui illustrent les petites victoires d'Alexandre dans sa quête de la lenteur : ses moments de détente au bord de la rivière, ses siestes interminables, son plaisir simple de la vie. La caméra d'Yves Robert, toute en légèreté et en fluidité, suit le rythme détendu de son héros, et chaque plan semble nous inviter à respirer, à ralentir.
Alexandre le Bienheureux est un film intemporel, à la fois drôle et profond. Il nous invite à une réflexion sur le travail, le bonheur et la manière dont nous choisissons de vivre. Bien plus qu'une simple comédie, il nous pousse à nous interroger sur les véritables priorités de nos vies : sommes-nous condamnés à courir après des objectifs extérieurs, ou est-il possible de trouver la paix dans le simple fait d’être soi-même ?
Dans un monde de plus en plus axé sur la performance et la productivité, Alexandre le Bienheureux nous offre une alternative séduisante : celle d’une vie plus libre, plus calme et plus authentique. Et si le bonheur résidait tout simplement dans l'art de ne rien faire ?
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